Les miracles poétiques de Brahim Saci
La poésie s’avère un interminable voyage chez Brahim Saci. Cela fait des années, maintenant, que le poète publie régulièrement des recueils de poésie. Il est à son 17e livre publié avec La Raison déchue qui vient de sortir aux éditions du Net.
Une vraie prouesse littéraire, un souffle poétique qui perdure, avec bonheur. Chanteur kabyle inspiré, avec près d’une centaine de chansons, Brahim Saci avait retrouvé la poésie de langue française qu’il avait un peu délaissée pour ne plus la lâcher. Brahim Saci emprunte les chemins de la création pour dire sa façon de voir le monde ; il est un observateur averti, un homme qui sait déceler les failles de ce monde.
Il y a dans la poésie de Brahim Saci une forme de révolte tranquille qui ose secouer les consciences, dans l’espoir d’un changement salvateur. Dans le reflet du miroir, le poète veut croire à la possibilité de contourner les difficultés du quotidien. Le rêve demeure permis malgré la folie de ceux qui dirigent le monde, malgré cette course insensée au gain facile au détriment du bonheur des peuples.
Le mystère est également présent dans ce nouveau recueil, comme l’amour et ses inévitables chagrins. « Sourions aux épreuves, qu’elles s’écoulent comme les fleuves, inutile d’en chercher la raison, les effets et les causes ont raison », confie le poète.
Dans Paris enjoué, le poète marche et médite en regardant les gens prendre entre leurs mains un brin de muguet. Dans cette ville, le poète a ses habitudes ; il a aussi ses endroits préférés, ces bistrots où il rencontre ses amis, où il est souvent visité par l’inspiration.
« Les universités se lèvent pour faire cesser les coups de glaive, pour dire non à l’injustice, d’un monde assujetti aux vices », raconte le poète, pour ne pas oublier un conflit où tout un peuple est écrasé, avec le consentement des plus forts.
« Je brûle comme un feu de paille, je suis le navire sans gouvernail, ceux qui ne peuvent saisir, ce que les mots ne peuvent dire », avoue le poète.
Face à l’adversité, le poète fait de l’instant son allié : « Sourions à l’instant, quel que soit le temps, s’allègera notre âme, s’apaiseront les flammes ». La poésie de Brahim Saci se veut un art qui vient semer de la beauté. Il y a tant de lumière dans la beauté.
Cette beauté, cette lumière, ces mots voyageurs apportent à bien des égards une harmonieuse atmosphère où les miracles poétiques sont rendus possibles.
Youcef Zirem
La Raison déchue de Brahim Saci, éditions du Net, 2024
Mercredi 30 octobre 2024
Lematindalgerie.com
……………………………………………………………………………………………………………
Brahim Saci : portrait d’un artiste aux multiples facettes
Brahim Saci est un artiste aux multiples facettes, à la fois musicien et poète, dont la créativité et la résilience transcendent les frontières culturelles.
Bien plus qu’un simple artiste, l’artiste Brahim Saci incarne une fusion harmonieuse entre la poésie et la musique, reflétant les richesses de son héritage kabyle tout en s’inscrivant dans le paysage artistique contemporain
Né à Tifrit Nat Oumalek dans les montagnes de Kabylie, bercé dans l’univers des contes et des chants amazighes de sa mère, le parcours artistique de Brahim Saci débute dans un contexte marqué par la dualité culturelle entre son Algérie natale et la France, où il déménage à un jeune âge pour rejoindre son père.
C’est dans ce cadre cosmopolite parisien que Brahim Saci commence à explorer sa passion pour la musique et la poésie. Influencé par les chanteurs kabyles emblématiques, notamment Slimane Azem, il trouve dans leurs mélodies et leurs paroles une source d’inspiration inépuisable.
Son immersion dans la scène artistique des cafés parisiens lui permet de découvrir sa voie artistique, à la fois comme chanteur-auteur-compositeur et poète.
La quête identitaire
Le jeune Saci se plonge alors dans la création, écrivant ses premières chansons et poèmes qui reflètent sa quête d’identité et ses expériences de vie. Il canalise l’essence même de la tradition kabyle à travers ses compositions, célébrant avec passion la spiritualité et les valeurs ancestrales des siens.
Ses chansons, telles des prières envoûtantes, résonnent comme des hymnes vibrants à ses racines, rendant hommage aux figures vénérées, notamment le saint «Sidi M’hend Oumalek».
«Le chant m’est tombé sur la tête en écoutant les chanteurs kabyles dans les cafés kabyles de Paris ; en découvrant surtout la profondeur exquise de l’œuvre de Slimane Azem, paix à son âme. Je me suis mis à écrire mes propres chansons et d’autres poésies kabyles», se confie Brahim Saci à Diasporadz.
Parallèlement à sa passion musicale, Brahim Saci s’illustre également en tant que poète émérite de la langue française. Son amitié de longue date avec l’écrivain Youcef Zirem a joué un rôle déterminant dans le réveil de sa passion poétique en langue française. Sous son influence bienveillante, les poèmes d’enfance de Saci, écrits dans cette langue, ont resurgi des méandres de sa mémoire.
Brahim Saci, un artiste prolifique
«La poésie de langue française, je l’avais déjà rencontrée durant le lycée ; j’ai aimé les grands poètes, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud et tant d’autres. À cette époque-là de la jeunesse romantique», nous dit-il.
Quittant précocement son village natal et les douceurs ensoleillées de sa Kabylie bien-aimée, la poésie en langue française est demeurée un pilier solide dans la vie de l’artiste, une partie intégrante de son identité, l’accompagnant à travers les hauts et les bas de son existence, nourrissant son âme et apaisant son esprit.
Elle a été son refuge dans les moments sombres, une lumière dans les ténèbres de l’incertitude, lui offrant le moyen d’exprimer ses émotions les plus profondes et le réconfort nécessaire face aux épreuves de la vie, tout en préservant le lien étroit qui le relie à ses racines.
Ses vers, empreints de lyrisme et de profondeur, captivent l’âme du lecteur, explorant les méandres de l’expérience humaine avec une sensibilité rare. Dans ses recueils de poésie, chaque mot est une invitation à un voyage intérieur, où l’amour, la douleur, l’espoir et la résilience se mêlent dans un ballet émotionnel envoûtant.
Brahim Saci affine son art, au fil des années, publiant plusieurs ouvrages de poésie. Il a gratifié ses lecteurs d’un seizième chef-d’œuvre poétique de son riche répertoire littéraire, « L’éclaircie fugitive », préfacé par Frédéric Lemaître, écrivain et rédacteur en chef de la revue Persona. Un recueil qui se veut comme un vibrant témoignage de son évolution artistique, offrant une immersion profonde dans son monde intérieur.
La musicalité de sa langue maternelle et la richesse de la poésie en langue française deviennent les outils d’expression de ses émotions les plus profondes. Son style, teinté de mélancolie et de lyrisme, rappelle celui des grands poètes romantiques français tout en étant ancré dans la tradition kabyle.
Un journaliste passionné
D’une rive à l’autre, de la guitare à la plume, Saci cultive une nouvelle passion pour le journalisme culturel. Une passion qui s’inscrit comme une extension naturelle de son engagement artistique, démontrant sa volonté d’évoluer en tant qu’artiste et de contribuer activement à la vie culturelle et intellectuelle de sa communauté et au-delà.
Ses divers entretiens sont salués comme une tribune visant à mettre en lumière les voix créatives et les talents émergents de différents horizons culturels. Cette démarche lui permet également d’explorer de nouveaux territoires d’expression et d’enrichir son propre travail artistique en interagissant avec différentes formes d’art.
Au-delà de son immense talent artistique, l’homme est également loué pour sa générosité, sa sagesse, sa modestie et son engagement envers les siens, des vertus qui le hissent au rang de ceux qui possèdent la richesse de l’esprit.
Son influence dépasse largement le domaine artistique, touchant ceux qui ont la chance de croiser son chemin et d’être émerveillés par sa musique et sa poésie.
Brahim Saci le poète, le musicien, le journaliste, autant d’épithètes qui donnent à voir une personnalité incarnant l’essence même de l’artiste complet, dont la voix résonne au-delà des frontières et des générations et perpétue avec passion et dévouement l’héritage artistique de sa culture tout en ouvrant de nouvelles voies pour l’expression créative.
Hamid Banoune
Diasporadz
Le 02 mai 2024
………………………………………………………………………………………….
Brahim Saci au café L’Impondérable : « Les poèmes sont mes ailes et ma prison »
Le Café littéraire L’Impondérable de ce dimanche 21 avril a été un moment exceptionnel où les univers artistiques de Brahim Saci et de Youcef Zirem se sont entrelacés dans un tourbillon de poésie et de partage.
Organisé au café l’impondérable de Paris, cet événement a attiré une assistance nombreuse, venue célébrer la sortie du 16ème livre de poésie de Brahim Saci, “L’éclaircie Fugitive ».
Avant le début du chef-d’œuvre de fine animation du charismatique l’écrivain Youcef Zirem, un hommage émouvant a été rendu aux militants et aux victimes du combat identitaire amazigh, à l’occasion du 44e anniversaire du Printemps berbère.
Puis, Brahim Saci a présenté son dernier recueil, explorant les thèmes de l’amour, de la déception, des doutes, de l’espoir et de la liberté, etc.
Au cœur des échanges, sa sensibilité artistique, son engagement social et sa générosité ont été mis en lumière, tout comme son exploration des questions d’identité, de nostalgie et de spiritualité.
Le poète éblouit ses convives par une éclaircie de mots en évoquant fièrement son amitié de longue date avec Youcef Zirem. L’auteur de «La cinquième Mascarade», «Les étoiles se souviennent de tout» et tant d’autres chefs-d ’œuvres, a joué un rôle prééminent dans le réveil de sa passion poétique en langue française.
«L’amitié avec Youcef Zirem a été une source d’inspiration et d’encouragement pour moi. Son soutien inconditionnel et ses conseils avisés ont joué un rôle crucial dans mon parcours d’écrivain. Sa présence en tant que mentor m’a permis de trouver ma voie dans le monde de l’écriture et a profondément influencé mon processus créatif. À travers nos échanges et nos discussions, j’ai pu affiner ma perception de la vie et de l’art, en puisant dans son expérience et sa sagesse. Ainsi, je considère notre amitié comme une bénédiction qui a enrichi ma vie tant sur le plan personnel que professionnel.»
La soirée s’est ensuite poursuivie par un riche débat, où les questions fusent, portant sur la continuité de l’influence artistique de Brahim Saci, son rôle en tant que poète voyageur et la signification profonde de ses poèmes. Les participants ont également exploré la nouvelle passion de Brahim Saci pour l’écriture journalistique, et ses contributions au Matin d’Algérie ont été saluées comme une extension naturelle de son expression artistique.
«Ma nouvelle passion pour le journalisme, que je manifeste à travers mes contributions au journal Le Matin d’Algérie, reflète mon engagement envers la promotion de la culture et des arts. Mes entretiens avec des femmes et des hommes de lettres ainsi que des artistes de divers horizons culturels témoignent de mon désir de mettre en lumière les voix créatives et les talents émergents.
En m’impliquant dans le journalisme culturel, j’élargis mon champ d’action au-delà de ma création artistique personnelle, offrant une plateforme aux autres artistes pour partager leurs perspectives et leurs œuvres avec un public plus large. Mes entretiens peuvent être perçus comme une tentative de tisser des liens au sein de la communauté artistique et de promouvoir la diversité culturelle. De plus, mes contributions journalistiques me permettent d’explorer de nouveaux domaines d’expression et d’enrichir mon propre travail artistique en entrant en contact avec différentes formes d’art et en échangeant des idées avec d’autres créateurs. Cela démontre ma volonté d’évoluer en tant qu’artiste et de contribuer activement à la vie culturelle et intellectuelle de ma communauté et au-delà. »
Après ces échanges riches en émotion et en réflexion, la soirée s’est conclue dans une ambiance festive, avec la dégustation d’un succulent couscous « AMAKFOUL » offert par les hôtes du lieu, Mourad et Sofiane. La musique a ensuite pris le relais, avec la participation de grands artistes d’expressions kabyles, à l’instar de Ahmed Amzal, Moh Smail, Kamel Mezani et Brahim Saci accompagnaient des musiciens Hakim, Amdan et Azzedine, apportant une touche finale envoûtante à cette soirée mémorable.
Ce Café littéraire a été bien plus qu’une simple rencontre entre artistes : il a été un véritable moment de partage, d’inspiration et de célébration de la culture et de la poésie.
Hamid Banoune
22 avril 2024
DIASPORADZ
………………………………………………………………………………………………..
Café littéraire l’Impondérable : Brahim Saci l’invité de Youcef Zirem
L’invité de l’écrivain Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, dimanche 21 avril 2024, est le poète et chanteur Brahim Saci.
Brahim Saci, qui collabore avec votre site le Matin d’Algérie, fera une présentation de son 16ème recueil de poésie « L’éclaircie fugitive ». Comme à l’habitude de ce café littéraire dominical, un échange aura lieu avec les présents.
Et pour donner un cachet encore plus convivial à cette rencontre littéraire que mène avec tact et maîtrise l’écrivain et journaliste Youssef Zirem, un couscous sera offert à l’issue de la rencontre.
Adresse : 320, rue des Pyrénées, XXe arrondissement de Paris
Hamid Arab
Mardi 16 avril 2024
lematindalgerie.com
………………………………………………………………………………………………………
Café littéraire l’Impondérable : Brahim Saci, l’invité spécial de Youcef Zirem
Brahim Saci sera l’invité spécial de Youcef Zirem au café littéraire l’Impondérable de Paris ce dimanche 21 avril 2024.
La soirée au café l’Impondérable promet d’être enchanteresse puisqu’il s’agit d’une rencontre entre Youcef Zirem et Brahim Saci, deux figures éminentes du monde de la poésie.
Brahim Saci est un poète, musicien et chanteur, un artiste dans l’âme qui vient de signer aux Editions du Net son 16e recueil de poésie intitulé «L’éclaircie fugitive», préfacé par Frédéric Lemaître.
Brahim Saci, on a tendance à l’oublier, est aussi un grand journaliste qui couvre l’actualité culturelle et littéraire parisienne pour divers titres, notamment Le Matin et Diasporadz.
L’échange entre les deux hommes passionnés de lettres sera à coup sûr l’occasion de faire danser les mots au rythme des émotions.
La soirée sera aussi l’occasion propice pour les amateurs de poésie et de culture berbère de se retrouver autour d’une table où la passion pour les lettres rencontre la convivialité d’un repas aux parfums savoureux d’un couscous généreusement offert par Mourad et Sofiane, les propriétaires des lieux.
Youcef Zirem, connu pour son engagement indéfectible en faveur de la littérature et de la culture berbère, mettra son talent d’animateur au service de cette soirée, tandis que Brahim Saci illuminera l’assistance de sa poésie envoûtante et de sa sympathie singulière.
Cette rencontre littéraire s’annonce comme un moment d’échange privilégié, où la magie des mots se mêlera à la chaleur de l’accueil parisien.
Les amateurs de littérature et les curieux sont invités à rejoindre cet événement qui promet une immersion totale dans l’univers poétique et culturel de deux artistes de talent.
H. Banoune
Informations pratiques :
● Date : Dimanche 21 avril 2024
● Heure : À partir de 18h
● Lieu : Café de l’Impondérable, au 320 rue des Pyrénées, 75020 Paris
● Entrée libre et gratuite
Mardi 16 avril 2024
DIASPORADZ
……………………………………………………………..
La source inépuisable de Brahim Saci
Le poète sait regarder le temps qui passe, il a la capacité de trouver les mots pour dire la nostalgie, la mélancolie et surtout l’harmonie fugitive du monde. C’est ce que fait Brahim Saci dans son 16e livre de poésie, « L’Eclaircie fugitive ».
Préfacé par Frédéric Lemaître, ce nouveau recueil est un régal pour ceux qui adorent les errances du poète. « Ce monde n’est pas sérieux, si tu es pauvre et malheureux, tu deviens la risée des fous, se moquent de toi les loups », confie le poète.
Paris est cette ville omniprésente dans l’œuvre du poète même s’il a parfois froid quand celle qu’il aime n’est plus là. Mais la vie est ainsi faite : elle est jalonnée de hauts et de bas. La musique chaâbie est aussi une belle compagne du poète qui cite ses interprètes favoris ; il les écoute souvent, avant de créer à son tour, ses chansons.
Oui, en langue kabyle, Brahim Saci chante ses propres textes, souvent empreints de spiritualité. En langue française, il versifie, il se met à rêver, il se pose des questions. « La terre pourrait être un paradis, où s’épanouit la vie, sans les larmes, sans les armes », affirme Brahim Saci dans une magnifique envolée humaniste.
Mais les guerres ne s’arrêtent pas, la folie des hommes est sans limites. Restent les bistrots de la ville qui offrent un répit, qui apportent, dans une ivresse harmonieuse, du soleil même quand le brouillard sévit.
Demeurent les mots et leur musique ; c’est à partir de là que naît ce monde imaginaire tant colorié. « La plume est salvatrice, comme une oasis, du désert brûlant, qui sauve les errants », rappelle Brahim Saci. Avec ce 16e ouvrage, le poète continue son impressionnant voyage ; il a ainsi trouvé une source inépuisable. Rares sont les poètes qui ont publié tant de livres de poésie ; une vraie prouesse.
Et le fleuve poétique de Brahim Saci continue de couler, tranquillement. « Le vrai créateur, a les yeux pleins de bonheur, il donne sans compter, il brille, il est vrai », estime Brahim Saci en direction de ces jaloux, de ces gens de mauvaise foi.
Au fil des années, la poésie de Brahim Saci prend de l’assurance ; elle s’en va sur les chemins de l’essentiel pour raconter, pour témoigner, pour se questionner. Bonne continuation poète ! Au prochain livre !
Youcef Zirem
L’Eclaircie fugitive de Brahim Saci, éditions du Net, 125 pages, 2024
mercredi 27 mars 2024
lematindalgerie.com
________________________________________________________
Photo Nicolas VAN PRAAG
UN VERRE DE POÉSIE
UN POÈTE A TOUJOURS SES PROPRES REPÈRES, SES LIEUX DE PRÉDILECTION QUI DONNENT CORPS À SA VERVE ET QUI NOURRISSENT SON VERBE ASSOIFFÉ D’EXISTENCE. POUR BRAHIM SACI, UN DE CES LIEUX EST L’IMPONDÉRABLE, BAR DU 20ÉME ARRONDISSEMENT DE PARIS OÙ LA CHALEUR KABYLE RÈGNE AVEC PANACHE ET UNE GENTILLESSE ABSOLUE.
C’est ici que je rencontre l’auteur et musicien, car sa guitare n’est jamais loin. Brahim est sur le point de publier son seizième recueil de poésies, L’éclaircie fugitive, toujours aux Éditions du Net, mais qu’il en a fallu des solitudes à dompter, des errances à consoler, des sourires à partager.
D’où lui vient ce goût des mots ?
« La poésie m’a été transmise par ma mère qui était elle-même poète. Elle chantait également et aimait dire des contes. Petit, pendant les soirées d’hiver elle me jouait des scènes théâtrales, c’était extraordinaire…du coup j’en oubliais le froid. » Les cafés sont des lieux de vie fabuleux. « C’est un lieu où on peut devenir fou. » disait Van Gogh en parlant de ceux qu’il avait fréquentés dans le sud de la France.
Le bruit de la jeunesse et le rire de l’ivresse se mélangent ici de tous côtés à ’impondérable, comment alors ne pas être inspiré ? « J’ai beaucoup écrit ici, à cette table où nous sommes » me dit Brahim, tout près du comptoir. « J’écris même sur des nappes » continue-t-il en me sortant de sa poche un monceau de feuilles froissées, aussi précieuses que des papyrus. Tout est écrit en français, c’est un vrai trésor personnel qui reste un instant sur la table avant de repartir sous les plis de sa veste. « L’impondérable », dit-il pensif, plein de reconnaissance, « Et quel nom, le lieu où tout peut arriver… La muse dont je parle dans mes livres me donne souvent rendez-vous ici. Parfois en voyant ma table, j’ai l’impression qu’elle m’attend. » Sa muse c’est Amélie, compagne de tant de bons moments passés qui un jour s’en est allée voir ailleurs… et a tout perdu. La vie dans les bars c’est aussi une vie d’ivresse qui parfois fait mal. « J’en parle dans certains poèmes, me disant qu’il faudrait m’en éloigner, parce que le corps s’use et que la muse me pousse au bord du gouffre. Elle me retient aussi pour ne pas que je tombe. Alors l’ivresse, oui, l’ivresse des mots… mais à quel prix, les poèmes sont chers payés ! »
Ce soir, c’est ambiance de fête avant Noël et les responsables du lieu nous offrent un merveilleux repas. Le vin chaud senteur cannelle taquine ainsi nos papilles et il fait bon être ici, il fait bon échanger paroles et pensées avec un poète au cœur de son palais. La gentillesse de Brahim, son sourire, son attention, sont ce qui vous saisit de suite et rares sont les rencontres aussi chaleureuses et immédiates. Quelle chance ! Alors ici tout peut valser comme dans une chanson de Jacques Brel, autre parolier que Brahim estime. Pendant que je me régale de mets délicieux, le poète me lit à voix haute ses dernières œuvres, offrant au bruissement du bar un écho tout en douceur où sa poésie se libère en quête d’un idéal. Brahim écrit en vers, en quatrains plus exactement, mais n’est-ce pas une trop grande contrainte ? « C’est une forme qui s’impose, fluide et musicale, elle me rapproche donc de la guitare, de la musique… »
Sur sa chaine youtube, il dispose d’ailleurs régulièrement ses créations, généralement chantées en kabyle mais parfois ce sont des chansons bilingues, kabyle/français. « Ma musique est influencée par la musique classique populaire algérienne, le chaâbi, une musique qui se transmet de maître à maître, certains d’entre eux m’inspirent énormément, comme Amar Ezzahi, El Hadj M’hamed El Anka, Maazouz Bouadjadj, Abderrahmane Aziz, Slimane Azem. »
L’impondérable se transforme également le dimanche en café littéraire et ce, depuis des années. Les rencontres s’enchaînent. S’ensuivent parfois des entretiens que Brahim réalise pour le journal numérique Le Matin d’Algérie, successeur du journal papier, Le Matin, fermé par les autorités algériennes en juillet 2004, pour sa liberté de ton. En être de partage, il prête attention aux autres et par son intérêt pour leur travail les mets en lumière, à sa façon, pour le bien de tous. Mais tout entouré qu’il est, Brahim Saci en revient souvent à la solitude dans ses écrits. « La solitude on la subit, on la supporte, on en pleure… on en crève, c’est une prison. La muse nous offre la délivrance, mais la muse c’est à la fois l’amie et l’adversaire. Quand elle n’est pas là on la recherche et quand elle est trop présente on en souffre. Elle est un remède à l’ennui. La muse allège l’absence. La solitude c’est l’enfer des flammes, c’est le gouffre, l’abîme… elle étouffe, mais est aussi une bouffée d’oxygène. Pour écrire il faut beaucoup lire. Je suis un grand lecteur de poésie, je me nourris de poésie. Il n’y a pas un seul jour sans que je ne lise des poèmes. Baudelaire c’est l’ami qui m’accompagne, mais c’est aussi l’ennemi car certains de ses poèmes me transpercent, me transportent. Je comprends sa nuit, je suis passé par là : “ Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ! ”, mais mes sources d’inspiration sont nombreuses, pour la poésie en langue française, de Clément Marot à Rimbaud, Brassens, Ferré. Le génie de Brel m’émerveille, j’ai beaucoup écrit en l’écoutant. Pour la poésie en langue kabyle, il y a également Si Mohand Ou Mhand et Slimane Azem. »
La politique est souvent mise à l’index dans la poésie de Brahim et toutes les décisions gouvernementales qui nous ont muselés pendant la crise sanitaire. « Pour moi le poète est un gardien, il est la parole libre, la parole indomptable ! On s’est attaqué à nos libertés les plus élémentaires. On nous a interdit le libre arbitre et les médias sont à leur solde. On a pris le peuple pour un mouton de Panurge. L’intelligentsia marche au pas, elle est monnayable… je cite souvent Stéphane Hessel, “ Indignez-vous ! ” Je parle aussi du déclin de l’Europe, des lumières aux ténèbres, l’Europe qui sacrifie ses enfants et les peuples transformés en cobayes pour satisfaire l’appétit des laboratoires, on voit comment le pouvoir absolu s’installe peu à peu, on veut nous interdire de penser, la perte du sacré a laissé la place au veau d’or, le matérialisme sauvage détruit et ravage tout, les libertés, les idéaux, les valeurs. Le mensonge est roi, un retour du sacré et des arts, la poésie en particulier, sauveront le monde. »
Puis la ronde festive du bar s’emporte dans un nouvel élan de jeunesse ivre de connaissance. Un jeune homme reconnait Brahim, se souvient de lui avoir parlé ici. Lui, son kiff c’est l’écriture de Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de La Colline, à deux pas d’ici. On sent clairement que ce jeune homme est dans un rapport de transmissions comme l’est la parole de nos poètes.
Nous en parlions, parmi ses thèmes de prédilection, Brahim creuse de livre en livre l’obsession de la muse qui est présente dans chacun de ses recueils. « Un tel amour on ne le rencontre qu’une fois dans sa vie, et pourtant j’ai eu d’autres amours lorsque j’étais caricaturiste à Montmartre. Ce qui est passé est perdu et j’essaie de le recréer avec la musique, je l’idéalise… Pour alléger le poids de l’absence je me suis mis à beaucoup écrire, à beaucoup boire, chaque livre est une bouffée d’oxygène. Puis il y a ma guitare. Je la regarde et j’ai l’impression qu’elle me parle et me dit : “ Écoute, assez de livres, et moi ? ” Mais c’est le destin, il fallait que ces livres existent ! »
Dans son avant-dernier livre L’épreuve vers la voie il dit que sa poésie crée sa réalité : « Je ne me sens vivre qu’en écrivant et personne ne doit nous dire comment regarder, quoi choisir… on me dit parfois que ce que j’écris est triste, mais ce ne sont que des poèmes, pas plus, et en même temps la tristesse fait partie de la vie. Il faut regarder la beauté de la poésie, c’est comme un tableau. Je peins avec les mots, la poésie c’est l’émotion et l’art te met en connexion avec toi-même. Alors j’ai l’impression d’avoir vécu plus de mille ans. J’ai toujours vécu dans l’art, mon cœur je le nettoie chaque jour vers un élan spirituel, l’art ce n’est que de l’amour ! ».
Ainsi, la voix poétique de Brahim Saci habite le monde, habite les nuits parisiennes qui font de lui un homme de lumière dont la parole trace des liens fraternels. Puissent ses mots résonner longtemps, pour le bonheur de tous et pour toutes les douleurs enfouies que panse la poésie.
FRÉDÉRIC LEMAÎTRE
Revue Persona n°25, février 2024.
www.youtube.com/@15328brahimsaci
www.brahimsaci.com
www.brahimsaci.blogspot.com
_______________________________________________________
La voie spirituelle de Brahim Saci
Quand la poésie devient un délice, elle mène à tout. Elle s’avère, alors, le chemin adéquat vers l’essentiel, dans un monde tourmenté, qui perd de plus en plus son humanité.
Pour son quinzième livre, L’Epreuve vers la voie, Brahim Saci arrive à trouver les mots justes et profonds pour dire son malaise, ses multiples expériences et surtout son espoir de voir les situations évoluer vers de meilleures perspectives. Préfacé par mon frère Mohand-Chérif, ce nouveau recueil conduit le lecteur vers la voie spirituelle du poète.
C’est une spiritualité apaisée et sereine, loin de tout intégrisme, ou encore intolérance. Cette spiritualité baigne dans un havre de paix. « La terre attend ce qu’il lui revient, pour que poussent des jardins, le souffle retournera à l’univers, pour le moment, il m’offre un verre », confie Brahim Saci. Paris et ses splendides bistrots est toujours l’un des acteurs du monde du poète ; il s’y promène, puise son inspiration, fait de belles rencontres et médite.« La lumière est toujours vive, je suis encore sur la rive, le naufrage peut attendre, il me reste encore à donner à apprendre », souligne Brahim Saci dans une forme d’humilité admirable. Mais le temps passe vite ; Baudelaire disait qu’il gagne à chaque coup, sans tricher. Oui, le temps, cette invention qui nous dépasse, est toujours un mystère. L’Homme se cherche, il peut croire tout comme il peut avoir un semblant de doute. Face à sa déroute quotidienne, l’Homme se réfugie dans les mots ; la poésie vient ainsi atténuer ses angoisses.
Comme d’habitude, Brahim Saci revient vers ces séparations qui font mal, qu’on ne comprend pas toujours ; il tente d’inventer un espoir même impossible, mais les jours sont, parfois, impardonnables. « Si votre cœur s’émerveille, de la beauté, de l’amour retrouvé, silence, sinon, on viendra vous voler votre soleil », tel est le conseil de Brahim Saci. Poète discret, son fleuve poétique semble ne pas se tarir. Bons vents l’ami !
Youcef Zirem
PS 1 : L’Epreuve vers la voie, 121 pages, éditions du Net, Paris, 2023
PS2 : Brahim Saci sera mon invité ce dimanche 12 novembre 2023 au 205e café littéraire de l’Impondérable à Paris, au 320 rue des Pyrénées, à 18h
Jeudi 9 novembre 2023
Le Matin d’Algérie.
Lematindalgerie.com
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Brahim Saci, l’artiste reliant les arts
Brahim Saci est l’un des poètes kabyles de langue française les plus prolifiques de sa génération. En quelques années, il a publié quinze ouvrages de poésie aux éditions du Net. Mais Brahim Saci, ce n’est pas seulement la poésie, c’est aussi un chanteur auteur compositeur reconnu de l’École sur les traces du légendaire Slimane Azem, puisqu’il lui ressemble par le style et le timbre vocal. Il suffit de s’offrir une petite balade sur YouTube pour découvrir son talent…
Le Matin d’Algérie : À travers tes contributions sur le Matin d’Algérie, les lecteurs te connaissent certainement, mais parles- nous de ton parcours
Brahim Saci : C’est vrai que certains lecteurs du Matin d’Algérie me connaissent depuis que je donne quelques articles ; avec le temps, le site est devenu l’un des rares espaces de la liberté d’expression. Il faudra donc le préserver.
Pour revenir à mon parcours, je dirais qu’il s’est fait entre l’Algérie et la France. Je suis né en Kabylie, je suis venu en France, enfant, mon père, ancien militant et responsable de la fédération de France du FLN, avait voulu que je le rejoigne. Je suis arrivé, désorienté, puis, doucement, j’ai réussi à trouver mes marques grâce aux membres de ma famille, installés déjà dans l’exil.J’ai poursuivi ma scolarité qui s’est terminée à l’université. Entretemps, j’ai découvert la poésie, kabyle et française ; j’ai eu la chance de rencontrer des chanteurs kabyles d’importance dans les cafés parisiens et là, je me suis moi-même mis à élaborer mes premières chansons. Quant à la poésie française, je l’avais un peu délaissée jusqu’à ce que je la reprenne ces dernières années. Je me suis alors plongé dans la création poétique comme jamais ; je viens de publier mon quinzième livre de poésie, L’Épreuve vers la voie.
Le Matin d’Algérie : Comment en es-tu arrivé à la poésie et au chant ?
Brahim Saci : Le chant m’est tombé sur la tête en écoutant les chanteurs kabyles dans les cafés kabyles de Paris ; en découvrant surtout la profondeur exquise de l’œuvre de Slimane Azem, paix à son âme. Je me suis mis à écrire mes propres chansons et d’autres poésies kabyles. Quant à la poésie de langue française, je l’avais déjà rencontrée durant le lycée ; j’ai aimé les grands poètes, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud et tant d’autres. À cette époque-là de la jeunesse romantique, j’avais écrit des poèmes en français mais je me suis un peu éloigné de la création poétique dans cette belle langue. Jusqu’à ce que l’envie d’écrire en français ne revienne me hanter et me pousser à exprimer mes sentiments, mes nombreuses quêtes dans la vie, ces dernières années. Je n’arrête pas d’écrire, la poésie m’est devenue aussi nécessaire que le pain et l’eau. Livre après livre, je vis cette passion de la poésie française avec un certain bonheur.
Le Matin d’Algérie : Quels sont les artistes qui t’ont le plus inspiré ?
Brahim Saci : Beaucoup d’artistes m’ont inspiré. Je ne pourrais pas les citer tous mais il y a parmi eux Slimane Azem, Youcef Abjaoui, Matoub Lounès, Ait Meslayen, cheikh El Hasnaoui, El Anka, Amer Ezzahi, Si Tayeb Ali. J’ai souvent assisté aux concerts de Youcef Abjaoui, un virtuose, un maître du châabi, dans les cafés parisiens, mais je ne l’ai jamais pris en photo ; c’est l’un de mes plus grands regrets. Ait-Meslayen, je l’ai beaucoup fréquenté ; c’était un créateur de génie. Matoub Lounès aussi je le rencontrais souvent ; nous avions eu ensemble de longues discussions empreintes de respect et de correction.
Le Matin d’Algérie : Quand et pourquoi as-tu quitté le pays ?
Brahim Saci : Je suis venu rejoindre mon père en France, étant encore enfant, à la fin des années 1970. Mais je n’ai pas perdu le contact avec le pays ; je me suis aussi efforcé à ne pas perdre la langue kabyle et j’ai réussi en revenant durant les vacances en Algérie à garder des liens solides avec le pays. Mais la situation de ces dernières années est, à bien des égards, assez difficile.
Le Matin d’Algérie : Donnes-tu des concerts en France ?
Brahim Saci : Il m’est arrivé de me produire dans certains endroits. J’ai souvent chanté dans le conservatoire du huitième arrondissement de Paris. Mais, dans l’ensemble, je suis rarement invité à le faire. Comme si, les organisateurs de ce genre de rencontres artistiques choisissaient toujours les mêmes. Mais ce n’est pas grave, je continue à créer de nouvelles chansons que je mets tout de suite sur YouTube et de nombreux mélomanes sont heureux de les écouter sur internet.
Le Matin d’Algérie : Et en Algérie ?
Brahim Saci : En Algérie aussi, je me suis rarement produit. C’est encore plus difficile là-bas. Je vis loin du pays et il n’est pas toujours évident d’avoir une place pour une voix libre qui aspire à la liberté, à la démocratie, dans notre pays qui passe par des moments assez durs, où la misère sociale fait des ravages.
Le Matin d’Algérie : Comment vois-tu le futur de notre pays ?
Brahim Saci : Le futur immédiat de notre pays semble bloqué. On ne peut pas s’en sortir sans plus de liberté, de justice sociale. Mais il ne faut pas perdre espoir ; il y a encore des gens qui se battent pacifiquement pour un vrai changement, dans le sens positif.
Le Matin d’Algérie : Le mot de la fin ?
Brahim Saci : Je salue le travail considérable et précieux du site du Matin d’Algérie. Je souhaite le meilleur à notre pays ; j’espère que les conflits armés, à travers le monde, vont cesser et que l’Homme va se réveiller, une fois pour toute, pour aller vers la paix. Car, sur cette belle Terre, il y a, en réalité, de la place pour tout le monde.
Pour le plaisir des oreilles, écoutez donc le titre suivant et focalisez bien sur la voix. Elle ressemble bien à s’y méprendre à celle de Dda Slimane :
https://www.youtube.com/watch?v=D6pcHjf3NNs
Entretien réalisé par Kacem Madani
Mercredi 25 octobre 2023
Le Matin d’Algérie.
Lematindalgerie.com
………………………………
Brahim Saci ou la poésie qui déchire les brouillards
jeudi 1 juin 2023
La course folle des années inspire encore plus le poète. Brahim Saci continue son impressionnante aventure poétique : il vient de publier son 14e livre de poésie, intitulé, Les Ailes sur les braises. « Ô troubadour, continue de chanter l’amour, pour écarter des chemins les ronces », ainsi l’inspiration est toujours au rendez-vous.
La tristesse se mélange au bonheur, la vie s’offre à l’artiste, comme elle est ; diversifiée, multicolore, fuyante. Au fil des années, la poésie de Brahim Saci s’affine, s’améliore, avec de nouvelles épures, de nouveaux regards sereins et lucides.
Préfacé par Kamel Zirem, mon frère, ce nouveau recueil de Brahim Saci ambitionne de dissiper les brouillards. « Attire, aspire, ô ma guitare, garde-moi ce parfum rare, celui des arts, qui déchirent les brouillards, qui mène quelque part, où l’on arrive, où l’on ne repart ». Parfois le poète accepte la solitude. « La solitude me tend la main, et me rappelle ce refrain, de cette chanson, de chaque saison ». Mais le doutes pleuvent, le poète continue à errer dans cette grande ville dont il connaît les moindres recoins.
Cette ville qui se souvient de l’harmonie de jadis. De nombreuses quêtes parsèment ce nouveau livre ; certaines ont déjà été abordées dans les précédents livres, d’autres non. « La muse enlève quelques voiles, quelques mystères se dévoilent, et tu t’accroches au poème, tu versifies, tu sèmes ». La géographie chère au poète revient encore une fois l’habiter : la Normandie, Paris, l’Algérie, la Kabylie. On sent que ces poèmes aident le poète à se maintenir en forme, à garder précieusement sa mémoire.
L’instant présent est glorifié. « Toi comme cette cigale, le temps qui passe t’est égal, tu bois à la belle saison, tu offres tes chansons, aux vents, tu ne penses qu’à ce moment, sublime, qui t’offre ses rimes ».
Le poète veut avancer et pardonner. Avec le temps, la sagesse impose ses lois, justes et implacables. Comme Dostoïevski, il veut croire à la beauté. « Emerveillé par les mystères, de l’énergie qui parcourt l’univers, et de toute créature créée, tu ne vois partout que la beauté ». Tant de lumière vient alors remplir la vie du poète qui veut partager ces éclats avec tous les habitants de la Terre.
Youcef Zirem
Les Ailes sur les braises, de Brahim Saci, éditions du Net, mai 2023, 121 pages.
https://lematindalgerie.com/
Le Matin d’Algérie.
__________________________________________________________________________
La méditation poétique de Brahim Saci
9 mars 2023
Il est souvent question du temps dans le treizième livre de poésie de Brahim Saci, intitulé, « Le Chant qui délivre ».
Le temps dévore tout ; « avec nous, il joue, emportant les êtres chers, nos rêves et nos prières». Cependant la guitare du poète est juste à côté ; elle essaiera de résister. Entre fable et réalité, le poète voyage et fait voyager ses lecteurs. Mais le monde a peur.
Le mensonge contribue à accenteur les différentes angoisses des peuples. Dans un Paris artistique qui se renouvelle, qui sait donner du bonheur, le poète se promène et saisit l’inspiration.
« La voix du talentueux Azal Belkadi, me transporte ce soir en Kabylie, il rend hommage à sa mère, l’émotion ébranle la terre », confie Brahim Saci. « Je me suis rappelé ma mère, mon univers, les larmes aux yeux, le cœur en feu », ajoute le poète.
Face au malheur et au désespoir, le poète convoque une certaine sagesse. « J’ai connu l’Eden, peuvent bien souffler les peines, aujourd’hui, j’accepte la nuit », soutient le poète.
Le matérialisme détruit les valeurs, la finance s’accapare des espaces précieux de l’humain, le monde se perd. Le constat du poète est parfois cruel. Mais il se ressaisit quand il pense à son art, aux mots qui le propulsent vers le meilleur.
L’attente est celle de l’aimée partie depuis un moment. L’attente de son retour se fait cruelle. Les années passent à une vitesse vertigineuse ; l’essentiel est dans l’instant présent. Seul l’instant présent est vrai avant qu’il ne devienne poussière comme tout ce qui fait l’existence humaine. Les pouvoirs sont instrumentalisés, les médias semblent fuir la vérité, les calculs des uns et des autres ne sont pas similaires. Le poète veut juste remplir son cœur d’amour.
La chanson est également un bon compagnon dans ce désert des rapports humains heureux. « J’écoute Ezzahi, et j’oublie le gris, l’encrier se remplit, la plume revit », écrit Brahim Saci.
Elégamment préfacé par le thérapeute Hamid Salmi, chercheur en ethnopsychiatrie, Le Chant qui délivre, est un précieux livre qui pousse le lecteur sur les chemins de la méditation salvatrice. Le poème se fait le guide de la sagesse. Il y a dans ces textes de la générosité, de l’harmonie et du questionnement. « Tu sais que le bonheur est possible, il est à tous accessible, si chacun veut se purifier, prendre un temps pour méditer », avoue Brahim Saci. Le Chant qui délivre, est un livre reposant, rempli de belles mélodies qui inventent d’autres possibilités dans un monde déroutant et bloqué.
Youcef Zirem
Le Chant qui délivre, de Brahim Saci, éditions du Net, 2023
Accueil
Le Matin d’Algérie.
________________________________________________________________
Les voyages poétiques de Brahim Saci continuent
03/11/2022
Qu’il pleuve ou qu’il vente, Brahim Saci écrit de la poésie. Il vient de sortir son 12e recueil, intitulé, Inaccessible parfum, avec une belle et somptueuse préface, signée par l’écrivain et universitaire de renom, Hacène Hirèche.
« On a eu notre part/ De perle rares/des arts/des brouillards/Des ombres, de la lumière/J’ai partagé mon verre/avec la nuit le jour/Joies et blessures de l’amour/Si nous chagrine l’adversité/elle ne nous détourne pas de l’amour », écrit-il.
Pour décrire un monde ténébreux, le poète observe les méchants ; il constate que l’amour est sacrifié. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Le monde semble, parfois, changer mais il ne fait que prendre quelques couleurs différentes. Le fond reste le même. L’aimée est partie ; le chagrin de la séparation perdure. Les histoires se terminent ; le sage sait que c’est ainsi, qu’on n’y peut rien. « Je m’incline devant ta volonté/j’accueille présent et passé/avec amour/je regarde la course des jours », confie le poète à l’adresse du Seigneur.
Pour ce présent recueil, le poète nous dit écouter Amar Ezzahi et Slimane Azem en écrivant ; ces deux astres le guident vers les chemins de la création. Amar Ezzahi c’est cet exilé de l’intérieur qui a vécu dans l’humilité et la liberté, sans qu’aucun pouvoir n’ait réussi à le corrompre, d’une façon ou d’une autre.
Amar Ezzahi a vécu parmi les siens, parmi le peuple qui l’adorait, qui le respectait. Amar Ezzahi ne s’est jamais marié ; il n’a pas laissé d’enfants mais son œuvre artistique sera toujours là pour témoigner de son génie. Slimane Azem, c’est l’exilé de l’extérieur qui a souffert de l’éloignement, de la marginalisation. Toute sa vie, Slimane Azem a tenté de guider son peuple avec des mots inspirant la bonté et la beauté. Slimane Azem s’est marié mais il n’a pas eu d’enfants.
Cependant son œuvre artistique est colossale ; elle est revisitée au quotidien par ses nombreux admirateurs. « Quand une âme pleure/ quand se brise un cœur/ Evitez de juger/ la roue peut tourner », souligne Brahim Saci. Car « La vie n’est qu’un voyage/ parfois rempli d’orages/ De naufrages/ D’épaves sur les plages ». Patience, la lumière connaît son chemin.
Le poète finira par trouver ses marques, son chemin et son harmonie. Patience, le bonheur est déjà dans cette attente qui finira, qui donnera ses fruits. Patience, puisque tout passe. Patience, le pouvoir de la poésie est, parfois, sans limites.
Youcef Zirem
Inaccessible Parfum, de Brahim Saci, éditions du Net, 2022.
Accueil
Le Matin d’Algérie.
Brahim Saci part sur les chemins de l’errance
12/07/2022
C’est la passion amoureuse qui domine le onzième livre de poésie de Brahim Saci, « L’Ombre d’Amélie ». Les mots viennent ici à la rescousse du poète pour l’aider à supporter mieux la douleur de la séparation.
« Adieu le temps où tu m’aimais, aujourd’hui tu fais semblant de rêver, la bêtise, les désirs, les illusions ont eu raison de notre passion », soupire le poète.
Préfacé par Hacène Hireche, ce dernier recueil de Brahim Saci continue un souffle poétique qui ne s’arrête pas.
Bonheur gâché, la rupture pousse le poète sur les chemins de l’errance. Résister au malheur n’est pas toujours chose aisée.
« Dans la nuit, je cherche ta main, le cœur plein, de toi depuis longtemps, peut-on revenir comme avant ? », se demande le poète. Mais il n’y a personne pour lui répondre. Seul le passé, avec ces voyages en Normandie, en Kabylie, vient secouer cette léthargie que les jours ont imposée.
Les souvenirs sont inoubliables mais ils deviennent, parfois, encombrants, ils empêchent le renouvellement de l’harmonie. Celle qui est partie était musicienne : « Jadis nos guitares jouaient à l’unisson, nos regards dans la passion, tu as tout brisé pour suivre ces batraciens, au chant qui fait fuir les musiciens ».
Le poète continue à se poser des questions sur la société, sur les parents, sur les fréquentations pour trouver des réponses. Mais les certitudes sont rarissimes. « Quand tout s’assombrit, que suffoque la vie, le poème est cette bouffée d’air, comme cette pluie qui redonne vie à la terre », écrit Brahim Saci.
D’un moment à un autre, le poète veut se faire sage : « Quand on perd un être cher, on se rend compte que tout est éphémère, soyez vous-même, ne cherchez ni à plaire ni à déplaire ». Quand il pense au passé, le poète a l’impression d’avoir rêvé. Le présent est difficile à supporter. « Le mensonge prospère, les roses se pressent pour lui plaire, l’ego cet ennemi, peint notre ciel de gris », souligne-t-il.
L’ivresse est alors une solution à envisager ; dans l’état second, le monde d’hier revient, l’espace d’un temps artificiel. « La nuit, je fuis le sommeil, je retiens les ténèbres pour retarder le soleil, est-ce la peur du jour ? ou l’habitude des cieux lourds », se demande le poète.
Mais il reste le pardon pour espérer aller vers d’autres horizons et oublier. Il reste les mots pour tenter de minimiser la douleur. Il reste surtout le temps qui met fin à tout, qui s’impose irrémédiablement, qui fait exiler, au loin, même le souvenir le plus tenace.
Youcef Zirem
L’Ombre d’Amélie de Brahim Saci, éditions du Net, 2022
Accueil
Le Matin d’Algérie.
Nuits de l’hiver » de Brahim Saci
Les mots s’avèrent d’un grand secours, pour continuer le chemin, c’est ce que, entre autres, nous dit Brahim Saci dans son dixième livre de poésie, Nuits de l’hiver, paru récemment aux éditions du Net.
« Continuons la route, protégés par la voûte, céleste qui émerveille, tout regard qui s’éveille ». Le regard du poète est souvent inspiré quand il tente de saisir le meilleur, à chaque instant, à chaque jour. La patience est une vertu. « Je patiente, je ne suis plus dans l’attente, ceux qui courent faire sonner le glas, je les laisse au ciel, il s’en chargera ».
La peur est également inutile. « J’avance je n’ai plus peur, chaque instant est un bonheur, la lumière remplit mon cœur, à la vue d’une fleur ».Mais les souvenirs douloureux reviennent, la séparation laisse des traces impérissables. « S’approche le gouffre, l’âme souffre, la muse retient le pas, et me dit, souviens-toi d’Etretat ». Le poète continue ses pérégrinations dans les estaminets de Paris ; il décrit les libertés qui sont, parfois, malmenées même en démocratie, il se pose des questions sur la finance internationale qui cherche toujours à dominer le monde. Brahim Saci veut retenir le temps, retenir la beauté de l’instant.« Je veille je retiens l’aurore, je défie le sort, je ne suis pas pressé, un pied dans le passé, un autre dans le présent, je déchire l’instant, je défie les vents ».
La solitude est un mal des temps modernes ; l’individualisme supprime le vrai rapprochement.« Les cheminées fument, les espoirs se consument, chacun est recroquevillé dans sa solitude, dehors c’est la servitude ». Et le temps se fait lourd, le poète continue ses errances. « Soufflez ô vents ! Lourd est le temps, emportez-moi, éloignez-moi, de ces contrées où le crime est toléré, où se meurent les libertés, où le veau d’or veut régner ».Ce dixième recueil de Brahim Saci est assez pessimiste, il est, peut-être le reflet d’une époque difficile à vivre. Mais au bout du chemin, il est à espérer des temps meilleurs, des sursauts salvateurs.
Youcef Zirem
« Les Nuits de l’hiver » de Brahim Saci, éditions du Net 2022, 117 pages
Le 22/04/2022
Le Matin D’ALGERIE
Https://lematindalgerie.com/
____________________________________________
Brahim Saci : « J’écris pour le plaisir, par passion »
Brahim Saci est l’un de ces nombreux expatriés algériens qui de par leur talent et leur génie, sont les ambassadeurs de leur pays à l’étranger. Le natif de Tifrit Naït Oumalek au pied de l’Akfadou est à la fois, Auteur, Compositeur, Interprète d’expression franco-Kabyle, dessinateur, caricaturiste et portraitiste.
Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
C’est toujours relativement difficile de parler de soi. Mais je vais essayer. Je suis né en Kabylie, je suis arrivé à Paris à l’âge de dix ans. Je me suis accroché à la vie parisienne, les études m’ont aidé. Après mon diplôme universitaire, je me suis retrouvé à travailler pour le service culturel de la ville de Paris. Entre-temps, j’ai réalisé des albums de chansons kabyles du genre châabi et j’ai publié 9 livres de poésie en langue française. Je suis passionné de culture, de spiritualité, de musiques du monde, de tout ce qui donne du bonheur aux gens.
Quel est votre parcours ?
Mon parcours est celui de nombreuses personnes de ma génération. J’ai eu la chance de faire le collège et le lycée en région parisienne, j’ai fait après un cursus universitaire qui m’a permis de rencontrer de nombreuses belles personnes. La vie est toujours plus coloriée quand on saisit la chance de partager des passions avec les autres. Ainsi j’ai également dessiné durant des années sur les plus prestigieuses places parisiennes, tout comme j’ai fait durant des années de la radio. Cela a élargi mes horizons, cela m’a ouvert les yeux sur les autres, sur le monde en général.
Quel est votre rapport à la lecture, la littérature ?
La littérature est l’une de mes plus grandes passions. Je suis un grand lecteur depuis de longues années. J’ai beaucoup lu les classiques français avant de diversifier mes lectures en s’intéressant aux auteurs des quatre coins du monde. Et chemin faisant, je me suis mis à écrire. La poésie est devenue une amie intime ; j’ai ainsi publié aux éditions du Net à Paris 9 livres de poésies. ( Le crépuscule du bon sens )
Comment écrivez-vous ?
J’ai toujours de quoi écrire, j’écris dès que l’inspiration me rend visite. Une fois le poème terminé, je le mets sur les réseaux sociaux. J’aime ce partage avec mes amis qui apprécient mes poèmes. Au fil des jours, cela fait un ensemble de poèmes qui peuvent constituer un livre. C’est laborieux, c’est prenant, mais c’est aussi magnifique de pouvoir s’exprimer sur plusieurs sujets dans une époque tourmentée. Cette évolution à partir de l’éclosion du sujet et jusqu’à sa mise en écriture.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire votre dernier livre ?
Les sujets que je traite sont diversifiés. Il y a plusieurs thématiques dans ma poésie. Dans mon dernier livre, la perte des libertés due aux contraintes sanitaires est un thème que j’aborde. Les pouvoirs sont toujours là prêts à utiliser toutes les méthodes pour museler les libertés. Mais d’autres sujets, l’amour, les déchirures de l’amour, la spiritualité sont aussi d’autres sujets présents dans mon univers poétique.
Avez-vous une pratique d’écriture individuelle ?
Tout écrivain a des pratiques propres à lui. Pour ma part, il m’arrive de me réveiller pour aller noter une idée durant la nuit. Il m’arrive d’écrire dans les cafés de Paris même si ces lieux sont parfois très animés.
Avez-vous déjà participé à un concours littéraire ?
Non, je ne participe aux concours littéraires. J’écris pour le plaisir, par passion. Je me fais d’abord plaisir, puis ceux qui aiment ma poésie sont également satisfaits. C’est déjà énorme !
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
C’est probablement la poésie de Baudelaire. Puis d’autres poésies sont venues accompagner ma vie quotidienne.C’est le cas de Rimbaud, de René Char, de Mohand Ou Mhand, cheikh Mohand Oulhocine, Slimane Azem et tant d’autres. Les surréalistes français m’ont également permis de n’avoir aucun tabou dans mes écritures.
Et votre dernier coup de cœur ?
Mon dernier coup de cœur c’est le journal parisien de Youcef Zirem intitulé Chaque jour est un morceau d’éternité publié par les éditions Douro en France ; sur dix ans, entre 2005 et 2015, il nous emmène sur des chemins de création souvent étonnants, souvent salvateurs !
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui hésiterait à se lancer dans l’édition ?
Il ne faut jamais hésiter ; quand on écrit,il est toujours intéressant de publier, c’est ainsi qu’on partage des sensibilités, des idées, et c’est ainsi qu’on avance. Publier est une étape, elle peut s’avérer difficile mais c’est toujours une aventure enrichissante.
Votre dernier mot ?
Mon dernier mot est relatif à tous ceux qui se battent pour la liberté, la démocratie et la dignité à travers le monde, je leur dis : votre combat apporte du soleil dans le cœur de nombreuses personnes, ne vous découragez jamais, votre combat est un magnifique humanisme !
Par A.Aris
Le 27 janvier 2022 Actualité
Culture
Algérie Expat – Le journal des Algériens d’ici et d’ailleurs. Actualités, Politique, Économie, Football, Société, Diaspora, Voyage, France… https://www.algerie-expat.com
_____________________________
Quand Brahim Saci raconte le pays des ogres triomphants
C’est durant l’année 2016 que Brahim Saci publie son premier recueil de poésie, Fleurs aux épines, une allusion à peine voilée au chef-d’œuvre de Baudelaire, les Fleurs du mal. Il y a quelques semaines, l’enfant de Tifrit At Umalek fait sortir son neuvième livre de poésies, Le Crépuscule du bon sens, toujours chez le même éditeur parisien, les éditions du Net. En relativement peu de temps, Brahim Saci a noirci des pages, saisi l’inspiration et confectionné beaucoup d’ouvrages.
C’est carrément un homme habité par la poésie qui se balade dans les rues de Paris, qui scribouille dans ces estaminets au charme légendaire qui l’accueillent. Ces scribouillages se transforment en un délicieux et captivant voyage poétique. Dans le Crépuscule du bon sens*, Brahim Saci continue ses thèmes de prédilection, la passion amoureuse contrariée, les quêtes spirituelles, les exils, la révolte devant tant d’injustice du monde d’aujourd’hui.
«Le bon sens esseulé essaie de fuir, un pouvoir qui ne sait que nuire, le pays des ogres triomphants, où seule compte la loi des méchants », le poète plante ainsi le décor. C’est, à bien des égards, une description minutieuse d’un monde où le capitalisme fait ravage que le poète offre à son lecteur. Un capitalisme qui sait profiter des crises, de toutes les crises, y compris de la crise sanitaire qui déferle sur tous les pays depuis deux ans. « Je t’attends en vain, le fût est encore plein, je n’arrive pas à m’y faire à cette solitude, même si s’installe l’habitude », reconnaît le poète. Oui, on s’habitue à tout, pour paraphraser le grand poète du plat pays, Jacques Brel.
Mais au fil des habitudes, le temps s’enfuit, et l’on se transforme. La vie est une éternelle transformation qui garde jalousement ses mystères. Le temps s’enfuit et semble ignorer les douleurs de l’Homme, le temps est complètement indifférent au chagrin des uns et des autres. L’Homme préfèrera pourtant le chagrin au néant pour paraphraser un grand conteur du Mississipi, William Faulkner. « Le ciel est obscurci, aucune éclaircie, les colombes les ailes repliées, essaient de se cacher », écrit Brahim Saci dans un moment où le brouillard se fait dense et pesant. Mais aucun brouillard n’est éternel, aucun malaise ne résiste au soleil qu’on peut avoir dans le cœur ; les jours hérités de cette rotation de la Terre continuent leur voyage céleste, ils poursuivent leur progression en spirale.
La poésie de Brahim Saci observe cette énigmatique montée en spirale, elle accumule des mots pour poser des questions et se souvenir. Car le souvenir peut, parfois, sans grands efforts, apporter du soleil dans l’existence de l’homme. Oui, la poésie est ensoleillée même quand elle raconte la douleur et la séparation. C’est ainsi qu’elle est un mystère qui aide les femmes et les hommes à espérer.
Youcef Zirem
Le Crépuscule du bon sens, de Brahim Saci, éditions du Net, 2021″
Le 16 décembre 2021
Le Matin D’ALGERIE
Lematindalgerie.com
______________________________
PORTRAIT.
M’Hamed Azzouz, dernier marchand de journaux et « mémoire de Belleville »
M’Hamed Azzouz, dernier marchand de journaux et « mémoire de Belleville », à Paris depuis 30 ans, M’Hamed Azzouz vend des journaux dans sa boutique de Belleville. Dernier marchand de presse du quartier, ce personnage est une mémoire de cette vie bellevilloise.
Installé à Belleville dans le 20ème arrondissement de Paris, M’Hamed Azzouz ne s’embête plus à ranger, il sait où sont les choses dans sa boutique. « 2, 3, 5, 10… et 20 centimes ! Merci ! » Ce mardi de septembre à 16 heures, le va et vient des clients ralentit. Ouvert depuis 7 heures du matin, M’Hamed Azzouz dit ZZZ – prononcé Zède-Zède par ses plus proches clients – fait preuve de son entrain habituel.
Debout derrière son comptoir de papier, il répète les mêmes gestes depuis 1990 – l’année où il a racheté la boutique de presse située dans le 20ème arrondissement de Paris. « Je suis au courant de tout, avant les radios »Ce jour-là, il a encore quatre heures de boulot devant lui. Et rebelote jusqu’à dimanche. « Je suis bien obligé, les gens veulent leur journal. » À 62 ans, air rieur plaqué sur le visage, il tient à maintenir en vie une profession en déclin. « En mutation défavorable », dit-il.
Pour d’autres vendeurs de presse, la journée commence par la livraison des journaux. Mais M’Hamed, lui, tient à récupérer lui-même sa marchandise au dépôt de Bobigny. Sa route est longue – 47 kilomètres exactement – puisqu’il débarque chaque matin de Soignolles-en-Brie (Seine-et-Marne). Et la journée commence tôt, très tôt. « 6 heures, 6h30 quand je lève le pied », dit-il en grattant son crâne dégarni. Avant de se rendre à la boutique, il livre quelques canards aux bistrots et tabacs de proximité, notamment au Mistral. Un rituel. Arrivé à La Fée Carabine, nom de l’échoppe rue des Pyrénées, il doit débuter la mise en place. Azzouz donne ce nom à son magasin, avec l’accord de Gallimard, en hommage à son ami Daniel Pennac. Ex bellevillois, l’auteur y achetait le journal chaque matin. « C’est un hommage que je lui rends, il en est très touché ! » En plus, Azzouz est sûr d’être la première librairie à porter ce nom. La mise en place ralentit. Avant d’ouvrir son antre, Azzouz lit.
En jogging, avec un gilet en mailles grises et une paire de tongs, il prépare « sa drogue », sa revue de presse. Une habitude qui fait de lui un fin connaisseur de l’actu, auprès de sa clientèle. Féru de lecture, il a ses titres préférés : La Croix et l’Humanité. Deux quotidiens qui ont toujours « une info qui sort du lot ». Marianne, au contraire, il « déteste ».Parle moi d’une info et je saurais te donner le journal correspondant. Je suis au courant de tout, moi. Je suis au courant de tout, même avant les radios.
M’Hamed Azzouz gérant de La Fée Carabine, Il sait que Le Parisien du jour est sous le Libé d’avant-hier. Sa vitrine colle toujours à l’actualité. Cette fois-ci : le dernier hors-série de Télérama, une Une du Monde sur la vaccination et encore quelques hommages à Belmondo. Peu importe si la devanture met en avant un titre choc, autrement-dit d’extrême droite. « Si je devais satisfaire tout le monde, on ne verrait que les murs. » Il affiche ce qu’il aime, « ce qui fait débat », et ça marche. Pas forcément accueillante, sa boutique attise la curiosité. Cartons même pas déballés, piles de journaux et magazines d’il y a six ans jonchent le sol. On y trouve même quelques VHS. Les touristes, stupéfaits, entrent juste pour prendre des photos. Azzouz accueille ses clients dans 38 mètres carré de foutoir. Pourtant, lui s’y retrouve. Il sait que Le Parisien du jour est caché sous le Libé d’avant-hier, c’est son « bordel organisé ». En plus d’être le dernier diffuseur de presse de Belleville – il tient à l’appellation, plus gracieuse que simple vendeur – les gens apprécient son magasin atypique. M’Hamed Azzouz sait qu’il passe pour un dingue. En tout cas « un marginal. »
L’intérieur de la boutique de Belleville, où le bordel est organisé. Conscient que la fin approche. Lui est apprécié pour sa simplicité. Né de parents marocains, Azzouz a grandi dans le Tarn avant de déménager à Melun à douze ans. Son accent chantant témoigne d’ailleurs de sa mixité. Pas superficiel pour un sou, il gère sa boutique comme on gère un bistrot. « Bonjour Madame, vous voulez votre Point de vue ? Un petit café avec ? »Ses clients, il les connaît pour la plupart depuis plus de 25 ans. Si certains comme monsieur Lérès sont aujourd’hui disparus, « paix à leurs âmes », ZZZ se remémore avec émotion un fidèle, dont il a oublié le nom. Un retraité de la télé, si curieux de tout qu’il achetait chaque jour pour trente euros de journaux et magazines. « Il faisait lui-même le compte et par respect, je ne vérifiais jamais s’il s’était trompé ou non. C’était un gars généreux. » En effet, ses clients sont (presque) tous de l’ancienne génération, surtout des retraités. Il insiste ! Ce ne sont pas les nouveaux du quartier qui achètent la presse ! « Pas les bobos… » Azzouz a conscience qu’en tant que diffuseur de presse, la fin approche.
Selon lui, sa Fée Carabine sera bientôt remplacée par un tabac « attrape-nigaud » qui vendra des jeux et le loto. « Le gars vient prendre un millionnaire avec un billet de 50 euros, vous lui changez et le remboursez… C’est une prise de tête. » La proposition lui a déjà été faite, mais lui n’est pas là pour faire rêver les gens. Son truc à lui, l’essence-même de son métier, c’est de transmettre le savoir. Figure du quartier et maître dans l’art de vendre la presse, il sait qu’après lui personne ne viendra le remplacer.
Son vieil ami Brahim Saci, poète-écrivain, le dit lui-même : « Quand tu ne seras plus là, c’est tout Belleville qui sera en dépression. » M’Hamed Azzouz devant sa Fée Carabine. (Une « mémoire du quartier » de Belleville. Grand nostalgique, Azzouz regrette la vieille époque. La presse se portait mieux quand elle n’était que papier, payante, et accessible à tous les coins de rue. Alors qu’il y a dix ans ils étaient encore douze diffuseurs de presse dans le quartier, il est aujourd’hui le dernier du secteur. La faute au numérique ? Possible. Selon lui, « inter-bête » ne propose qu’une masse d’information sans analyse, beaucoup de pub, et peu d’honnêteté intellectuelle. On cherche à faire le buzz et on a les yeux rivés sur « TikTok et Nabilla. » Une hérésie pour ce « militant pour la paix dans le monde », qui veut aider les minorités et faire vivre sa profession. Et puis les diffuseurs de presse sont sous-payés, les kiosques fermés… La faute aux gens aussi, sans doute, qui ne veulent plus payer pour l’information et se contentent de l’horoscope, la météo et du programme télé. « Quelques faits divers à la limite… » Aussi nostalgique du journalisme d’antan, M’Hamed se prête avec joie au jeu de l’interview. Copain avec Leos Carax, Jean Védrines et d’autres artistes qu’il a vu passer dans sa boutique, ce grand parleur à l’allure modeste aime que l’on s’intéresse à lui. « C’est normal ! C’est grâce à moi que la presse se vend ! » Un sacré franc-parler, une boutique bordélique… En voilà assez pour que des journalistes tels que Jean-Pierre Ferrini lui consacrent tout un chapitre. Dans son dernier livre À Belleville, paru en avril 2021, il raconte le symbolique ZZZ et son amour du métier. Brahim Saci, admiratif, le qualifie de « mémoire du quartier. »
Par Louise POINTU D’IMBLEVAL.
En partenariat avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ).
ZZZ choisit lui-même les unes de sa vitrine, qu’il a toutes feuilletées.
Louise Pointu d’Imbleval / actu Paris)Par Rédaction Île de France
Publié le 26 Sep 2021
____________________________________________
Le combat pour la lumière de Brahim Saci
Les mots apaisent les douleurs, ils apportent un certain réconfort, ils sont le refuge idéal. Les mots deviennent des poèmes quand la passion se fortifie de jour en jour. Les poèmes de Brahim Saci continuent leur voyage ; pour le poète et pour ses lecteurs.
« Naufrage », publié aux éditions du Net à Paris, est le huitième livre de poésie de Brahim Saci. Comme les précédents livres, celui-ci trace plusieurs chemins : ceux de la douleur mais aussi ceux de l’espoir, de la sagesse et de la spiritualité.
Parfois le poète est un observateur attentif : il sait déceler les anomalies de ce monde qui écrase les plus faibles, qui ne fait cas que de ceux qui possèdent l’argent et le pouvoir. Les observations du poète dites en rimes deviennent des hymnes ; elles sont alors fort utiles pour ceux qui croient à un monde meilleur.
Parfois le poète se laisse aller et confie ses peines insurmontables : il livre ainsi son cœur blessé, son âme angoissée, sa volonté rétrécie, son malaise déroutant.
« Naufrage » est aussi une quête : une quête de soi-même dans un monde qui impose un air du temps qui fait tout pour abrutir les masses. La force de la poésie est justement sa capacité à sortir des moules prêts à l’emploi.
Dans sa poésie, Brahim Saci se raconte, dans le temps et dans l’espace ; le lecteur le suit dans ses interminables pérégrinations et se sent impliqué par ces mots crus mais vrais, ces mots qui permettent une certaine élévation de l’âme.
Dans les rues et ruelles de Paris, Brahim Saci raconte ses souvenirs ; joyeux et tristes, ces souvenirs forment une vie, des existences plus ou moins réussies, plus ou moins marquantes.
Le lecteur entre avec le poète dans ses estaminets pleins d’histoires, ces cafés qui ont vu des femmes et des hommes se côtoyer, s’aimer puis se séparer, douloureusement. Mais la douleur est également cet outil irremplaçable pour devenir plus fort ; pour saisir l’essentiel dans un univers qui a pour habitude de vaciller, de devenir impitoyable.
Loin de Paris, un peuple se bat pour sa liberté, sa dignité, la justice sociale et la démocratie. Brahim Saci a également une énorme sympathie pour ce peuple algérien qui tente de déjouer les plans diaboliques de la dictature militaire.
La poésie mène à tout ; elle mène surtout à ces valeurs humaines qui ne se découragent jamais pour saisir le soleil de la vie, le soleil de la fraternité, le soleil de l’amour infini. Naufrage s’inscrit dans ce merveilleux combat pour la lumière, pour les lumières, c’est pour cela qu’il vaut le détour.
Youssef Zirem « Naufrage », éditions du Net, Paris, 2021
Auteur
Youssef Zirem, écrivain
Le Matin d’Algérie
Samedi 12 juin 2021 «
_______________________________
« Les chemins de l’essentiel » de Brahim Saci
L’aventure poétique de Brahim Saci continue. Elle vient de s’enrichir avec un septième livre, « Les Larmes du ciel », publié aux éditions du Net à Paris.
L’artiste rend dans ce présent recueil hommage à sa maman, partie récemment, quelques mois après le départ de son père. Les mots sont dans ce cas précieux ; ils permettent de juguler, un tant soit peu, la douleur de la séparation. Surtout quand, situation sanitaire oblige, il ne fut pas possible au poète de voir une dernière fois les êtres aimés. « Les Larmes du ciel » est un livre qui contient également des interrogations sur la vie, sur ce bref passage que l’homme entreprend sur la terre avant de la quitter. Des questionnements profonds qui font appel à une forme de spiritualité.
Dans ce monde matérialiste qui devient de plus en plus fou, il y a lieu de prendre du recul, de se réfugier dans l’essentiel, de ne pas se perdre, de ne pas se disperser dans toutes ces futilités quotidiennes qui nous sont imposées.
« Nous savons détruire, mais comment tout reconstruire ? », se demande le poète. Se reconstruire d’abord soi-même, puis tenter de donner de la lumière aux autres. « Le matérialisme a tué le cœur, pour nous imposer la peur, le glaive élève les menteurs, laissant la vérité en pleurs », constate le poète.
Parfois, les vents sont appelés à la rescousse. « Soufflez ô vents ! apportez-moi ces senteurs d’antan, celles de nos jeunes années, de l’insouciance et de la liberté ». A l’écoute du monde, Brahim Saci ose espérer un autre chemin, plus humain. « Libérez la science des mains de la finance, pour libérer l’espérance, mettez fin à la corruption cette vermine, qui brûle tout et calcine ».
Pour revoir le bonheur, il faut bannir la peur, estime le poète qui erre dans les rues de Paris, qui regarde les autres faire face au quotidien chamboulé par un virus inconnu. Il y a dans la poésie de Brahim Saci des pistes pour s’en sortir, pour apprécier l’instant, pour saisir la lumière de chaque jour.
Il y a également dans les mots de Brahim Saci des hommages à cette musicienne du Nord qui a changé de cap, après une histoire forte, inoubliable. La vie est ainsi faite, c’est souvent une longue suite de bonheurs, de déceptions, d’incompréhensions. La vérité est parfois introuvable. « Le vrai s’isole, s’exile, voyant s’élever les choses viles, et ce ne sont pas souvent les meilleurs, sur qui s’acharnent les malheurs », confie le poète.
Les estaminets de la grande ville ont été, dans bien des cas, des lieux de partage, des haltes d’espoir. « L’impasse remplit les verres, vidant les fûts de bière, espérant faire taire, les cris de la misère », se souvient le poète. La sagesse est également un territoire du bonheur. « Allez vers les sages, si vous voulez un ciel sans nuages », conseille le poète.
Les sages savent que seul l’instant compte vraiment. « Rendons grâce à l’instant, été, automne, hiver et printemps », affirme le poète. Les quêtes poétiques de Brahim Saci s’affirment de plus en plus ; tant de chemin a été parcouru depuis « Fleurs aux épines », paru en 2016, La Chute, combler l’absence, en 2017, Romances inassouvies, en 2018, J’ai trouvé l’amour à Paris en 2019, Les Vents du Nord et Les Voiles du temps en 2020.
C’est une aventure poétique qui continue. Bon vent l’artiste !
Youcef Zirem
« Les Larmes du ciel », éditions du Net, Paris 2021, 116 pages
Auteur
Youssef Zirem, écrivain
Le Matin d’Algérie
Mercredi 24 mars 2021
……………………………….
_____________________________________
Entretien avec le poète écrivain et chanteur Brahim SACI
«La démocratisation réelle du pays fera venir une forme de renaissance »
Très peu d’artistes ont son talent. Après des études universitaires en France, il devient dessinateur, puis journaliste à la radio. Brahim Saci, est auteur, compositeur et interprète de ses chansons. Il édite plusieurs albums en tamazight mais aussi en français. Ses musiques sont si bien ficelées et ses paroles sont d’une profondeur inégalable. Le fils de la Kabylie est aussi écrivain, il a publié sept livres, chez les éditions du net à Paris. Dans cet entretien exclusif, le talentueux artiste, revient sur ses créations, ses quêtes artistiques et ses espoirs de voir sa terre natale, l’Algérie, fleurir et offrir le meilleur pour ses enfants.
– Votre dernier livre « Les Larmes du ciel », vient de sortir à Paris. Pouvez-vous nous parler de cet ouvrage ?
Oui, c’est mon septième livre de poésie ; il vient de sortir à Paris aux éditions du Net. C’est un recueil où je rends hommage à ma mère, paix à son âme, partie récemment ; c’est aussi la continuité de mes quêtes entamées depuis que je suis revenu à la poésie de langue française que j’avais un peu abandonnée durant des années. Il y a dans les Larmes du ciel, des pensées, des questionnements sur la vie, sur notre passage sur Terre, il y a aussi beaucoup de spiritualité. Dans ce monde matérialiste et individualiste, il y a lieu de méditer un peu, de se poser, de réfléchir, de se demander pourquoi s’intéresser aux futilités et oublier l’essentiel.
– Vous avez publié sept livres, en si peu de temps. Pouvez-vous nous donner des idées sur ces textes ?
J’ai publié mon premier recueil de poésies, Fleurs aux épines, en 2016, puis j’ai continué avec La Chute, combler l’absence, en 2018, Romances inassouvies, en 2019, J’ai trouvé l’amour à Paris, en 2019, Les Vents du Nord en 2020 et Les Voiles du temps en 2020. Il y a un fil conducteur dans tous ces livres : la perte d’un amour, la nécessité du recours à la spiritualité pour se retrouver et dépasser nos tracasseries quotidiennes, les hommages à mon pays l’Algérie et la Kabylie natale, la chance de vivre dans une belle ville, Paris, mes voyages en France, en Normandie particulièrement et puis cette tentative, parfois vaine, de saisir le temps qui passe et le désir de laisser quelques traces…
– Vous-êtes un auteur prolifique. D’où vient ce secret de la plume facile ?
C’est vrai durant ces dernières années, l’inspiration ne m’a pas quittée ; je peux dire que j’écris en marchant, dès qu’une idée vient, je la saisis, je la capte, je publie parfois le poème sur les réseaux sociaux. Oui, ces nouvelles technologies nous aident beaucoup ! C’est aussi une façon de respirer, de se soulager des maux qui viennent chambouler notre tranquillité. Je dirai même que c’est une forme de baraka, un don des ancêtres, un retour aux valeurs à travers les mots. Mais tout cela découle également de mes différentes expériences de la vie, de mes nombreuses lectures de la poésie française.
– Que pensez-vous de la littérature algérienne actuelle ?
La littérature algérienne dans ses différentes langues est riche ; elle traite aujourd’hui de thèmes assez larges. Nous avons de plus en plus d’écrivains. Certains écrivains sont plus médiatisés que d’autres mais cela ne veut pas dire que ce sont les meilleurs. Mais le temps finira par donner sa vraie place à chaque écrivain. Beaucoup d’écrivains de talent sont encore à découvrir ; ils sont également à encourager. La distribution des livres de ces écrivains n’est pas toujours performante, le livre n’arrive pas toujours au lecteur comme il se doit. C’est un handicap majeur pour les écrivains les moins médiatisés. Un écrivain est artiste, il sait que le temps travaille pour lui, il sait que ces textes seront découverts et lus, tôt ou tard.
– Vous-êtes aussi un talentueux chanteur. Tous vos albums sont un succès. D’où vient cette bénédiction ?
Peut-être qu’il y a quelque part une certaine baraka. Mais c’est également du travail, de la persévérance, de l’écoute, des efforts continus, toute une vie consacrée à l’art en général. Vivre à Paris m’a également aidé, tout comme mon travail dans le service culturel à la Mairie de Paris. Rencontrer des artistes, être dans un milieu d’intellectuels et de créateurs est une chance que j’ai saisie. J’ai également fait l’effort d’aller à la rencontre des artistes algériens depuis de longues années ; auprès d’eux, j’ai appris l’essentiel ; ils m’ont guidé vers les chemins de la création. Je les remercie tous ; ils sont nombreux.
– On vous compare souvent à Slimane Azem, pourquoi ?
Je ne sais pas trop. Il y a effectivement une certaine ressemblance entre mes interprétations et celles de l’immense Slimane Azem mais cela ne suffit pas. Lorsque j’ai découvert Slimane Azem, j’ai eu une grande admiration pour ce poète, interprète de talent car j’ai retrouvé mes valeurs, mon pays que j’avais quitté très jeune. Toutes les quêtes artistiques de Slimane Azem sont devenues miennes ; je partage sa vision du monde, ses peines, ses déceptions, la tristesse de son exil. J’ai commencé à chanter en lui rendant un grand hommage, ce qui est tout à fait naturel. Lorsque je distribuais dans Paris les portraits du grand Slimane Azem, je ne savais même pas qu’il était banni des médias de son pays. C’est plus tard que j’ai compris l’injustice dont a été victime Slimane Azem. Et cela m’a encore conforté dans l’estime que j’avais pour cet homme exceptionnel.
– Malgré votre grand talent, on vous invite rarement à chanter en Algérie. Pourquoi à votre avis ?
C’est compliqué. Je ne suis pas vraiment dans les réseaux qui tournent autour des autorités algériennes, je suis même loin de tout cela. Beaucoup d’artistes sont marginalisés, je ne suis pas le seul. Tout cela est normal dans un système injuste, ce sont toujours les mêmes qui sont médiatisés, qui sont mis en avant, qui sont invités. C’est pour cela que la démocratie est nécessaire en Algérie, pour plus de justice, pour que chaque citoyen soit considéré à sa juste valeur, pour que tout citoyen accède à ses droits, tout en accomplissant ses devoirs également.
– Que pensez-vous de la nouvelle génération des chanteurs algériens ?
Il y a des chanteurs de grande valeur dans la nouvelle génération. Mais ils sont moins connus que ceux qui font du bruit avec leur art et avec leur médiatisation usurpée. Mais tout cela est assez normal. Les vrais créateurs ont toujours du mal à passer leur message dans un monde obsédé par le superficiel. Même l’art est devenu un produit de consommation; on se presse à en avoir, sans voir vraiment la qualité et la profondeur de ce produit. Mais le temps finit toujours par ramener chacun à sa case de départ, à sa valeur réelle.
– Vous avez l’Algérie dans le sang. Quelle est votre vision sur l’avenir de notre beau pays ?
Oui, j’aime beaucoup l’Algérie, j’ai toujours dit que ce pays mérite un meilleur sort, il en a les potentialités physiques et humaines. Je suis content de l’avènement de ce grand mouvement pacifique, le Hirak. Il faudra que les autorités réelles du pays écoutent les demandes de ce grand mouvement pacifique, plein de sagesse et d’humilité. Il y a de la place pour tout le monde en Algérie. La démocratisation réelle du pays fera venir une forme de renaissance qui sera bénéfique pour tout le monde.
– Quels sont vos projets artistiques ?
J’écris toujours des poèmes, l’inspiration est toujours au rendez-vous, j’espère continuer à publier des recueils. Pour la chanson, j’ai fait une dizaine de nouvelles chansons que j’ai diffusées sur youtube. J’en ferai certainement d’autres, sans me presser, tranquillement, au fil du temps qui passe trop vite. Tout doucement, je continue mes nombreuses quêtes, tout en espérant le meilleur aux uns et aux autres.
– À vous de conclure…
Merci de me donner cette occasion de m’exprimer, bon vent à ce nouveau journal, nous avons besoin de nouveaux médias ! J’espère que la crise sanitaire va finir par s’estomper et que la vie va reprendre le dessus comme avant. Mon souhait est que toute l’humanité vive dans le bonheur et que toutes les injustices se terminent.
Entretien réalisé par Mohand Cherif Zirem
Le quotidien L’Express
Le 14 mars 2021
______________________________
« Les Voiles du temps » de Brahim Saci
Il y a beaucoup de mystère dans la poésie, tout comme les poètes sont souvent mystérieux. Il y a encore plus de mystère dans ce monde qui nous entoure, dans ce cosmos qui dépasse toute notre logique, tout notre savoir.
Les poètes tentent de limiter un peu ce mystère, de le rendre vivable. C’est, à bien des égards, là où réside le grand mérite de la poésie et des poètes. Pour son sixième livre de poésie, Les Voiles du temps, Brahim Saci nous sert de guide dans de nombreuses quêtes qui atténuent un peu la douleur du mystère, qui nous aident à coexister avec l’insondable de l’âme humaine.
Après les Fleurs aux épines (éditions du Net, Paris, 2016), La Chute, combler l’absence (2017), Romances inassouvies (2018), J’ai trouvé l’amour à Paris (2019) et les Vents du Nord (2020), Brahim Saci nous donne à lire aujourd’hui Les Voiles du temps. Ce sont des textes relativement différents de ceux contenus dans les cinq livres précédents.
Comme si le poète entre désormais dans un autre univers après avoir cerné un autre dans l’œuvre précédente. Comme si le poète pousse encore plus loin son regard sur les territoires infinis de l’âme humaine, insaisissable, fragile et forte à la fois. Les Voiles du temps est dédié au père du poète, parti au mois de mai passé, en Kabylie.
A cause de cette terrible crise sanitaire, Brahim Saci n’a pas eu l’occasion de dire un dernier mot à cet homme qui lui a tant appris, qui l’a fait venir à Paris, à l’âge de dix ans. Cet homme extraordinaire qui a été un chef dans la fédération de France du FLN mais qui est resté lui-même, qui est revenu travailler en France, après l’indépendance, suite à une brève expérience professionnelle au pays natal. Brahim Saci écrit des poésies fortes à l’adresse de son père disparu, un père qui aimait justement beaucoup les livres de son fils.
Dans les Voiles du temps, le poète se pose aussi des questions sur cette crise sanitaire, sur la folie des hommes, toujours en quête de profits financiers au détriment du bonheur de la majorité des habitants de la Terre.
Paris est ainsi raconté dans cette période difficile du confinement et de la maladie. Heureusement que le souvenir du Paris joyeux est encore vivace, heureusement que l’amour est encore présent dans le cœur des uns et des autres.
Mais l’amour est également suivi de blessures, de malentendus, de séparations douloureuses. Le poète ne devient sage que lorsqu’il comprend que tout a une fin, que tous les hommes ne sont que des mortels. Et il y a de la sagesse dans ce nouveau livre de Brahim Saci. C’est une sagesse qui nous rend plus forts, plus sereins, plus apaisés, loin du tumulte insensé du monde. Entre ses compositions musicales captivantes, habillées de poésie kabyle profonde et ses livres de poésie en langue française, Brahim Saci continue son chemin dans l’univers de la création, avec une belle harmonie et une tranquillité enviable. On peut lui souhaiter une belle et bonne continuation !
Youcef Zirem
Les Voiles du temps, éditions du Net, Paris, 2020
Auteur
Youssef Zirem, écrivain
Le Matin d’Algérie
Mercredi 25 novembre 2020
Le Matin d’Algérie
__________________________________________
Lundi 8 juin 2020
« Les Vents du Nord » de Brahim Saci
Le poète est toujours à l’écoute de ce qui se passe autour de lui ; c’est souvent ce qui l’inspire. Dans son cinquième livre, Les Vents du Nord, qui vient de sortir à Paris, aux éditions du Net, Brahim Saci arrive à saisir les angoisses générées par l’actuelle crise sanitaire mondiale.
Dans son confinement parisien, Brahim Saci s’interroge sur l’existence humaine, sur le cheminement étrange du monde moderne qui devient subitement capable du pire. Il a suffi d’un virus venu de Chine pour que toutes les activités humaines, à travers le monde, soient ralenties quand elles ne sont pas bloquées ou annulées.
De nombreux morts ici et là, victimes d’une nouvelle maladie qui a montré les limites de tous les dirigeants du monde. En dictature, les autocrates ont utilisé la situation pour accentuer encore plus la répression tandis qu’en démocratie, les médias dominants se sont évertués à imposer le point de vue des plus forts. Brahim Saci espère dans ses poésies un meilleur avenir aux hommes, il suggère même des pistes pour y arriver. Mais les poètes sont rarement écoutés.
En plus de cette crise sanitaire, Brahim Saci aborde d’autres sujets : l’amour qui se fane, le temps qui écrase le meilleur sur son passage, la beauté des lieux qui l’inspirent : la Kabylie, la Normandie, la Bretagne ou encore Paris. Ville Lumière, cette cité est le territoire des pérégrinations du poète, c’est ici qu’il tente de retrouver ses amours perdues. C’est ici que les vents de la mélancolie le rattrapent.
Mais les amours perdues sont difficiles à faire revivre. Paris est également ce carrefour impitoyable du malentendu. L’individualisme écrase dans les grandes cités l’humain, l’innocence des rêveurs, la poésie sincère des idéalistes. Chanteur kabyle exigeant et singulier, Brahim Saci est revenu à la poésie de langue française, son amour de jeunesse, il y a quelques années en publiant son premier livre, Fleurs aux épines, en 2016.
Puis il avait poursuivi ses créations poétiques avec La Chute, combler l’absence en 2017, Romances inassouvies en 2018 et J’ai trouvé l’amour à Paris en 2019. « Je peins avec ma plume sans pinceaux, l’éclaircie se cache souvent derrière les mots, les couleurs sombres conviennent mieux aux tableaux, mais l’œil du cœur voit partout le beau », écrit Brahim Saci qui sait dire la folie du monde, les prisons de l’exil, la trahison, les impasses et l’espoir.
« Soyez dans l’humilité et la compassion, ne regardez pas ceux qu’égarent les passions, tout passe, nous passons, ouvrez vos yeux vaste est l’horizon », conseille Brahim Saci. Tout un vaste programme !
Youcef Zirem
*Les Vents du Nord, éditions du Net, 2020
Auteur
Youcef Zirem
Le journal Le Matin d’Algérie
Lundi 8 juin 2020
_______________________________
AJDID DEG TIRA. J’AI TROUVÉ L’AMOUR À PARIS N UNAẒUR, AMEDYAZ BRAHIM SACI
KHALED ACHOUI
La dépêche de Kabylie du 09 septembre 2019.
__________________________
Brahim Saci
«La poésie permet à l’homme de ne jamais perdre espoir»
Avec ce quatrième livre, «J’ai trouvé l’amour à Paris», publié aux Editions du Net, Brahim Saci continue son voyage avec les mots. Chemin faisant, il transmet un certain bonheur à ses lecteurs. Il nous en parle ici.
L’Expression : Cela fait maintenant des années que vous écrivez, l’inspiration ne vous quitte pas, comment est-ce que vous faites pour ne pas perdre cette flamme poétique ?
Brahim Saci : C’est vrai, cela fait, déjà, quelques années depuis que j’écris de la poésie.
Pourtant je m’étais un peu éloigné de la poésie de langue française durant une bonne période : je faisais alors mes albums de chansons kabyles dont j’écrivais intégralement les textes. Puis, presque inconsciemment, je suis revenu à la poésie de langue française que j’avais essayée quand j’étais adolescent. Je me suis bien senti avec ces retrouvailles et cela continue, pour mon plus grand plaisir. Oui, l’inspiration est toujours là, elle m’accompagne chaque jour ; je ne fais, pour l’instant, aucun effort pour qu’elle soit là. La vie nous mène parfois vers des sentiers insoupçonnés, elle nous transfigure avec ses mystères. La poésie est, peut-être, une tentative de percer ces mystères. On n’y arrive pas toujours, mais on essaie. Comme disait Jacques Brel : mon idéal c’est d’essayer. Cette flamme poétique est un cadeau de l’existence, elle me fait partager cette harmonie qu’il y a dans tout le cosmos. Mais écrire vient après de longues années de lecture des poètes du monde entier. On ne peut pas vraiment écrire si auparavant on n’a pas lu énormément. Lire est une quête interminable, une quête qui nous grandit, toujours. Les grands poètes de la langue française Baudelaire, Rimbaud, Hugo ou encore René Char ont guidé mes pas dans le territoire magique de la poésie.
Ce titre J’ai trouvé l’amour à Paris est réussi et bien joli, comment est-ce que vous l’avez trouvé ?
Oui, ce titre plaît beaucoup ; les lecteurs me posent souvent la question. En fait, c’est l’un des personnages de ce recueil qui dit, à un moment de sa vie : j’ai trouvé l’amour à Paris. Cette ville est réputée pour être la ville de l’amour, cela tombe bien. Paris a abrité bien de romances depuis de longues années. Paris fait rêver des millions de personnes à travers les quatre coins du monde. J’ai la chance de vivre dans cette belle et magnifique ville depuis l’âge de 10 ans. Cette ville m’a formé, elle m’a appris à respecter les autres, à les aimer. C’est dans cette ville que j’ai fait des portraits de touristes, j’ai chanté, j’ai rencontré des personnalités, j’ai rêvé. Et c’est là que je continue mes écritures. La poésie est un trésor que je trimbale ici et là. La poésie me permet de supporter les difficultés de la vie, elle me permet de comprendre que nous sommes tous des passagers dans cette vie que personne ne maîtrise. La poésie me permet également de raconter mes déceptions, mes angoisses et mes espérances. Les mots sont comme des amis sûrs ; ils ne me laissent jamais tomber.
Il y a dans ce quatrième livre, beaucoup de spiritualité, est-ce que c’est cela qui vous aide à continuer votre chemin ?
Oui, comme dans les précédents livres, peut-être un peu plus dans celui-là, la spiritualité est présente. Elle est le fil conducteur de ce livre car sans spiritualité, la vie est bien fade. Dans cette époque de matérialisme exacerbé, oublier la spiritualité peut s’avérer une erreur. La spiritualité dans la poésie est un beau mariage ; la poésie est ce lieu indiqué pour toutes les vraies questions. La poésie est un beau carrefour qui permet à l’homme d’apprécier sa vie et de ne jamais perdre espoir. Mais il y a également d’autres thématiques dans ce nouveau livre : l’amour perdu, le temps qui s’en va, mes escapades en Normandie, en Kabylie, le combat pour la démocratie en Algérie.
Justement, vous, qui depuis des années, parlez de la démocratisation de l’Algérie, est-ce que cette fois, le pays va se porter mieux avec la révolution en cours ?
Je l’espère très fort. Oui, le peuple algérien est en train d’accomplir une belle révolution pacifique. Ce réveil sera bénéfique pour tout le monde. J’espère que les autorités vont accompagner cette contestation pacifique, comme il se doit. L’Algérie est un immense pays qui mérite la liberté, la démocratie, la justice sociale. Il est temps aussi de donner sa place à chaque citoyen. Il est temps de faire émerger de nouveaux visages, des femmes et des jeunes qui vont construire le pays dans un pluralisme fleuri et salvateur. Il est temps d’oublier les querelles inutiles pour se rassembler autour de ces belles idées du progrès social. Il est temps de mettre fin à toutes les injustices. La démocratie va donner de la force au pays ; le peuple algérien va faire des miracles dans un système plus ouvert, plus juste, respectant les droits humains. Chaque citoyen va se sentir heureux de vivre dans un pays réconcilié avec lui-même.
Mercredi 28 août 2019
Le quotidien L’Expression
Nabil Belbey
______________________________
FLEURS AUX ÉPINES DE BRAHIM SACI
Les lumières qui remplissent la vie.
Chantant et écrivant en kabyle et en français, universitaire, Brahim Saci nous donne à lire dans ce recueil une poésie qui nous fait du bien, qui apaise notre âme.
Ce sont des poèmes vivants et enivrants que vient de publier, aux éditions du Net, en France, le chanteur kabyle Brahim Saci. Dans ce recueil, qui fait voyager le lecteur au titre évocateur de Fleurs aux épines, l’enfant de Tifrit At Umalek va au fond de lui-même pour exprimer ses joies et ses peines. «Certains êtres ont fait de la folie un but, pourtant que la vie est belle! Certains abandonnent leur chien, leur chat, leur coeur, côtoyant des brutes, se précipitent vers les ténèbres, abandonnant le ciel», écrit Brahim Saci dans un émouvant poème intitulé Loin du ciel. Au fil des pages, on passe d’une expérience à une autre, d’une errance à l’autre, parfois c’est la lassitude, parfois ce sont des âmes obscurcies, parfois ce sont des esprits vils, parfois c’est le feu qui embrase le coeur, mais au bout ce sont également des lumières qui remplissent la vie de ceux qui savent être patients. Il y a beaucoup de sagesse dans ce somptueux recueil, Brahim Saci nous emporte avec lui dans ses belles pérégrinations poétiques; c’est le riche parcours d’un vrai artiste que nous découvrons.
«Vivez l’instant sans penser à demain, votre soleil peut ne pas se lever le matin, restez dans la lumière, (…) Même quand votre coeur est plein, occupez-vous de votre jardin, ne jugez jamais, ayez un bon caractère», soutient le poète qui a longtemps marché dans les rues de Paris, tout en pensant à son pays l’Algérie et à sa belle Kabylie où il est né. La nostalgie est là, le temps s’enfuit, l’amour s’effiloche, le coeur saigne, et pourtant il faut encore espérer, il faut encore croire à demain. «Ô celle pour qui je tremble et frisonne! A chaque souvenir ou évocation de son nom, mon coeur épuisé tombe comme une feuille d’automne, qu’on piétine à terre cette saison, (…) Les accidents de la vie passent, il est plus facile de les affronter à deux, l’amour recolle ce que la vie casse, si l’on n’a pas peur d’être heureux», écrit Brahim dans un poème intitulé Souvenir.
Le poète s’interroge sur le mal qui vient toujours abîmer le bien et la beauté du monde; il tente de trouver des réponses, il se fait, parfois, mystique. «Il y a tant de mystères, qui se cachent derrière l’apparence des choses, tant de vermines sur la terre, du sang sur les épines des roses, la laideur se voile d’une beauté éphémère, la vie elle-même est trompeuse, tant de démons se cachent derrière des prières, les ombres sont nombreuses, que peut la frêle lumière? Quand tant d’âmes sont ténébreuses, on veut faire de la terre un désert, ô fragile existence orageuse!» Tel est le cri sincère d’un homme qui a toujours aimé les mots. Face au destin, l’homme tente de trouver le chemin de l’harmonie; il veut être lui-même, il ambitionne d’être humain et utile aux autres. Mais les chemins sont parfois escarpés et inaccessibles.
Dans un poème intitulé L’Impasse, le poète écrit: «(…) Les démons rôdent, je le sais, guettant la frêle harmonie, piétinant tout ce qui est vrai, semant l’orage pour étouffer les cris. (…) Le destin se joue de nous, fier, il nous piétine quand on croit le tenir, il nous jette là où se raréfie l’air, sans amour, sans amis, pour nous affaiblir.» Chantant et écrivant en kabyle et en français, universitaire, ancien animateur de radio, ancien caricaturiste et portraitiste sur les belles et célèbres places parisiennes, Brahim Saci nous donne à lire dans ce recueil une poésie qui nous fait du bien, qui apaise notre âme.
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE – Le quotidien L’expression, Lundi 19 Décembre 2016
Fleurs aux épines, Editions du Net, 136 pages, octobre 2016
________________________________________
BRAHIM SACI, UNIVERSITAIRE, CHANTEUR ET POÈTE, À L’EXPRESSION « LA POÉSIE M’AIDE À VIVRE »
6 Septembre 2016
«Le monde ne nous fera pas de cadeau»
Universitaire, chanteur, poète, Brahim Saci vit à Paris depuis de longues années. Auteur remarqué de nombreux albums de chaâbi, il est à l’écoute de ce qui se passe en Algérie. Dans sa tête, il y a de nombreux projets culturels; dans son coeur, il y a l’amour des autres. Dans un proche avenir, il compte publier deux recueils de poésie en langue française. Il nous raconte, ici, son impressionnant parcours et ses multiples quêtes culturelles.
L’Expression: Cela fait maintenant 40 ans depuis que vous êtes installé en France. Est-ce que vous avez senti le temps passer?
Brahim Saci: Le temps s’enfuit, la vie est courte, plus on avance en âge, plus on s’en rend compte…Et pourtant, je n’ai pas vraiment senti le temps passer tellement pris dans les affres de l’exil, dans mes multiples quêtes artistiques. Je suis arrivé à Paris tout jeune, à l’âge de dix ans, mon père m’a fait venir de mon village natal Tifrit Nat Umalek en Kabylie, je me souviens très bien de cette belle période faite d’apprentissages heureux, d’expériences nouvelles, de rêves également…Je me suis tout de suite mis dans le train de cette nouvelle vie, je me suis tout de suite acclimaté à cette nouvelle existence loin de mon village natal qui me manquait pourtant…La soif du savoir, la soif de découvrir ce nouveau pays et la soif de m’accaparer cette nouvelle culture m’ont permis de faire du chemin…Le collège, le lycée et puis l’université m’ont ainsi donné les bases pour affronter, dans de bonnes conditions, les difficultés de la vie…Entre-temps, j’ai découvert le dessin, la caricature et la chanson kabyle. Déjà les textes et les mélodies envoûtantes de Slimane Azem me captivaient; je me suis alors dit: il faut que j’écrive, il faut que je chante, j’avais des choses à dire…C’est ce que j’ai fait au début des années 1990, c’est ce que je fais encore aujourd’hui, bien des années plus tard, en langue kabyle et en langue française…
Vous êtes universitaire, homme de culture, chanteur et poète, vous vous exprimez en langue kabyle et en langue française, comment arrivez-vous à créer cette symbiose entre les deux cultures?
Je le fais naturellement, l’art est universel, la culture nous fait comprendre que nous sommes capables d’émotions, de sensibilité, de partage, d’amour et de tolérance, aux quatre coins du monde. J’ai eu la chance de ne pas avoir perdu la culture kabyle, cette belle culture de nos ancêtres. La culture française est venue s’incruster, avec bonheur, dans mon substrat kabyle. La lecture des grands poètes français, tels Baudelaire, Rimbaud et Verlaine m’a encore incité à chercher les poésies kabyles anciennes; je m’amusais alors à les comparer à la poésie française. Et c’est ainsi que j’ai découvert que la poésie kabyle est merveilleuse; c’est ainsi que j’ai su que la poésie kabyle avait sa place dans le concert des nations, dans le panthéon universel de la création.
Qu’en est-il de vos thématiques et de vos sources d’inspiration?
Mes sources d’inspiration sont plurielles: l’exil, souvent amer et interminable, l’amour dans toutes ses facettes, la spiritualité, le temps qui s’enfuit, l’incompréhension et le malentendu, le rêve d’un meilleur sort pour notre pays, cette Algérie qui trouve du mal à se démocratiser, forment mes thématiques essentielles. Avec le temps, certaines sont plus présentes que d’autres, avec le temps, on tente d’aller vers l’essentiel, même si ce n’est pas toujours évident…
Pensez-vous publier vos recueils dont vous avez déjà partagé certains passages avec les internautes?
Cela fait de longues années depuis que j’écris de la poésie en français et en kabyle. Les passages que je partage avec les internautes ne forment qu’une partie de mes créations. En langue kabyle, j’ai une multitude de poésies: une partie sera utilisée dans mes prochains albums. En langue française, j’ai déjà deux recueils de poésie qui sortiront prochainement. Les coups durs de la vie nous incitent à écrire encore plus, surtout quand on comprend que nous ne sommes, ici bas, que des passagers…La poésie m’aide à vivre, elle m’a toujours aidé à aller de l’avant, à dépasser toutes ces mauvaises choses que les hommes n’arrêtent pas d’inventer au gré de leur bêtise, de leur ambition démesurée, de leur innommable arrogance…
Vous avez connu une grande partie des anciens chanteurs kabyles établis en France. Racontez-nous vos expériences, des anecdotes partagées, parlez-nous des exploits de cette génération, de l’héritage légué et de son devenir aujourd’hui?
Paris a de tout temps accueilli les artistes kabyles, c’est souvent ici que de merveilleuses oeuvres ont vu le jour. Oui, j’ai connu les anciens chanteurs, je les ai vus jouer, j’ai eu l’honneur de les approcher et de discuter avec eux. Je ne peux pas les citer tous, je ne peux pas raconter toutes ces anecdotes, mais dans ma mémoire, ils ont tous une belle place. L’un des meilleurs est certainement Youcef Abjaoui, un immense artiste, un homme simple et généreux, toujours correct, toujours à l’écoute, toujours altruiste.
Youcef Abjaoui était un vrai créateur, ses chansons sont éternelles. Je l’ai rencontré plusieurs fois, j’ai eu de belles discussions avec lui, mais je n’ai jamais pris une photo avec lui, comme si dans ma tête, je croyais qu’il était éternel. Hélas il est parti…Je dois dire que Youcef Abjaoui a été marginalisé par les siens: on avait peur de sa maîtrise, on avait peur de paraître diminué devant ses capacités musicales…J’ai connu aussi Aït Meslayen, il m’avait impressionné par son talent, sa générosité; j’ai longtemps marché avec lui dans les rues de Paris, ce sont pour moi des souvenirs impérissables… Avec Lounès Matoub, j’ai souvent eu de fructueux échanges, il aimait bien ma compagnie, il m’encourageait, il avait toujours un sens de l’humour féroce et salvateur…Le jour où j’ai appris sa mort, j’ai cassé ma guitare; j’ai été pendant longtemps dans une tristesse profonde… J’ai connu également Cid Messaoudi, un immense artiste, il m’a beaucoup encouragé à aller de l’avant, à produire plus…Avec Si Tayeb Ali, un musicien de talent, j’ai beaucoup travaillé: encore aujourd’hui, nous faisons des choses ensemble, il a participé à tous mes albums, il connaît bien ma façon de travailler…Il faut dire cependant que les cafés kabyles de jadis étaient également des «centres culturels»: on y chantait tout le temps, on y rencontrait les uns et les autres…Mais l’un de mes plus grands regrets, c’est de ne pas avoir fréquenté Slimane Azem, ce grand artiste, cet éveilleur de consciences que personne n’a pu récupérer…J’étais jeune à sa mort, j’ai été inconsolable quand il avait quitté ce monde…Mais Slimane Azem est toujours vivant avec ses textes, avec ses mélodies typiquement kabyles, avec son éternel sourire…
Quel regard portez-vous sur la vie culturelle et artistique de la communauté algérienne établie en France?
La communauté algérienne en France est très ancienne, elle est également importante de par le nombre. En revanche, elle n’a pas le poids voulu dans la vie culturelle, dans la société française. C’est parce qu’elle est divisée, qu’elle n’arrive pas à s’imposer.
Les Algériens reproduisent souvent leur atavisme ailleurs, ils trouvent des difficultés à s’aimer, à se respecter, à construire des projets ensemble. Mais il ne faut pas généraliser car il y a toujours des femmes et des hommes qui savent aller à l’essentiel et oublier le superflu. Il y a donc toujours une activité culturelle et artistique qui voit le jour malgré les difficultés et l’espoir est toujours permis. C’est à nous tous de construire cet espoir en étant à l’écoute de l’autre, en l’aidant, en l’acceptant…
Dans un monde de mutations, transformations multiples et des nouvelles technologies, quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui et son émigration?
L’Algérie est un grand pays qui peut faire mieux à tous les niveaux. Ceux qui se sont sacrifiés pour mettre fin au colonialisme français ont voulu un pays qui nous reste encore à construire. Il y a eu des réalisations en Algérie, mais il faut se rendre à l’évidence: il nous reste du chemin à faire. Il n’y a que la démocratisation véritable du pays qui peut apporter les solutions à nos problèmes.
L’émigration algérienne est à l’écoute de ce qui se passe dans le pays, elle veut des améliorations dans tous les domaines, elle veut une juste répartition des richesses du pays, elle veut une expression libre du citoyen, elle veut la justice sociale, elle veut être considérée comme un partenaire dans la construction nationale. Dans le monde d’aujourd’hui, les pays se font des concurrences terribles, il n’y a presque plus de place pour les plus faibles. L’Algérie a les moyens de devenir une vraie puissance mais la gestion du pays doit être revue.
La science, la culture, l’éducation, la modernité doivent trouver leur vraie place dans le pays. Sans cela, ce monde impitoyable ne nous fera pas de cadeau…
L’Algérie appartient à tous les Algériens, il ne faudra marginaliser personne, il faudra donner sa place et sa dignité à chaque citoyen…
L’EXPRESSION
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE – Dimanche 04 Septembre 2016
____________________________________
BRAHIM SACI. INTERVIEW RÉALISÉE PAR YOUCEF ZIREM.
22 Octobre 2018
Interview réalisée par Youcef Zirem
» Il y a en Kabylie beaucoup de misère sociale «
Brahim Saci, poète et chanteur d’expression kabyle. Universitaire, chanteur, poète, Brahim Saci vit à Paris depuis de longues années mais il regarde toujours de près son pays natal. Ses mots sont souvent empreints de lucidité et de sagesse. On peut l’écouter.
Le Matindz : Poète et chanteur, vous êtes l’un des artistes à plaider, depuis des années, pour la démocratisation de l’Afrique du nord, comment voyez-vous l’évolution de cette région ?
Brahim Saci : Il est difficile de répondre sommairement à cette question tellement les choses se compliquent de plus en plus dans cette région habitée principalement par les Amazighs depuis la nuit des temps. Les régimes issus des indépendances n’ont pas toujours été à la hauteur. C’est par la force qu’ils se sont imposés et qu’ils se maintiennent. Pourtant l’Histoire semble s’accélérer ces dernières années d’où la nécessité d’avoir de l’imagination, d’où la nécessité d’apporter de vraies réponses aux questions de la démocratie, de la justice sociale, de la liberté d’expression. Pendant de longues années, ces régimes ont réprimé l’identité amazighe mais il n’y a aucun pouvoir au monde qui peut venir à bout de la volonté des peuples. Le printemps berbère de 1980 avait été la première halte qui a généré une conscience populaire de contestation à large échelle. Et c’est un livre sur les poésies kabyles anciennes qui a été à l’origine de cet éveil, c’est tout un symbole. Parti de Kabylie, le printemps berbère a fini par secouer toute l’Afrique du nord. Aujourd’hui cette question n’est plus taboue mais elle n’est pas encore résolue comme elle devrait être. Donc il y a encore du chemin à faire.
Vous êtes venu en France très jeune, vous y avez fait vos études, pourtant vous chantez en langue kabyle et vous êtes toujours à l’écoute du pays de vos ancêtres. De nombreuses personnes qui ont eu votre parcours ne parlent plus la langue kabyle et semblent oublier leurs origines. Pouvez-vous nous dire un mot à ce propos ?
Oui, effectivement je suis arrivé enfant à Paris ; j’ai eu des difficultés à l’école au début mais tout est rentré dans l’ordre par la suite, j’avais un énorme désir d’apprendre. J’ai poussé mon cursus scolaire jusqu’à l’université où j’ai rencontré beaucoup d’étudiants kabyles avec lesquels j’ai sympathisé, nous avions ainsi recréé des espaces kabyles dans ces lieux du savoir et de la science. Après avoir aimé les grands poètes français, Baudelaire, Rimbaud, Lamartine et tant d’autres, j’ai découvert la poésie de Si Mohand Ou Mhand et la sagesse de cheikh Mohand Ou Lhocine. Au même temps, j’écoutais nos grands chanteurs : Slimane Azem, Youcef Abjaoui, cheik Lhasnaoui et tant d’autres. C’est ainsi que je n’ai jamais perdu la langue kabyle en cours de route. Plus tard, je me suis moi-même mis à écrire de la poésie en langue kabyle et à chanter. Ceux qui ont vite repéré mon œuvre musicale m’ont encouragé à continuer en me disant que j’étais sur les traces de Slimane Azem, ce qui est un immense honneur pour moi. Entre-temps j’avais rencontré Lounès Matoub, Youcef Abjaoui, Ait Meslayen et tant de nos valeureux artistes. Je n’oublierai jamais les échanges fructueux que j’ai eus avec Lounès Matoub et Ait Meslayen : tous les deux m’ont appris beaucoup. Lorsque Lounès Matoub avait été assassiné, j’ai été profondément touché, j’ai même cassé ma guitare…Mais le monde continue à tourner, il faut donc toujours se battre et essayer de produire une belle œuvre qui va, peut-être, résister au déferlement du temps.
Après la poésie en langue kabyle, vous avez publié un recueil de poésie en langue française, «Fleurs aux épines», qui n’est pas passé inaperçu. Est-ce une nouvelle expérience ou bien est-ce la continuité de vos différentes quêtes ?
A vrai dire, j’avais déjà écrit quelques poèmes en langue française dans ma jeunesse mais la chanson kabyle m’avait, en quelque sorte, accaparé… Puis avec mes lectures, avec le temps passant, avec les épreuves de la vie, j’ai repris l’écriture en langue française. Des amis m’avaient encouragé à continuer et m’avaient incité à les publier. C’est ainsi que mon recueil, «Fleurs aux épines», a vu le jour. Travaillant pour le service culturel de la mairie de Paris, mes collègues ont participé à donner une certaine visibilité à ce livre qui continue son chemin. Je dois dire que l’avènement de ce livre et sa découverte par beaucoup de lecteurs m’ont surpris. C’est dire que le livre est souvent source de bonheur pour l’auteur, pour son entourage également.
Vous avez de nombreux projets artistiques, dans la chanson et dans l’écriture, peut-on avoir une idée sur ces œuvres en gestation ?
Cela fait des années que je travaille sur un nouvel album de chansons mais je ne suis pas pressé de le faire sortir. J’ai chanté plusieurs fois des chansons inédites au Conservatoire de musique du huitième arrondissement de Paris. Devant une assistance nombreuse, mes chansons en langue kabyle et en langue française, sont bien passées. C’est cela la magie de l’art qui supprime les frontières, qui rapproche les uns et les autres. Après la sortie de mon premier livre, j’ai continué à écrire et là, j’ai de la matière pour deux autres nouveaux livres. Je peux dire que mon prochain livre de poésies en langue française sortira cette année. Paris m’inspire beaucoup, les relations humaines tendues et parfois complexes, m’incitent à dire, à relativiser et à faire face au temps qui passe, qui nous fait comprendre que nous ne sommes que des passagers.
Vous avez aussi écrit des poèmes poignants sur la situation de la Kabylie. Qu’est ce qui manque en Kabylie ?
La Kabylie souffre beaucoup. Il y a en Kabylie beaucoup de misère sociale qu’on ne veut pas voir. Il y a tant de chômage et il n’y a pas d’allocation chômage. Les plus démunis trouvent du mal à se soigner : pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de couverture médicale pour les plus pauvres ? L’environnement n’est pas protégé en Kabylie, il est temps de penser à l’écologie de cette belle région. Les plus riches ne regardent plus en direction des pauvres ; la solidarité et la générosité se font de plus en plus réduites. Les valeurs humaines se perdent également. Il faudra se ressaisir et revenir à nos valeurs, à nos traditions qui nous ont préservés à travers les différentes époques. Chacun de nous doit être responsable de ses actes, chacun doit se demander ce qu’il apporte à l’édifice collectif. Face à un système politique qui plonge le pays dans la régression, il faut une conscience collective qui donne de la place et du respect à tout le monde. Et jusqu’à présent, l’homme n’a pas encore inventé un meilleur système que la démocratie. C’est ainsi que l’espoir d’un avenir meilleur est possible.
Propos recueillis par Youcef Zirem
22 Octobre 2018
Le journal Le Matin d’Algérie
Adn-news
_________________________________________
« La Chute, combler l’absence » de Brahim Saci
Brahim Saci est auteur de poésie mais aussi chanteur.
Avec son deuxième recueil de poésie, Brahim Saci apporte un souffle créateur qui fait voyager.
Sur près de 230 pages, on ne se lasse pas de partir à la conquête d’une certaine plénitude qui s’échappe, qui se dérobe, qui s’avère, dans bien des cas, introuvable. Des rimes, des itinéraires, des lieux, des personnages, des amours perdues, de la sagesse à consolider. La poésie mène à tout ; elle est surtout salvatrice quand les temps deviennent assassins. Après cinq albums de chansons kabyles bien ciselées, Brahim Saci est allé au fond de lui-même pour offrir à ses lecteurs une somme poétique de haut vol, un recueil qui fera date. Dans cette chute que les événements imposent, Brahim Saci s’accroche à ses valeurs, à sa vison du monde, à cette harmonie parisienne que les jours tentent d’abîmer ; l’absence est là, elle est douloureuse, il faut donc la combler et seuls les mots peuvent oser structurer ce vide. La Normandie et ses charmes, le pays occitan et son soleil, la Kabylie et sa beauté magique, sont les territoires qui inspirent le poète : c’est ici qu’il vadrouillait, jadis, avec l’aimée qui a, désormais, choisi d’autres chemins.
Paru aux éditions du Net, « La Chute, combler l’absence » est un livre qui transmet la force de résister au malheur. Sans détours ennuyeux, sans tabous, le poète se dévoile, il apporte son désir de partager l’essentiel : il utilise la rime pour dépasser l’incertitude et le chaos que provoque la séparation. Sur les traces de Baudelaire, de Rimbaud, de Brel et de tant de créateurs inspirés, Brahim Saci emprunte les ruelles parisiennes, de nuit, ivre de mots et de mirages, pour faire taire son marasme. Mais ce n’est jamais une entreprise facile, la vie ne fait pas de cadeaux pour paraphraser le génial auteur de cette chanson, fresque du pays de l’enfance, le Plat pays. En parcourant, en lisant, en relisant les poèmes de Brahim Saci, beaucoup d’idées nous viennent à la tête, la poésie sert aussi à nous montrer les sentiers du bonheur, les sentiers de la lucidité, les sentiers qui réveillent notre spiritualité.
Au bout du périple, Renaître est le titre de ce poème qui exprime la possibilité des rivages de l’harmonie. Quand ils sont forts et bien choisis, les mots savent participer à notre renaissance, c’est cela le miracle de la poésie.
Youcef Zirem
La Chute, combler l’absence, de Brahim Saci, éditions du Net, septembre 2017.
Le 22 septembre 2017.
Le journal Le Matin d’Algérie
_________________________________
Le Poète Brahim Saci à La Cité
La poésie pour «être meilleur que soi-même» !
Brahim Saci est né en Algérie, dans un village de Kabylie, Tifrit Naït Oumalek. Jusqu’à l’âge de 10 ans, il passa une enfance heureuse au village. Puis il partit rejoindre son père à Paris. Brahim Saci suit sa scolarité à l’école primaire Eugène Varlin, au collège Gustave Courbet à Pierrefitte, puis au lycée Paul Eluard à Saint-Denis. Déjà poète adolescent, s’inspirant de Baudelaire (1821-1867), de Rimbaud (1854-1891), de Nerval (1808-1855), Si Mohand U Mhand (1845 1906) et Slimane Azem (1918 – 1983), il remporta des prix aux concours de poésie organisés par le lycée Paul Eluard. Très tôt il a baigné dans les arts, bercé par les chants berbères que fredonnaient sa grand-mère et sa mère. Enfant fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur-caricaturiste, métier qu’il pratiqua durant ses voyages en Allemagne, en Suisse, en Autriche. Et qu’il continue à pratiquer à Paris.
Après un Baccalauréat littéraire, philosophie, langues, il entame des études supérieures à l’université Paris VIII, à Saint-Denis.
Après une licence en langues étrangères appliquées, mention affaires, il se passionne pour la musique et approfondit l’écriture. Il devint alors auteur, compositeur, interprète d’expression franco-berbère de Kabylie. Animateur chroniqueur réalisateur dans des radios franco-maghrébines de 1992 à 2000, il produit son premier album en 1992, rendant hommage au légendaire Slimane Azem (1918 – 1983), père de la chanson kabyle auquel il porte une admiration sans bornes.
Le style musical de Brahim Saci pop chaabi kabyle (musique populaire berbère algérienne kabyle) et son timbre de voix nous rappellent Slimane Azem. Les thèmes dominants dans sa poésie sont le temps qui passe, la solitude intérieure du poète et les tourments de l’exil. Brahim Saci vit à Paris, où il continue ses compositions et sème dans les rues de la capitale qui l’inspirent des poèmes en kabyle et en français. Il a édité deux recueils de poésies.
Entretien.
La Cité : d’abord un mot sur Brahim Saci
Brahim Saci : « Difficile de répondre à une telle question ; il n’est pas facile de parler de soi ; disons que je suis un Algérien au parcours universitaire qui vit à Paris, qui croit à l’art, à l’humanité et aux valeurs ; je fais de la poésie et de la musique pour dire les mal¬heurs de l’exil, les incertitudes de la vie, ses chagrins et ses espoirs aussi. L’art est pour moi une raison d’être. »
Vous avez quitté l’Algérie à l’âge de 10 ans, quel souvenir gardez-vous encore de votre enfance en Kabylie ?
« Mon enfance en Kabylie a été heureuse ; ce fut une époque bénie où le rêve était encore possible malgré les difficultés du quotidien. Mon entourage, ma fa¬mille et tous les villageois sur les hauteurs de l’Akfadou me guidaient sur les chemins de la vie. C’était le temps de la solidarité et du partage ; le temps de la communion avec la nature et les êtres. »
Comment s’est faite votre Intégration en France ?
« Mon arrivée en France est déjà une coupure avec ma vie heureuse dans le village Tifrit Nait Oumalek en Kabylie ; c’est un déracinement douloureux, l’intégration s’est faite progressivement grâce à l’école, au collège, au lycée puis encore l’université. La fa¬mille de ma tante chez qui je suis resté quelques an¬nées, dans la banlieue parisienne, m’avait également été d’un secours certain. Les années passant j’ai dé¬couvert les chemins tortueux de l’exil, où l’étranger est toujours suspect, peinant à survivre sans arrêt sous les regards menaçants de la discrimination, du racisme. Nous vivons la discrimination au quotidien. »
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire ?
« J’ai commencé à écrire en langue française il y a longtemps lorsque j’étais collégien, j’aimais la poésie française, elle m’avait permis de diminuer un peu les affres de l’exil : je suis arrivé à Paris à l’âge de 10 ans… J’avais quitté ma Kabylie, mes proches, le territoire de mon imaginaire, ce n’était pas facile pour moi..Puis à l’université, je me suis mis à écrire en langue kabyle, puis j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai produit mon album de chansons kabyles…Ce premier album sera suivi par quatre autres albums…Mon retour à la poésie en langue française, je le dois en partie à mon ami, l’écrivain Youcef Zirem, qui m’a encouragé à éditer mon premier recueil de poésie en 2016, Fleurs aux épines.
Ce premier recueil a eu une belle reconnaissance parisienne ce qui m’a poussé à continuer, d’où la sortie de mon second recueil, La Chute, combler l’absence. J’ai ressenti le besoin de m’exprimer, de dire tant de choses : à partir d’un certain âge, on a envie de partager certaines expériences, on a envie de transmettre quelques valeurs essentielles. »
Que signifie la poésie pour vous ?
« La poésie c’est le charme de la vie, c’est l’harmonie du monde retrouvée, c’est cette belle musique cachée en nous qui nous aide à être meilleurs que nous-mêmes. La poésie, ce sont des mots, des rimes, des créations porteuses d’une certaine magie mais c’est aussi le désir de saisir l’insaisissable. La poésie est une démarche, c’est une façon d’être, c’est un outil pour sentir la chance d’être en vie, c’est un regard, des pensées, de la sagesse. La poésie c’est certainement l’essentiel d’une existence humaine souvent contrariée par de multiples soucis. La poésie c’est une tentative pour être dans le dialogue du monde avec l’être humain. »
Quels sont les thèmes dominants dans votre poésie ?
« Dans ma poésie, j’interroge la vie ; je raconte l’exil, l’amour, l’amitié, le temps qui passe ; j’essaie de laisser mon empreinte à travers les mots que mes dé¬boires parisiens me poussent à écrire. Paris est aussi une ville de culture ; chaque coin de rue de cette cité de lumière peut être une occasion à une rencontre intéressante qui annonce tout de suite un poème.
Votre premier recueil de poésie est Intitulé Fleurs aux épines, qu’évoque- t-il au juste ?
« Mon premier recueil de poésie, Fleurs aux épines, évoque la fin d’un amour ; il est question de moments vécus dans plusieurs endroits, il est parsemé de nostalgie, de haltes de bonheur, de souvenirs, de rythmes d’existence saisis au temps qui s’en va, qui détruit tant de choses avec son passage.
Mais il contient aussi des interrogations sur le sens de la vie, sur le sens de certaines valeurs, souvent travesties, ici et là. A vrai dire, différentes quêtes se rejoignent dans ce recueil pour tenter certaines explications, pour apporter des réponses à certaines énigmes. A bien des égards, ce recueil restitue un pan entier de mes lectures passées, un pan entier de mon parcours, de mes espoirs, de mes luttes, de mon désir de transmettre une vision humaniste du monde. »
Et si on vous demandait de présenter à nos lecteurs votre deuxième recueil, La Chute, combler l’absence ?
« Dans le deuxième recueil, la Chute, combler l’absence, qui vient de sortir aux éditions du Net, à Paris, j’approfondis encore plus les investigations du premier recueil.
La Chute, combler l’absence est plus volumineux (près de 230 pages), c’est un recueil où il y a plus de philosophie de la vie, où j’essaie de communiquer ma passion des mots en racontant avec des vers différentes pérégrinations entreprises soit à Paris, soit en Normandie, soit en Occitanie ou encore en Kabylie. Ainsi il y a des virées en Kabylie où la beauté des sites est mise en valeur sans oublier une certaine amertume quand les valeurs de cette splendide région sont bafouées par des comportements indignes. Cependant, il est toujours possible de dépasser ces errances pour se retrouver et construire sur des bases solides, pour plus de démocratie, plus de justice sociale, plus de propreté, plus d’écoute, plus de solidarité, plus de générosité. Dans La Chute, combler l’absence, il est également question de soirées pari¬siennes où l’homme se cherche, cherche des remèdes à sa solitude, cherche une plénitude impossible à trouver. Parfois en écrivant certains poèmes de ce recueil, je pensais au parcours de Baudelaire dans cette même ville où lui aussi avait été l’objet de nombreux malentendus. En écrivant ces poésies, je pensais également à Jacques Brel, à sa force, à son courage, à ses désirs d’absolu. Dans La Chute, combler l’absence, il y a une tentative de synthétiser les moyens de dépasser les blessures, pour enfin renaître…
Partons un peu de vos projets…
« Je continue à écrire, je continue à composer des chansons, je continue à apprécier les belles choses de la vie au quotidien, je continue à lire des poésies, des romans, des essais…J’ai fait de nombreuses nouvelles chansons que je mettrai en album quand j’aurai un peu plus de temps, quand je sentirai que c’est le mo¬ment, quand les conditions idéales se présenteront… »
Un mot pour conclure
« J’ai une pensée pour la Kabylie, j’ai une pensée pour tous ceux qui souffrent en Kabylie, en Algérie, en Afrique du Nord : nous devons regarder vers les plus faibles, nous devons regarder comment les autres pays viennent en aide aux plus faibles. Il faut que nous sortions de nôtre égoïsme, il faut tenter d’apporter du bonheur et de la joie dans le cœur des malheureux et des misérables. Et c’est toujours possible quand nous voulons le faire. J’ai également une pensée pour nos poètes, nos écrivains qui ne sont pas vraiment considérés, qui sont souvent marginalisés. Il faut arrêter d’encourager les mêmes personnes depuis de longues années, il faut cesser de marginaliser les vrais talents. »
Entretien réalisé par Hafit Zaouche
Le Journal La Cité, du 24 octobre 2017
_____________________________________
BRAHIM SACI, ÉCRIVAIN ET POÈTE, À L’EXPRESSION
« Écrire, c’est chercher un réconfort »
Il revient avec un deuxième recueil de poésie. Après un premier recueil de poésie, vivement remarqué chez les amoureux des mots bien ficelés, Fleurs aux épines, Brahim Saci revient avec un deuxième recueil, La Chute, combler l’absence, des textes profonds, empreints d’une sagesse et d’une exquise spiritualité. Dans cet entretien, il s’attarde sur la genèse de ce nouveau livre; il nous fait également partager son monde d’artiste exigeant.
L’Expression: Une année après la sortie de votre premier recueil de poésie, Fleurs aux épines, vous récidivez avec un autre titre plus volumineux, La Chute, combler l’absence, pouvez-vous nous dire comment avez-vous écrit ces nouveaux poèmes?
Brahim Saci: Effectivement, une année après la sortie de mon premier recueil, Fleurs aux épines, le deuxième, La Chute, combler l’absence, vient de sortir à Paris aux éditions du Net. J’avoue qu’au départ je ne pensais pas que j’écrirai un deuxième recueil; mais l’inspiration a été au rendez-vous, c’est comme si quelque chose me poussait à donner une suite au premier recueil, comme s’il fallait donner un frère à mon premier livre, un frère qui vient approfondir les quêtes du premier recueil. Et ce deuxième recueil est beaucoup plus volumineux que le premier, il est aussi assez différent, dans la mesure où il contient des poèmes qui racontent des épisodes de ma vie, des lieux qui m’ont habité, qui m’ont permis d’être ce que je suis. Trois endroits sont souvent décrits dans ce second recueil: la Normandie, Paris et la Kabylie; il y a également une virée en Occitanie, une région où repose le grand chanteur kabyle, Slimane Azem. Toujours dans ce recueil, il y a également une tentative d’aller sur les chemins de la sagesse et de la spiritualité.
Vos poèmes sont souvent porteurs d’une forme de musicalité, est- ce que c’est votre parcours de chanteur qui refait ainsi surface dans ce livre?
C’est possible, mais la poésie, toute la poésie est une musique qui nous vient du fond de notre âme, presque inconsciemment, presque naturellement. C’est vrai qu’il y a des facteurs qui déclenchent cette musique. Ces airs sont en rapport avec cette poésie qui tente de dire le temps qui passe, qui tente de se rappeler les amours disparus. Pendant des années, je n’ai écrit que des poèmes en langue kabyle, certains je les ai chantés à travers mes albums de chansons, puis, un ami, l’écrivain Youcef Zirem, m’a incité à écrire quelques poèmes en langue française et là, tout m’est revenu, mes poèmes de jadis en langue française quand je n’étais encore qu’un enfant ont refait surface. La poésie de langue française m’avait permis de tenir le coup à mon arrivée à Paris à l’âge de 10 ans, j’avais quitté mon village, les miens, le soleil de ma belle Kabylie, c’était difficile à admettre. Oui, c’est en partie, cette poésie de langue française qui m’avait pris dans ses bras et m’avait consolé de ma séparation d’avec la Kabylie. Bien des années plus tard, cette poésie de langue française m’avait aussi consolé de toutes ces blessures de la vie qui se dressent inévitablement sur notre chemin.
Il est beaucoup question d’un amour qui se termine mal dans ce deuxième recueil, comment faire pour dépasser tant de blessures ?
Écrire c’est souvent chercher un réconfort face à la douleur qui nous emprisonne, qui ne veut pas s’en aller. La poésie est un outil pour oublier la trahison, le mensonge, le malentendu, la fin du bonheur. Ce n’est qu’à la fin du bonheur qu’on se réveille un peu, qu’on se pose les vraies questions; là, on essaie de dépasser l’absurdité de notre condition de mortels. Dans La Chute, combler l’absence, je suis revenu sur un vécu lumineux pour interroger les jours qui sont venus l’assombrir. Le miracle de la poésie est dans ces traces que forment les mots, des traces qui vont parler ensuite à d’autres qui ont probablement vécu les mêmes tourments. La poésie nous apprend, au final, que nous pouvons toujours dépasser les blessures, qu’il faut toujours regarder vers le meilleur qui arrive, qui est toujours possible. Dans la vie, l’expérience des anciens nous apprend qu’il y a toujours de la lumière qui vient nous bercer après les jours noirs, après l’obscurité du malheur. C’est aussi ce que j’ai tenté de dire à travers ce deuxième recueil de poésie.
Il y a aussi beaucoup de spiritualité dans ce deuxième recueil, comment avez-vous procédé pour aboutir à ces mots qui apaisent, qui font voyager?
La spiritualité ne me quitte jamais, elle m’accompagne chaque jour dans cette belle ville de Paris où les gens sont souvent pressés. La spiritualité est mon oxygène au quotidien, un besoin vital. Cette spiritualité ignore les dogmes, elle est à la hauteur des choses simples, à la hauteur de ceux qui savent que nous ne sommes que des passagers sur cette terre. La spiritualité qu’il y a dans La Chute, combler l’absence, est presque naturelle, même si les épreuves de la vie sont venues la fortifier, lui donner un corps à travers mes poèmes. Plus le temps avance, plus on sent un désir de transmettre un peu de cette spiritualité qui peut aider les uns et les autres à se retrouver. Il y a souvent de la magie dans la poésie: quelques mots peuvent semer de l’harmonie dans les âmes les plus tristes, quelques mots peuvent nous guider sur le difficile chemin de la sagesse.
Vos livres ne sont pas disponibles en Algérie, comment vivez-vous cela?
Oui, mes livres ne sont pas disponibles en Algérie mais j’espère qu’un jour, ils seront édités dans mon pays natal. On verra bien, si l’occasion se présente, si cela va devenir possible. Il y a beaucoup de poèmes dans La Chute, combler l’absence, qui parlent aussi de l’Algérie; des poèmes qui veulent un changement positif dans notre pays malgré les temps difficiles, malgré toutes les insuffisances d’hier et d’aujourd’hui. La poésie fait partie de cette belle mécanique qu’est la culture. La culture est une mécanique qui fait évoluer les pays. Un pays qui donne de l’importance à la culture, à l’instruction, à l’éducation, au savoir, à la science est un pays qui avance, c’est un pays qui ne perd pas ses repères, un pays qui n’a pas peur de l’avenir. Il y a tant de chantiers à entreprendre en Algérie: dans tous les domaines, il faut bâtir sur des bases solides, il faut aller sur les chemins de la vérité pour le bien de toute la population, pas seulement pour le bien d’une fraction de la société. Pour moi, la poésie sert également à dire qu’il ne faut pas ignorer les plus démunis. Je me sers de la poésie pour dire que la justice, la démocratie, la liberté d’expression sont indispensables dans une société qui ne veut pas stagner. Une société qui ne prend pas en considération les aspirations réelles de tous ses membres est condamnée à faire du sur place; elle est condamnée à la régression.
Avez-vous d’autres projets et travaillez-vous sur quelque chose d’autre en ce moment?
Des projets, j’en ai beaucoup, mais il faudra bien les concrétiser, ce n’est pas toujours facile. Dernièrement, j’ai chanté une nouvelle chanson, inédite, au conservatoire de musique du VIIIe arrondissement de Paris, le public a beaucoup apprécié cette nouvelle création. C’est la troisième année que je chante dans ce beau et grand conservatoire de Paris, à chaque fois, j’ai interprété une nouvelle chanson. Au final, j’ai déjà plusieurs chansons inédites que je pourrais mettre dans un nouvel album, mais je ne me presse pas, je laisse le temps faire les choses, j’attends le moment idéal pour les immortaliser dans un nouvel album. Après la sortie de mon deuxième recueil de poésie, je n’ai pas arrêté d’écrire: dès qu’il y a une ambiance qui s’y prête, l’inspiration vient me rejoindre et là, je prends mon stylo et griffonne des mots sur des bouts de papier. Je ne sais pas encore s’il y aura un troisième recueil; je laisse cela au hasard de la vie, à cette course des astres qui restera pour nous toujours une énigme. Moi je continue à écrire, à méditer, à élaborer de nouvelles mélodies en pensant chaque jour à la Kabylie, à l’Algérie, à l’Afrique du Nord. Paris me permet d’avoir du recul sur ce qui se passe dans le monde, cette ville sait me donner cette sérénité nécessaire à chaque jour pour apprécier la beauté de la vie.
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE – Mercredi 10 Janvier 2018
_________________________________
FLEURS AUX ÉPINES DE BRAHIM SACI
Les lumières qui remplissent la vie.
Chantant et écrivant en kabyle et en français, universitaire, Brahim Saci nous donne à lire dans ce recueil une poésie qui nous fait du bien, qui apaise notre âme.
Ce sont des poèmes vivants et enivrants que vient de publier, aux éditions du Net, en France, le chanteur kabyle Brahim Saci. Dans ce recueil, qui fait voyager le lecteur au titre évocateur de Fleurs aux épines, l’enfant de Tifrit At Umalek va au fond de lui-même pour exprimer ses joies et ses peines. «Certains êtres ont fait de la folie un but, pourtant que la vie est belle! Certains abandonnent leur chien, leur chat, leur coeur, côtoyant des brutes, se précipitent vers les ténèbres, abandonnant le ciel», écrit Brahim Saci dans un émouvant poème intitulé Loin du ciel. Au fil des pages, on passe d’une expérience à une autre, d’une errance à l’autre, parfois c’est la lassitude, parfois ce sont des âmes obscurcies, parfois ce sont des esprits vils, parfois c’est le feu qui embrase le coeur, mais au bout ce sont également des lumières qui remplissent la vie de ceux qui savent être patients. Il y a beaucoup de sagesse dans ce somptueux recueil, Brahim Saci nous emporte avec lui dans ses belles pérégrinations poétiques; c’est le riche parcours d’un vrai artiste que nous découvrons.
«Vivez l’instant sans penser à demain, votre soleil peut ne pas se lever le matin, restez dans la lumière, (…) Même quand votre coeur est plein, occupez-vous de votre jardin, ne jugez jamais, ayez un bon caractère», soutient le poète qui a longtemps marché dans les rues de Paris, tout en pensant à son pays l’Algérie et à sa belle Kabylie où il est né. La nostalgie est là, le temps s’enfuit, l’amour s’effiloche, le coeur saigne, et pourtant il faut encore espérer, il faut encore croire à demain. «Ô celle pour qui je tremble et frisonne! A chaque souvenir ou évocation de son nom, mon coeur épuisé tombe comme une feuille d’automne, qu’on piétine à terre cette saison, (…) Les accidents de la vie passent, il est plus facile de les affronter à deux, l’amour recolle ce que la vie casse, si l’on n’a pas peur d’être heureux», écrit Brahim dans un poème intitulé Souvenir.
Le poète s’interroge sur le mal qui vient toujours abîmer le bien et la beauté du monde; il tente de trouver des réponses, il se fait, parfois, mystique. «Il y a tant de mystères, qui se cachent derrière l’apparence des choses, tant de vermines sur la terre, du sang sur les épines des roses, la laideur se voile d’une beauté éphémère, la vie elle-même est trompeuse, tant de démons se cachent derrière des prières, les ombres sont nombreuses, que peut la frêle lumière? Quand tant d’âmes sont ténébreuses, on veut faire de la terre un désert, ô fragile existence orageuse!» Tel est le cri sincère d’un homme qui a toujours aimé les mots. Face au destin, l’homme tente de trouver le chemin de l’harmonie; il veut être lui-même, il ambitionne d’être humain et utile aux autres. Mais les chemins sont parfois escarpés et inaccessibles.
Dans un poème intitulé L’Impasse, le poète écrit: «(…) Les démons rôdent, je le sais, guettant la frêle harmonie, piétinant tout ce qui est vrai, semant l’orage pour étouffer les cris. (…) Le destin se joue de nous, fier, il nous piétine quand on croit le tenir, il nous jette là où se raréfie l’air, sans amour, sans amis, pour nous affaiblir.» Chantant et écrivant en kabyle et en français, universitaire, ancien animateur de radio, ancien caricaturiste et portraitiste sur les belles et célèbres places parisiennes, Brahim Saci nous donne à lire dans ce recueil une poésie qui nous fait du bien, qui apaise notre âme.
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE – Le quotidien L’expression, Lundi 19 Décembre 2016
Fleurs aux épines, Editions du Net, 136 pages, octobre 2016
_________________________________________________
Conservatoire du 8ème arrondissement
Le 07 juin 2006
La belle prestation de Brahim Saci
Par Youcef Zirem
Ambiance de fête et convivialité ont été au rendez-vous le temps d’une belle soirée. La chanson kabyle a enthousiasmé le public.
Une fois n’est pas coutume, c’est un chanteur kabyle que l’Amicale du conservatoire du 8ème arrondissement de Paris présente. Pour une première, c’est une grande réussite. Le public apprécie et sort comblé de ce défilé de chansons venues d’Afrique du Nord. C’est un prélude andalou qui démarre le show. Ce morceau fait déjà voyager l’assistance. On se met à imaginer les splendeurs d’une autre époque. L’orchestre composé de Ahmed Ait Amar (violon), Hammouche Yahia (alto), Hacène Ait Moula (derbouka), Cherat Ramdane (banjo), Ali Benali Amirouche (guitare), Belarbi Nadir (clavier) et Djemli Madjid a une grande expérience derrière lui. Brahim Saci chante ses succès comme La Colombe, le Déclin des jours ou encore Vas mon âme. Il envoûte le public avec des paroles en kabyle et en français. L’artiste a grandi en France où il a suivi des études littéraires et a beaucoup lu Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et les autres poètes français.
Brahim Saci a également été portraitiste sur les places touristiques parisiennes tout comme il a eu une expérience radiophonique dans sur les ondes franco-maghrébines quand il faisait des émissions sur la littérature et l’histoire des Berbères. Les poètes berbères Si Mohand ou Mhand et Slimane Azem le marquent à jamais. Brahim Saci produit de 1992 à 1997 cinq albums à Paris. Ces créations parlent de l’amour, de la nostalgie d’une terre perdue, du temps qui passe inexorablement, de la douleur de vivre des mauvais jours, des affres de l’exil, du désir de surmonter les difficultés. A sa façon, il continue les quêtes artistiques de Slimane Azem, un grand artiste que le pouvoir algérien n’a pas cessé de marginaliser jusqu’à sa mort en 1983.
Brahim Saci interprète D nekwni i d nekwni (ce que nous sommes), une merveilleuse chanson de Slimane Azem et enflamme la salle. Au même moment, des douceurs berbères et du thé à la menthe sont distribués au public. La convivialité atteint ses sommets et la belle Véronique Vernon, vice-présidente du conservatoire, est bien contente. A bien des égards, cette soirée du mercredi 7 juin 2006 restera dans les mémoires des admirateurs de Brahim Saci.
La Maison des journalistes-Paris- 11 juin 2006
Récital au conervatoire Camille Saint Saëns du 8ème arrondissement de Paris. Le 07 juin 2006. Avec les musiciens: Ahmed Ait Amar (violon), Hammouche Yahia (alto), Hacène Ait Moula (derbouka), Cherat Ramdane (banjo), Ali Benali Amirouche (guitare), Belarbi Nadir (clavier) et Djemli Madjid ( mandole).
_________________________________________
Le malaise incommensurable des plus démunis
la ville a du mal à respirer en ce moment. C’est le mois de juillet mais le soleil est presque absent à Paris. La venue de nombreux dirigeants politiques du monde pour le sommet de l’Union Pour la Méditerranée fait chambouler les plans de circulation dans cette merveilleuse cité, capitale mondiale de la culture.
Sécurité oblige, le parcours de nombreux bus est dévié. Mais Paris ne vit pas uniquement pour cette rencontre politique dont on sait d’avance l’incertitude de ses résultats. Paris est plutôt une halte incontournable pour les artistes et les rêveurs. Brahim Saci en fait partie. Avec sa guitare en bandoulière, il ne cesse de parcourir les nombreux bistrots algériens, après son travail au service culturel de la mairie de Paris.
Universitaire, Brahim Saci a fait l’ensemble de sa scolarité à Paris mais il est resté toujours à l’écoute de ce qui se passe en Algérie, son pays natal. C’est au début des années 90, qu’il enregistra son premier album de musique chaâbie. Sur les traces de son idole de toujours, Slimane Azem, il séduit de nombreux mélomanes, de création en création. Quand on écoute Brahim Saci chanter, on a l’impression d’entendre Slimane Azem, excommunié des médias algériens durant de longues années.
La poésie de Brahim Saci, écrite en kabyle et en français, est limpide et profonde ; elle raconte la réalité de l’immigration et de l’Algérie sans aucune tricherie. Elle est à l’image de l’homme qu’il est : un être sensible et généreux, essayant tout le temps d’aider les uns et les autres. Brahim Saci est aussi un grand lecteur : son appartement dans le 20eme arrondissement de Paris est plein de livres.
Tout ce qui s’écrit sur l’Algérie, on peut le trouver chez lui. Brahim Saci est conscient des malheurs de l’exil. Loin des siens, la solitude est souvent amère. «Ne me comprennent que ceux qui ont marché sur mes pas… Il y a une nécessité de dire pour ne pas sombrer. Aborder l’art avec amour car seul ce sentiment permet de le saisir», me dit-il. Brahim Saci revient périodiquement en Algérie. Mais il est parfois triste de constater la perte de certaines valeurs dans le pays de ses ancêtres : comme le manque de solidarité, la course effrénée vers l’argent facile ou encore le malaise incommensurable des plus démunis. Le plus grand souhait de Brahim Saci, c’est de voir une société civile autonome s’attaquer aux vrais problèmes. Ce souhait de l’artiste est certainement partagé par une foule d’individus.
Youcef Zirem
Algérienews du 14 juillet 2008
_________________________________________________
Brahim Saci:
» L’Algérie habite mon cœur et mon esprit «
Entretien réalisé par Mohand-Cherif Zirem
Auteur, compositeur et interprète de ses chansons, Brahim Saci est un célèbre chanteur kabyle, connu en Algérie, mais surtout en France où il vit depuis l’âge de 11 ans. La presse algérienne le surnomme L’incarnation de Slimane Azem, tellement sa manière de chanter ressemble à ce monument de la chanson nord-africaine.
Ces deux artistes chantent énormément sur l’exil et la nostalgie du pays natale. Saci est aussi un grand poète, un dessinateur et un ancien journaliste qui a fait ses preuves dans nombre de radios. Dans cet entretien exclusif, ce talentueux artiste nous livre des secrets sur ses œuvres magiques, mais aussi sur la chanson algérienne et bien d’autres questions artistiques et actuelles.
Vous êtes auteur compositeur et interprète de vos chansons.
Peut-on connaître le secret de cette polyvalence ?
C’est certainement la passion, je suis un homme passionné qu’un rien émerveille; où que je sois l’inspiration peut souffler comme un vent bienfaiteur. La poésie fait partie de ma vie depuis l’enfance, l’art de la rime, ce don de Dieu peut me visiter dans la rue, dans un bus, dans le métro ; je peux écrire même dans la foule car j’arrive à me détacher d’une certaine réalité comme pour rentrer dans une autre réalité parallèle où tout n’est que Art et volupté…
La musique chaâbi, quant à elle, habite en moi dans l’âme, le cœur et l’esprit: mon père m’a permis de découvrir Slimane Azem, ce créateur génial, poète, chanteur, fabuliste, dramaturge qui a bercé des générations et des générations d’émigrés. Après il y a évidemment le travail; sans le travail le talent ne peut pas suffire, car il ne pourra s’exprimer entièrement. Il faut dans bien des cas se fatiguer, aller au plus profond de soi-même pour en tirer le meilleur, être un peu perfectionniste pour aboutir à des choses abouties.
Toute mon enfance fut bercée par les chants et la poésie de Slimane Azem, émerveillé par la richesse mélodique et la force du verbe de celui-ci, je ne cesse de m’y référer comme à une source salutaire. Slimane Azem est pour moi un maître et un père spirituel. Plus tard, la découverte de Dahmane El Harrachi a renforcé mon amour pour la musique chaâbi.
D’autres artistes m’ont influencé et continuent de m’influencer aussi bien dans l’âme poétique que dans la création musicale : Youcef Abdjaoui, Allaoua Zerrouki, Cheikh Arab, Ahcene Mezani, Matoub Lounès, El Hasnaoui, El Anka, Kamel Messaoudi, pour la chanson algérienne, Brel et Brassens pour la chanson française. Un bagage culturel riche et varié est nécessaire au créateur.
Que représente justement la poésie pour vous ?
En kabyle, le poète c’est celui qui éclaire. Dans la Grèce antique toute expression littéraire était qualifiée de poétique comme c’est également le cas dans la culture Kabyle, où le poète est celui qui manie le verbe ou qui a l’art de manier le verbe. La langue kabyle est elle-même empreinte de poésie. La poésie est la première expression artistique et le genre littéraire le plus ancien de l’humanité. La poésie reste un mystère; la poésie est l’âme des choses, l’âme profonde des choses. Sans la poésie, la saveur de la vie elle-même n’est plus pareille. La poésie nous aide à supporter les difficultés de la vie, à relativiser leur importance. La poésie nous aide à avancer, elle nous permet d’aimer les autres, ce qui est magnifique. Elle nous permet aussi de voir la beauté du monde quand on sait l’approcher avec amour.
Même si vous avez une originalité, vous ressemblez à Slimane Azem dans vos œuvres. D’où vient cette similitude ?
Je ne saurais le dire exactement; ma légère ressemblance avec Slimane Azem est peut-être un miracle, mais pour espérer approcher la poésie de Slimane Azem il faut soi-même ciseler le verbe et l’élever au-delà des cimes. Mais Slimane Azem est un monument de la musique algérienne et de la musique mondiale que personne ne peut réellement imiter ou égaler. Mon admiration sans bornes pour Slimane Azem, mon intérêt pour tout ce qu’il a fait, m’ont permis d’aller un peu sur ses traces et je suis ému quand on me dit que je ressemble à Slimane Azem. C’est un grand honneur pour moi.
A ce jour, Slimane Azem n’est pas reconnu à sa juste valeur dans son pays. Pourquoi ?
Slimane Azem est incontournable dans le domaine de la chanson nord-africaine. Personne ne peut l’occulter. Même banni des médias de son pays durant des années, il n’a jamais été oublié par ceux qui l’adorent, et il n’a jamais cessé de chanter, d’aimer l’Algérie. Dans un de ses plus beaux poèmes composés vers la fin de sa vie, il disait :
Je me rappelle cette nuit d’orage
Entouré de mon père et de ma mère
En exil dès mon jeune âge
J’ai préparé mes affaires
Pour mon premier voyage
M’exiler au-delà des mers
Je revois d’ici mon village
Et tous ceux qui me sont très chers
Pour moi ce paysage
Est le préféré de la Terre
L’Algérie, mon beau pays
Je t’aimerais jusqu’à la mort
Loin de toi, moi je vieillis
Rien empêche que je t’adore
Avec tes sites ensoleillés
Tes montagnes et tes décors
Jamais je ne t’oublierais
Quelque soit mon triste sort
Seul, je me parle à moi-même
J’ai failli à mon devoir
J’ai mené une vie de bohème
Et vécu dans le cauchemar
Quand je chante ce poème
Je retrouve tout mon espoir
L’Algérie, mon beau pays
Je t’aimerais jusqu’à la mort
Loin de toi, moi je vieillis
Rien n’empêche que je t’adore
Avec tes sites ensoleillés
Tes montagnes et tes décors
Jamais je ne t’oublierais
Quelque soit mon triste sort.
Un poème d’une force et d’une profondeur inouïe qui en dit long sur l’exil amer et la souffrance de l’éloignement du pays natal. Slimane Azem est un grand artiste mais c’est aussi un esprit libre qui dit l’essentiel, qui parle aussi de la nécessité de la liberté, de la justice sociale, de la démocratie, où chaque Algérien aura sa place dans la diversité culturelle et linguistique. Ces idées continuent à gêner certains mais le jour viendra bientôt où ces belles valeurs viendront naturellement et s’imposeront.
Vous vivez en France, mais vous-êtes toujours attaché à votre pays. Parlez-nous de cette passion de la terre natale ?
Je vis en France depuis près de 40 ans mais je n’ai jamais coupé les ponts avec mon pays natal. Chaque année je viens une ou plusieurs fois en Algérie pour me ressourcer. Ce pays, ma Kabylie natale, sont mon oxygène. L’Algérie, c’est le pays de mon enfance et l’enfance ne s’oublie jamais.
L’Algérie habite mon cœur et mon esprit. Loin d’elle nous sommes emprunts de nostalgie quand ces années magiques de l’enfance reviennent pour nous apporter les senteurs de jeunesse où tout n’était que paix et sérénité auprès de ses parents dans la chaleur du foyer. Loin d’elle, ces images reviennent et tournoient comme un tourbillon dans la tête et nous plongent dans un spleen baudelairien qui engendre une douleur de l’âme. Paradoxalement, cette nostalgie et ce spleen sont un aliment pour l’expression artistique.
L’exil est le thème qui revient souvent dans vos poèmes. Est-ce une souffrance inguérissable ?
L’exil est toujours amer. Avec le temps on fait semblant de le supporter mais c’est toujours une blessure dont on ne guérit jamais. Mais l’exil est également un chemin vers la sagesse, vers le recul, vers le questionnement profond. L’exilé est comme un arbre qu’on déracine et qu’on tenterait de replanter ailleurs, même s’il reprend vie, il aura toujours le mal du pays. Le drame est qu’à l’exil apparent s’ajoute l’exil intérieur du poète, l’incompris, l’esseulé. On peut dire que ma souffrance est double. Si l’exil nous étouffe peu à peu en France, où l’étranger est un bouc-émissaire qu’on montre du doigt à chaque crise sociale ou problème de société, de retour au pays natal nous sommes confrontés à un étouffement d’un autre ordre encore plus dévastateur.
On se rend vite compte que l’oxygène qu’on est venu chercher se raréfie inexorablement dans ce pays natal qui peine à se démocratiser, on ressent donc vite le désir de repartir. Un pays qui mérite tellement mieux et qui pourrait mieux faire. Il suffirait d’un soubresaut des intelligences algériennes, je sais qu’il y en a, pour construire un avenir meilleur. Je me sens comme un écorché vif qui a l’impression de n’être nulle part chez lui.
Pourquoi la plupart des intellectuels algériens établis en France peinent à s’imposer ?
Il est difficile en France d’être reconnu en tant qu’intellectuel si on n’est pas dans le politiquement correct. Les intellectuels algériens dont on parle en France sont souvent ceux qui épousent les idées dominantes. Si l’intellectuel algérien n’a pas véritablement sa place en France c’est aussi parce qu’il n’a pas su s’organiser et se constituer en réseaux comme le font d’autres communautés. Sans cela il ne peut avoir une visibilité médiatique et peser sur la scène politique. Dans la lutte pour la survie, au lieu de s’unir pour constituer une force pour s’entraider, ces intellectuels restent dispersés et les rares réussites restent individuelles.
Que peut-on dire de la chanson algérienne actuelle ?
La chanson algérienne est très riche et variée. Elle se décline en plusieurs langues et en plusieurs styles. Peut-être que les meilleurs chanteurs algériens ne sont pas toujours les mieux médiatisés. Chaque région de ce beau pays a son style musical, mais ces styles musicaux ne sont pas assez visibles malheureusement. Il faudrait seulement plus de moyens pour permettre aux nombreux créateurs de chaque région d’Algérie de s’exprimer et vivre de leur Art.
Nous voyons quelques artistes qui courtisent le pouvoir monopoliser la scène artistique, je pense qu’il devient urgent d’arrêter ces pratiques et d’ouvrir la scène aux nombreux créateurs algériens. Les temps de la pensée unique sont révolus, le 21ème siècle est un siècle d’ouverture et de liberté.
Quelle est la place de la culture en Algérie ?
La culture Algérienne est d’une richesse et d’une diversité extraordinaire. Il suffit de parcourir le pays pour se rendre compte de cette diversité, de cette richesse, des couleurs, où chaque région de ce vaste et beau pays a sa couleur et sa particularité culturelle. La culture n’a hélas jamais été la priorité de ceux qui dirigent l’Algérie et pourtant c’est la culture qui va sauver ce pays !
Quand je suis en Algérie je me rends vite compte du désert culturel, le constat est facile à faire, il n’y a quasiment plus de cinémas et les théâtres sont rares. Il y a tant à faire dans la production théâtrale et cinématographique, et il faudrait aussi créer une agence nationale pour les artistes pour leur permettre comme en France d’être rémunérés lorsqu’ils ne travaillent pas et revaloriser le statut de l’artiste.
Il faudrait créer des conservatoires de musiques et des centres de loisirs et d’animation pour enfants et adultes dans chaque commune pour permettre aux écoliers d’avoir des activités extrascolaires et aux adules d’avoir une pratique artistique Quand un enfant sort de l’école, il va au conservatoire ou au centre d’animation et de loisirs. Comme cela se fait en France.
Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
En fait j’en ai lu deux : Le dernier roman de Youcef Zirem « L’homme qui n’avait rien compris « publié aux éditions Michalon. Un beau roman dont l’histoire se déroule entre Alger et Paris, dont je suis l’un des personnages. «Histoire de Kabylie» de Youcef Zirem aus éditions Yoran Embanner. De l’antiquité à nos jours. J’ai eu la chance de m’exprimer dans ce fabuleux livre.
Quels sont vos projets artistiques ?
Les projets foisonnent dans ma tête. Mais les obstacles de la vie et ses tourments retardent leur publication. J’écris pourtant et compose beaucoup. Tant bien que mal j’essaie de mener à bien ces projets. J’ai en fait deux albums de 16 chansons qui sont presque prêts, mais dans un souci de perfection ils sont encore dans mes tiroirs. Mais je pense qu’ils arriveront bientôt à maturité pour le bonheur de mon public!
L’Echo d’Algérie du 19 décembre 2013.
Entretien réalisé par Mohand-Cherif Zirem
_______________________
BRAHIM SACI : « L’Art est avant tout un acte d’amour »
Universitaire, activant dans le secteur culturel, au niveau de la Mairie de Paris, Brahim Saci est aussi un chanteur de talent, un poète original. Il nous dit, ici, sa perception de la musique, son parcours jalonné de multiples haltes créatrices.
Universitaire, chanteur, poète, animateur de la vie culturelle à Paris, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous raconter un peu votre parcours ?
Brahim Saci : L’artiste en général et le poète en particulier préfère l’ombre à la lumière. L’art est avant tout un cri d’amour. Adolescent, la découverte d’Arthur Rimbaud à Paris m’a bouleversé tant son génie est exceptionnel. À l’époque, j’écrivais pour oublier un peu ma profonde solitude intérieure. C’est par un coup du destin que je me suis retrouvé en France à l’âge de 10 ans. J’étais un enfant joyeux au village Tifrit Nait Oumalek, beau village de montagne de l’arch des Aït Idjeur au pied de l’Akfadou, village sous la protection du Saint Sidi Mhand umalek, de cette majestueuse et millénaire Kabylie. Les jours passaient dans un bonheur sans pareil, entre l’école et les jeux avec les autres enfants du village.
Le village comme tous les villages kabyles s’est toujours autogéré, ce qui le préservait des tourments politiques et protégeait aussi la paix régnante. Chaque jour était un rayon de soleil, étant gâté par une grand-mère paternelle Samah Zahra (setti zahra) paix à son âme, admirable et généreuse, qui m’a bercé dans les contes kabyles, gâté aussi par une grand-mère maternelle Hamek Keltoume (setti Taweccixt) femme de coeur tout aussi admirable, du village Tazrouts Nait Oumalek de la wilaya de Bgayet, village sous la protection du Saint Sidi Mhammed Ouali, village qui m’est aussi cher parce que j’y suis né. Je me souviens que par les rudes nuits d’hiver, assemblés autour du kanun, du feu, ma mère nous jouait des petites pièces théâtrales improvisées, cela nous faisait oublier le froid et la rudesse de l’hiver et comblait un peu le manque du père, immigré en France depuis les années 50, qu’on ne voyait qu’un mois dans l’année. Mon grand père paternel Saci ALi était aussi immigré en France depuis 1912. Le destin a voulu que je quitte cet univers enchanté pour atterrir à Paris fin 1975. Vivant seul, mon père ne pouvait me garder à Paris. Il me confia donc à sa soeur, ma tante Saci Taklit, qui vivait en famille à Pierrefitte, en Seine Saint Denis.
De l’Akfadou à Saint-Denis.
Ils m’ont toujours considéré comme leur propre fils, je leur dois beaucoup. Je fus donc scolarisé à Pierrefitte en dernière année de primaire CM2 à l’école Eugène Varlin, je garde un précieux souvenir du directeur Jean Dalarun, un homme de coeur qui a toujours eu une attention par ticulière à mon égard. J’avais eu au village un instituteur de français tout aussi remarquable, Mouhoune Mhamed, dont l’enseignement de qualité a fait que j’ai pu suivre une scolarité normale en France. J’ai continué ma scolarité non sans difficultés mais la poésie m’aidait à les surmonter. D’autant que la muse m’a ouvert ses bras où je pouvais me réfugier de temps à autre. Le dessin aussi était un refuge, ainsi que les BD, dont j’étais un grand lecteur. Au lycée j’ai découvert la poésie de Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire. Aux concours de poésie organisés chaque année par le lycée, je remportais des prix, ce qui me conforta dans mon envie d’écrire.
À la fin de la dernière année de collège, je quittais Pierrefitte et la famille Ladaoui pour rejoindre mon père à Paris. La vie à Paris allait changer ma vie. J’entrais au lycée Paul Eluard à Saint-Denis. Un jour, allant me promener du côté du Châtelet, je me retrouvai devant le Centre Beaubourg où des artistes faisaient des portraits et des caricatures des touristes. Je décidais alors de mettre en pratique mon talent de dessinateur et de m’installer là tous les week-ends pour dessiner. À partir des années 90, voyant les mentalités et les libertés rétrécir à Paris, les artistes étant de moins en moins tolérés dans les rues parisiennes, je décidai d’arrêter ce métier et de me consacrer à mon autre passion : la musique.
Dans le 20e arrondissement de Paris où je vivais, j’avais rencontré un talentueux musicien chaabi, Si Tayeb Ali, originaire de Maatqa, et qui gérait un café. Grâce à lui j’ai pu côtoyer de grands artistes kabyles comme Akli Yahyaten, Rachid Mesbahi, Ait Meslayen, Youcef Abjaoui, Cid Messaoudi et beaucoup d’autres. Si Tayeb Ali m’apprit les rudiments du chaabi et m’a appris à aimer Dahmane Elharachi. En 1992, j’enregistre mon premier album, « Exil éternel », en hommage à Slimane Azem. J’ai 31 chansons qu’on peut écouter et même télécharger sur mon site internet, www.brahimsaci.com. Je reste un bohème, un poète qui écrit dans les rues de paris des vers en kabyle et en français que le vent disperse.
Quand vous chantez, on a l’impression d’entendre le grand Slimane Azem chanter. Comment arrivez-vous à faire une telle prouesse ?
B.S. : En fait, c’est loin d’être une prouesse, c’est tout à fait naturel. Mais vous êtes gentil quand vous dites qu’en a l’impression d’entendre le grand Slimane Azem, mais je dirais : lbarakka kan, c’est juste un don du ciel. Je suis franchement loin de pouvoir égaler la qualité vocale du grand Slimane Azem.
La justesse de sa voix surtout dans l’istikhbar, le prélude chaabi, est époustouflante. Rares sont ceux qui peuvent rivaliser avec lui. Ses préludes chantés coulent comme l’eau d’une source du Djurdjura, c’est la pureté de la source, c’est la langue kabyle incarnée. Le chaâbi, musique populaire algérienne, dérive du style classique arabo-berbèro-andalous, musique savante que le grand Maître El Anka a codifié en raccourcissant et simplifiant les modes pour les rendre plus accessibles. Dahmane Elharachi a vulgarisé cette musique en la rapprochant du peuple.
Slimane Azem était un as de la composition. D’où la simplicité apparente qui n’en est pas en réalité. Il était une légende de son vivant pour la musique, le chant et le verbe, comme l’était avant lui Si Mohand U Mhand par le verbe.
Mais je vous dirais que ne ressemble pas au légendaire Slimane Azem qui veut. Ce n’est pas tout à fait un hasard. Il faut avoir un bagage culturel, avoir beaucoup étudié les auteurs et poètes kabyles et d’ailleurs, avoir une expérience de vie riche, même en souffrances.
Faut marcher sur le brasier pieds nus sans bouger un sourcil, être un homme de convictions comme l’était Matoub Lounes, avoir une bonne connaissance musicale. Il faut beaucoup lire, maîtriser les techniques de versifications, avoir une bonne connaissance de la langue et aimer profondément ce qu’on fait. L’art c’est avant tout l’amour, donner sans rien attendre en retour…
Le thème de l’exil est assez présent dans votre oeuvre, pouvez-vous nous dire un mot à ce sujet ?
B.S. : L’exil est comme une malédiction, mais ne dit-on pas aussi que les poètes sont maudits ? Ou bien dit-on cela uniquement parce qu’on ne les comprend pas ? Pour me comprendre il faut marcher dans mes pas, pourrait dire le poète. La solitude profonde parce qu’on n’est pas compris, avoir sans cesse la sensation d’être d’un autre temps, d’une autre dimension… Recherchant et fuyant le monde, fuyant le vide tout en le recherchant comme poussé par une force invisible. L’exil intérieur, celui des poètes, est de loin le plus dévastateur car c’est une tempête silencieuse que seul la plume peut dompter par moments. Et les instants de répit sont rares. S’ajoute à l’exil tout court, l’exil intérieur du poète… Si l’image fait sourire, la réalité est tout autre en vérité mais, heureusement, la seule force salvatrice c’est l’Amour.
Vous sortez bientôt un nouvel album, quels en sont les thèmes majeurs ?
B.S. : Cela fait longtemps que je travaille sur ce nouvel album. Mais, sans doute à cause d’un souci de perfectionnisme, ce n’est jamais assez bien. Il m’arrive souvent de revenir sur des compositions anciennes pour les retravailler. Les poèmes doivent couler comme l’eau d’une source de l’Akfadou, fraîche et claire pour qu’on s’y voie dedans. Il est évident que l’exil est omniprésent comme il est présent en moi, installé pour l’éternité. Il y a le temps qui passe, qui détruit jusqu’à l’amour, et la détresse du poète devant ce qu’il ne peut changer. L’art c’est la pureté, la bonté, la beauté, la vérité. Mais quand le Bien rencontre le Mal, il est désemparé ! Dans tout l’album il y a dualité entre le bien et le mal, le jour et la nuit. Il y a plusieurs chansons bilingues, en kabyle et français, car la langue kabyle et la langue française vivent en moi dans le coeur et l’esprit.
Le titre de l’album c’est « qlilet lemhiba – taluft umeddah » (L’amour se fait rare et la fable du troubadour), un titre que je pense être évocateur. Il y a aussi un regard sur l’Algérie, pays natal qu’on aime, qu’on regarde avec espoir, en rêvant d’une véritable démocratie qu’on espère proche pour le bien du peuple algérien, pour une justice sociale dans le respect de chacun et pour de meilleures relations entre les deux rives.
Interview réalisée par Youcef ZIREM.
Youssef Zirem
in http://lakoom-info.com de Février 2010
_________________________
L’ÂME PROFONDE D’UN ARTISTE
Il est des artistes qui impressionnent par l’originalité de leur parcours. Brahim Saci en fait partie. Universitaire, fonctionnaire dans une institution culturelle parisienne, il chante depuis près de vingt ans. En kabyle et en français, il met en musique des textes qu’il écrit lui-même. Quand on se laisse emporter par ses douces et revendicatrices mélodies, on croit entendre le grand Slimane Azem, mort et enterré loin des siens. Homme cultivé et engagé, Brahim Saci emporte souvent avec lui un ou plusieurs livres. Grand lecteur, il ramène toujours de ses virées en Algérie des ouvrages racontant l’histoire et le vécu du pays de ses ancêtres.
Originaire des hauteurs majestueuses de l’Akfadou, du côté des Ait Aijer, Brahim Saci est l’un des premiers chanteurs algériens à avoir un site internet où il met en écoute libre pratiquement toute son œuvre.
J’ai eu la chance d’assister à un de ses récitals, au conservatoire du 8e arrondissement de Paris. Ce fut un grand moment artistique. Dans une ambiance de fête, toute l’assistance était captivée par l’originalité des thèmes que Brahim Saci avait mis en musique.
Le public européen n’en revenait pas de ce voyage musical offert par un créateur doué et simple. Le sourire toujours au coin des lèvres, Brahim Saci aime dire : « Sâaben lechghal » (les choses ne sont pas aisées). Lorsque l’artiste se met à chanter « Vas, mon âme », « la Colombe », ou encore « le Déclin des jours », ses admirateurs se laissent bercer et plongent dans une nostalgie presque salvatrice.
Venu très jeune en France, Brahim Saci a fait un remarquable cursus scolaire qui lui a permis également de connaître et d’apprécier les quêtes poétiques de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire. Ces grands poètes français lui rappellent un certain troubadour algérien : Si Mohand ou Mhand, probable-
ment le plus grand poète d’Afrique du Nord. Si Mohand ou Mhand, venu à la poésie et à l’errance infinie après que les colonialistes français eurent massacré sa famille, a élaboré des textes magnifiques de profondeur, de sens et de sensibilité humaine.
Avant de se lancer dans la chanson, Brahim Saci a été animateur de radio sur la place parisienne. Il a traité dans ses chroniques sur les ondes de sujets culturels importants. Artiste complet, Brahim Saci avait également exercé lé métier de portraitiste sur les places touristiques de la Ville Lumière.
Auteur de plusieurs albums réussis, Brahim Saci raconte l’exil, l’amour, les nostalgies du monde, la terre des ancêtres, les valeurs qui s’en vont, les spirales du temps qui s’enfuit et qui demeure un mystère ou encore le bonheur des choses simples et profondes.
Dans son coquet appartement du 20e arrondissement de Paris, Brahim Saci continue ses créations musicales. C’est clair : le meilleur reste certainement à venir.
Youssef Zirem
ALGÉRIE NEWS – Mercredi 24 décembre 2008
Revue mensuelle Lakoom info, janvier 2009
__________________________________________________________________
Lucidité et clairvoyance d’un grand artiste
Les grands artistes ont la possibilité d’exprimer, non seulement leurs sentiments profonds mais ils peuvent aussi partager et sentir la douleur et la joie des autres, en gardant l’œil clairvoyant sur le présent et l’avenir. Brahim Saci, en fait partie.
Saci est un artiste sincère qui s’exprime en toute liberté. Il n’est pas du tout de cette catégorie des pseudo-intellectuels, lesquels font tout pour chanter l’ordre établi et faire l’éloge des puissants du moment. Saci ne fait qu’écouter son cœur si sensible et sa raison sereine est ingénieuse. Il chante la vie avec ses couleurs multiples, l’exil, la fraternité, l’humanisme et bien d’autres thèmes. « L’injustice et les péchés -Ont bien fini par vous plaire -Où est l’espoir du passé -N’aimez-vous pas la lumière? -Même les oiseaux migrateurs -Reviennent toujours vers leur nids -Que devient le voyageur -Qui reste loin de chez lui? -J’ai vu bien des pays -Mais nul n’égale ta beauté -Ô soleil de l’Algérie! Lèves-toi ô liberté! -Même le soleil dans le ciel -Se couche quand arrive le soir -Même la pluie et la grêle -N’effaceront pas la mémoire -J’ai peur pour ceux qui oublient -Et se croient intouchables -Car le destin de la vie -Pour eux est impardonnable -J’ai peur pour ceux qui oublient -Et veulent changer de visage -Si l’argent change leurs vies -C’est avec qu’ils font naufrage», chante le fils de la Kabylie.
Saci partage les émotions de ses compatriotes en France et partout dans le monde, il fait de l’humanisme une raison de vivre. Sans omettre de s’accrocher à ses racines, à cette terre généreuse qui l’a vu naître. Comme Slimane Azem, Brahim parle du substantiel des choses et ne se contente pas du superflu car il n’a pas froid aux yeux. «C’est dans les rues de la vie -De l’Algérie à Paris -Qu’il a semé l’espoir -C’est au son d’une mélodie -Bercée dans la Kabylie -Qu’il a gravé la mémoire -Même s’il fut trahi -Sans rancune et sans mépris -Il nous a tant fait rêver -Ce fut l’espoir de sa vie -C’est l’espoir d’un pays -L’espoir d’une liberté -Vagabond sur les chemins -Seul, sa guitare à la main -Dans les ruelles de Paris -Il chantait quelques refrains -Pour l’espoir d’un lendemain -Ô folklore de Kabylie -Même si l’exil l’a banni -Pour l’amour de sa Patrie -Il a gardé l’espoir -Il disait soyez unis -Vous réussirez vos vies -Vous garderez la mémoire -C’est sur les chemins de l’art -Qu’il a semé l’espoir -Avec les couleurs des saisons -Comme cet oiseau rare -Qu’on a trahi sans savoir -Qu’on a trahi sans raison -O montagnes de Kabylie! -C’est pour vous que j’écris -Avec une note d’espérance -Si je meurs demeurent mes cris -Sous le vent ou la pluie -Ils effaceront vos souffrances », peut-on écouter d’une chanson d’une rare beauté, où Brahim nous rappelle d’amères souvenirs…
Brahim Saci est né en Algérie, dans un village de Kabylie, Tifrit Naït Oumalek, village célèbre sous la protection du très vénéré Saint Sidi M’Hamed Oumalek. La tradition rapporte que ce dernier s’y est établi dans cette belle région, probablement vers la fin du XIVe siècle. Brahim Saci est l’un de ses descendants. Jusqu’à l’âge de 10 ans, il passa une enfance heureuse au village. Puis il partit rejoindre son père à Paris. Il suit sa scolarité à l’école primaire Eugène Varlin, au collège Gustave Courbet à Pierrefitte, puis au lycée Paul Eluard à Saint-Denis. Déjà poète-adolescent, s’inspirant de Baudelaire, de Rimbaud et de Nerval, il remporta des prix aux concours de poésie organisés par le lycée Paul Eluard. Une chose qui le motive énormément. Très tôt, il a baigné dans les Arts, bercé par les chants berbères que fredonnaient sa grand-mère et sa mère. Déjà enfant, il était fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur, caricaturiste (un métier qu’il pratiqua durant ses voyages en Allemagne, en Suisse, en Autriche, qu’il continue à pratiquer à Paris). Après un Baccalauréat littéraire, philosophie, langues, il entame des études universitaires à l’Université Paris VIII, à Saint-Denis. Après une licence de langues étrangères appliquées, affaires et commerce et une maîtrise en anglais, traduction scientifique et technique, il se passionne pour la musique et approfondit l’écriture.
Il devient alors auteur, compositeur, interprète d’expression franco-berbère. Animateur à Radio Beur en 1992, à Radio France Maghreb en 1995, de 1993 à 1997 il présente des rubriques littéraires dans le domaine berbère à Bellovaque FM. A Beur FM de 1996 à 1997, à France Maghreb FM de 1998 à 2000, il présente des rubriques sur l’Histoire antique des berbères. En plus de ses multiples quêtes intellectuelles, l’auteur de Leghdar n watmatien (la trahison des frères) continue de chanter ses belles et originales compositions. Un grand artiste comme Brahim Saci mérite un grand hommage et une reconnaissance singulière. Dans le monde d’aujourd’hui, les vraies valeurs sont supplantées par un matérialisme farouche, lequel a marginalisé les créateurs. L’Algérie d’aujourd’hui et celle de demain seront toujours fières d’avoir un artiste aussi modeste.
Ali Remzi
25 Juillet 2010
_____________________________________________
Brahim Saci répond au courrier d’Algérie
BRAHIM SACI, POÈTE, CHANTEUR
«Slimane Azem est une référence incontournable de la chanson algérienne»
Brahim Saci est né en Algérie le 22 février 1965, dans un village de Kabylie, Tifrit Naït Oumalek. Jusqu’à l’âge de 10 ans, il passa une enfance heur…euse au village. Puis, il partit rejoindre son père à Paris. Brahim Saci suit sa scolarité à l’école primaire Eugène Varlin, au collège Gustave Courbet à Pierrefitte, ensuite au lycée Paul Eluard à Saint- Denis. Déjà poète adolescent, s’inspirant de Baudelaire (1821-1867), de Rimbaud (1854-1891) de Nerval (1808-1855), Si Mohand U Mhand ( 1845 1906 ) et Slimane Azem ( 1918 – 1983 ) il remporta des prix aux concours de poésie organisés par le lycée Paul Eluard.Très tôt, il a baigné dans les Arts, bercé par les chants berbères que fredonnaient sa grand-mère et sa mère. Enfant fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur, caricaturiste, métier qu’il pratiqua durant ses voyages en Allemagne, en Suisse, en Autriche, qu’il continue à pratiquer à Paris. Après un Baccalauréat littéraire, philosophie, langues, il entame des études universitaires à l’Université Paris VIII, à Saint- Denis. Après une licence, langues étrangères appliquées, mention affaires, il se passionne pour la musique et approfondit l’écriture Il devint alors Auteur, Compositeur, Interprète d’expression franco-berbère de Kabylie. Animateur chroniqueur, réalisateur dans des radios franco-maghrébines de 1992 à 2000. Il produit son premier album en 1992, rendant hommage au légendaire Slimane Azem (1918 – 1983) père de la chanson kabyle auquel il porte une admiration sans bornes. Le style musical de Brahim SACI pop chaâbi kabyle (musique populaire berbère algérienne kabyle) et son timbre de voix nous rappelle Slimane Azem. Les thèmes dominants dans sa poésie sont le temps qui passe, la solitude intérieure du poète et les tourments de l’exil. Brahim SACI vit à Paris. Il continue ses compositions et sème dans les rues de Paris qui l’inspirent tant des poèmes en kabyle et en français.
Le Courrier d’Algérie : Un mot sur Brahim Saci ?
Brahim Saci :
Difficile de répondre à une telle question; il n’est pas facile de parler de soi; disons que je suis un Algérien au parcours universitaire qui vit à Paris, qui croit à l’art, à l’humanité et aux valeurs ; je fais de la poésie et de la musique pour dire les malheurs de l’exil, les incertitudes de la vie, ses chagrins et ses espoirs aussi. L’art est pour moi une raison d’être.
Vous avez quitté l’Algérie à l’âge de 10 ans. Quel souvenir gardez- vous encore de votre enfance en Kabylie ?
Mon enfance en Kabylie a été heureuse; ce fut une époque bénie où le rêve était encore possible malgré les difficultés du quotidien. Mon entourage, ma famille et tous les villageois sur les hauteurs de l’Akfadou me guidaient sur les chemins de la vie. C’était le temps de la solidarité et du partage; le temps de la communion avec la nature et les êtres.
Comment s’est faite votre intégration en France ?
Mon arrivée en France est déjà une coupure avec ma vie heureuse dans le village Tifrit Nait Oumalek en Kabylie; c’est un déracinement douloureux, l’intégration s’est faite progressivement grâce à l’école, au collège, au lycée puis encore l’université. La famille de ma tante chez qui je suis resté quelques années, dans la banlieue parisienne, m’avait également été d’un secours certain. Les années passant j’ai découvert les chemins tortueux de l’exil, où l’étranger est toujours suspect, peinant à survivre sans arrêt sous les regards menaçants de la discrimination, du racisme. Nous vivons la discrimination au quotidien.
Combien d’Albums avez-vous sur le marché ?
J’ai quatre albums de chansons ; je suis un peu perfectionniste, je n’enregistre mes textes et chansons que quand je sens qu’ils sont vraiment arrivés à maturité. Toutes mes chansons sont en écoute libre sur mon site internet, http://www.brahimsaci.com/
Votre premier album remonte à quelle année ?
Mon premier album remonte à 1992. Ce n’était pas facile de le faire mais avec de la volonté et de la passion, il a vu le jour et a plu à de nombreux mélomanes. Vous avez tenu à rendre un hommage appuyé dans votre premier album au légendaire Slimane Azem.
Pourquoi avoir choisi Slimane Azem ?
Slimane Azem est une référence incontournable de la chanson algérienne que ce soit au niveau de la poésie ou de la musique; c’est un génie du verbe à l’écoute de son peuple. C’est peut-être, au départ, sa façon profonde et incomparable de chanter l’exil qui a fait que je choisisse Slimane Azem. Slimane Azem était une légende de son vivant comme l’était le grand poète kabyle du 19e siècle Si Mohand Ou Mhand. Ils ont marqué tous les deux leur siècle par la beauté de leur art. Slimane Azem comme Si Mohand Ou Mhand étaient des poètes vrais, engagés, dénonçant l’arbitraire, l’injustice. Slimane Azem a toujours lutté pour une Algérie meilleure, il a chanté l’espoir de voir une démocratie où régnerait la justice sociale où chaque algérien trouverait sa place, dans la diversité culturelle et linguistique, où la langue berbère «tamazight» rayonnerait.
Êtes-vous un admirateur de Slimane Azem ?
Bien sûr que je suis un admirateur de ce grand humaniste, philosophe, poète chanteur, de cet homme de principe que nul pouvoir n’a réussi à corrompre. Slimane Azem reste un modèle que ce soit dans son art ou dans ses positions dans la vie. Slimane Azem est mort et enterré loin de chez lui car il ne voulait pas cautionner un système algérien profondément injuste.
Essayez vous d’imiter Slimane Azem ?
Non je n’essaie pas d’imiter Slimane Azem même si son grand répertoire m’influence beaucoup, comme m’a influencé la poésie de Si Mohand Ou Mhand et la poésie ancienne kabyle. Il se trouve juste que grâce à la baraka, quand je chante, les gens me disent que je lui ressemble un peu; cela m’honore beaucoup.
Quels sont les thèmes dominants dans vos poésies ?
Dans ma poésie, j’interroge la vie ; je raconte l’exil, l’amour, l’ amitié, le temps qui passe ; j’ essaie de laisser mon empreinte à travers les mots que mes déboires parisiens me poussent à écrire. Paris est aussi une ville de culture ; chaque coin de rue de cette cité de lumière peut être une occasion à une rencontre intéressante qui annonce tout de suite un poème.
Pouvez-vous nous parler aussi de Brahim Saci, animateur chroniqueur réalisateur dans des radios franco maghrébines ?
Avant de faire de la radio, j’ai également fait de la caricature; j’ai dessiné et fait le portrait de nombreux touristes de passage à Paris ; ce fut une expérience humaine extraordinaire. La radio fut également une halte importante dans mon parcours ; ce fut l’époque où les radios foisonnaient, on voulait tout dire, tout raconter. Pour ma part, j’ai fait de tout, j’ai raconté également l’histoire des Berbères pour que les gens venus d’Afrique du nord ne perdent pas leurs racines.
Quels sont les chanteurs et les auteurs qui vous inspirent le plus ? Un mot sur la chanson kabyle actuelle ?
De nombreux chanteurs kabyles m’inspirent, surtout ceux qui font du bon chaâbi. Ce genre musical est une grande école. Après Slimane Azem, j’ai toujours aimé Youcef Abjaoui que j’ai eu la chance de rencontrer à Paris ; c’était un grand Monsieur qui avait une maîtrise parfaite de son art. Quand à la chanson kabyle je dirais qu’elle se porte bien. Elle manque seulement de moyens pour que d’autres styles puissent s’imposer. Le statut de l’artiste reste à créer afin que les artistes puissent vivre dignement de leur art. Il appartient au ministère de la culture de subventionner la création artistique comme cela se fait en France. Nos compatriotes qui ont de l’argent pourraient aussi aider l’art. Le mécénat existe partout sauf chez nous. Il faudrait aussi que les choses évoluent dans ce sens. En Algérie les créateurs foisonnent il faut seulement leur donner les moyens pour pouvoir s’exprimer.
À quelle année remonte votre dernière visite en Algérie ?
Je vais souvent en Algérie pour me ressourcer. Ma dernière visite remonte à l’été 2010. L’Algérie est un pays magnifique; c’est le pays de nos ancêtres. J’espère qu’il va vite se démocratiser pour que tous les Algériens trouvent enfin leur place dans leur propre pays. Est-ce que vous avez organisé de grands concerts en France ? Oui, je l’ai fait. Ce n’est pas toujours facile. Le dernier qui a eu une grande réussite a eu lieu dans le conservatoire du 8e arrondissement de Paris. Dans ce quartier huppé de la capitale française, la musique kabyle a su conquérir un public qui ignorait jusque-là tout de ce genre musical.
À quand un concert en Algérie ?
Cela ne dépend pas seulement de moi, mais je suis prêt à répondre à toutes les sollicitations sérieuses pour montrer au public algérien mes nombreuses créations.
Qu’en est-il de vos projets ?
J’ai de nombreux projets; il faudra les concrétiser. J’ai deux nouveaux albums qui sont prêts; ils ne vont pas sortir en même temps. J’espère que l’ un d’ eux va sortir à la fin de cette année ; je sais que de nombreux fans attendent sa sortie.
Un mot pour conclure ?
Le mot de la fin sera pour ce pays magnifique et splendide qu’est l’Algérie. Que la démocratie, la justice sociale et les libertés arrivent enfin chez nous ! Cela va beaucoup nous aider à progresser dans tous les domaines.
Entretien réalisé par Hafit Zaouche Le Courrier d’Algérie du 14 mars 2011 .
_________________________________________________
Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem,
de Md Chérif Zirem
– Sans fausse note Rédigé sous forme d’entretien, cet opuscule explore, par un questionnement ciblé, l’univers créatif d’un chanteur, Brahim Saci, pour mettre en exergue le genre qui le distingue et dont il se nourrit, à savoir : le genre artistique de Slimane Azem.
Son itinéraire est long et abrupt. Ayant quitté son village natal pour Paris, à l’âge de 10 ans, il devait, pour apprivoiser la ville des lumières, apprendre à vivre avec son déchirement sans pour autant sombrer dans les affres de la nostalgie. A cet effet, les paroles de son ancien instituteur, au pays, sonnent à ses oreilles comme une sentence : « … Je sais que ta famille te manque mais ouvre tes yeux, tu es dans le pays des Lumières », lui écrivit-il dans une lettre que Brahim garde comme une relique.
– L’école primaire lui ouvre les portes de la culture française, lui fait découvrir, puis aimer les grands esprits qui ont donné ses lettres de noblesse à la littérature française. Avec sa sensibilité innée, l’enfant affiche d’emblée sa propension envers les auteurs les plus marquants de la poésie française. Plus tard, l’université parfairera sa formation intellectuelle par des connaissances et un savoir diversifiés, qui l’aideront à comprendre et à saisir la condition humaine dans toute sa dimension existentielle. Ce dont il tirera, d’ailleurs, en tant qu’artiste, l’essentiel de son inspiration.
Imbue de cette philosophie ancestrale, incarnée par l’un des pionniers de la chanson kabyle, Slimane Azem, il abondera dans le même sens pour exprimer les préoccupations sociales, les travers de l’homme, les affres de l’immigration… Le tout, dans un verbe subtil où la parabole et l’allégorie tiennent souvent lieu de mode d’expression, à l’image de son idole usant de fables, d’adages ou de formules sentencieuses du terroir.
– L’analogie ne s’arrête pas d’ailleurs à ce seul aspect de la composition. D’emblée, on est frappé par la voix De Brahim, qui rappelle, dans ses moindres intonation celle du poète légendaire.
Dans ce livre Brahim Saci ne manquera pas de brosser un portrait substantiel de celui qui demeure sa référence en termes artistiques. Il notera, avec révolte, que l’exil dramatique de Slimane Azem était une mort anticipée pour l’aède : « puisque séparer un artiste de son peuple, de sa terre, est pire que la mort. » Il conclura avec modestie : « Ma légère ressemblance avec lui (Slimane Azem) est une bénédiction. »
– Dans d’autres passages de ce livre, notre chanteur s’étalera sur ses expériences professionnelles, au sein de différentes radios communautaires, en France. Ainsi évoquera-t-il, non sans amertume, ses passages dans les radio France-Maghreb, Bélovac fm, où il avait animé, respectivement, des émissions sur l’histoire des berbères, puis sur la littérature. A Beur fm, il participait à l’animation de l’émission Culturum avec Moh Cherbi dont il fut aussi co-animateur à radio Bélovac fm. Avec amertume, car, confie-t-il « ces radios, non seulement elles n’offraient aucune perspective d’évolution, mais encore, on nous oublie sans même un « merci » de la part des responsables. »
En artiste parisien, même s’il chante en Kabyle, Brahim Saci s’étalera sur les édifices culturels, les infrastructures artistiques et autres lieux de créations et reproductions que renferme Paris. Ce Paris, cosmopolite, multiculturel ou les artistes kabyles, depuis maintenant plusieurs générations, ont eu et ont toujours leur place. Leur plus grand représentant était, et restera, sans doute, pour longtemps encore, Slimane Azem.
– Brahim s’exprime sur aussi sur d’autres sujets, tels : la place de la chanson kabyle en France, son évolution, sa médiatisation ou ses perspectives d’avenir… Quant à ses projets ils font toujours partie du présent. Façon de dire que la musique est sa raison d’être, et la poésie sa raison de vivre.
La preuve ?
Sa conclusion : « … à Paris l’errance te la solitude nous accompagnent. Certes, cette ville froide et chaleureuse, aux mille ombres et lumières, fait partie de moi, et j’égraine des vers dans ses rues, en Kabyle et en Français, que le vent emporte. »
Paroles d’artiste !
Ahcène Bélarbi
Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem,
de Md Chérif Zirem, éditions Lumières Libres, 2010
___________________________________________
Rencontre fortuite avec l’artiste Brahim SACI à Bouzeguene
Il fait bon de circuler dans la fraîcheur des nuits ramadanesques de Bouzeguene animées plus que partout ailleurs en Kabylie avec ces rues grouillantes de monde dont des familles qui s’attablent dans les vastes terrasses improvisées à l’occasion de ce mois sacré. Une aubaine pour les femmes qui, après une rude journée ponctuée par un long stationnement derrière les marmites, se délectent en dégustant des glaces et des rafraîchissements avec le mari et les enfants.
– Dans la foulée on fait la rencontre de gens qu’on n’a pas vus ou revus depuis belle lurette. C’est le cas de l’artiste émigré Brahim Saci de Tifrit bien connu pour ses chansons à texte et son amour pour Slimane Azem dont il entend pérenniser l’art. Au détour de sa rencontre impromptue avec l’équipe de Bouzeguene News au complet, Brahim Saci connu pour son érudition et sa culture, a ouvert son cœur laissant couler un flot ininterrompu de cette douce nostalgie propre aux kabyles qui ont du mal à se départir de ces douces senteurs et des souvenirs indélébiles du pays .
– Durant deux heures, avec notre ami qui était accompagné de M’hamed Mouhoune ex directeur de Tifrit et également son ex instituteur ainsi qu’un autre personne de ce village, la ville a résonné des discussions traitant non seulement de la musique , mais aussi des relations humaines, de la situation sociale et politique du pays mais aussi de l’écologie.
Salem Hammoum
Bouzeguene News
13 août 2011
_____________________________________
BRAHIM SACI l’héritier de Da SLIMANE
Brahim Saci se présente ainsi dans sa biographie :« Déjà poète adolescent, s’inspirant de Baudelaire (1821-1867), de Rimbaud (1854-1891) et de Nerval (1808-1855), Brahim a très tôt baigné dans les Arts. Déjà enfant, il était fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur, caricaturiste. Après une licence, langues étrangères appliquées, affaire et commerce, et une maîtrise en anglais, traduction scientifique et technique, il se passionne pour la musique et approfondit l’écriture. Il devint alors Auteur, Compositeur, Interprète d’expression franco-berbère de Kabylie. Animateur à Radio Beur en 1992, à Radio France Maghreb en 1995, de 1993 à 1997 il présente des rubriques littéraires dans le domaine berbère à Bellovaque FM. A Beur FM de 1996 à 1997, à France Maghreb FM de 1998 à 2000, il présente des rubriques sur l’histoire antique des berbères. »
Parcours d’artiste, multidisciplinaire, Brahim fais penser beaucoup plus à ces savant du moyen âge, à l’image de Léonard de Vinci, par exemple, qui surent être en même temps architectes, médecins, peintres, philosophes….
Enfant de l’exil le petit Kabyle éduqué en France, refuse de se renier…dans certaines de ses interviews il se dévoilera ainsi : » j’espère que mon cas servira d’exemple. Il est vrai qu’avec la scolarité nous perdons notre langue natale, mais pour ma part, je l’ai en quelque sorte redécouverte, surtout avec quelques auteurs qui m’ont beaucoup marqué. Je veux parler de Mouloud Mammeri, de Mouloud Feraoun… quant à Slimane Azem, ce poète génial, il m’a ouvert les portes de l’art et m’a appris à aimer la langue Kabyle, pour laquelle il a sacrifié sa vie. »
De son idole Slimane AZEM il dira : » Je ne le fais pas exprès, mais c’est une grande fierté pour moi. Ma musique comme la sienne tire sa source du folklore kabyle et du chaâbi (musique populaire algérienne). Slimane Azem est le seul qui a su le mieux décrire les sentiments collectifs de l’époque, il fut le porte-parole de tout un peuple pendant près d’un demi-siècle. La beauté du verbe que j’ai rencontré chez Baudelaire, je l’ai retrouvée chez Slimane Azem. Mais Slimane Azem avait quelque chose de plus car il était une légende de son vivant, il était un grand philosophe et un grand visionnaire. »
Brahim SACI, à l’image de Slimane, vit l’exil. Cet exil douloureux et formateur d’homme et de talent. Qui peut en parler mieux que lui. Ce sera déjà une bonne raison de l’écouter.
Notre reporter l’a rencontré à Azazga, il se livrera plus amplement…
Ferhat TIZGUINE.
Rencontré à Azazga en compagnie de Mr HADJMI Abdenour qui active dans l’éducation et le secteur associatif culturel qui nous promet bientôt un entretien, le célèbre chanteur kabyle Brahim Saci a bien voulu nous accorder un entretien.
l’entretien est réalisé par Rachid YAHOU, mon ami et collègue.
Rachid Yahou: Présentes toi à nos lecteurs s’il te plait?
Brahim Saci: Je vis en France depuis 38 ans, je suis originaire du village Tifrith Nath Oumalek, un village qui relève de la commune Idjeur dans la Daira de Bouzeguene, au pied de l’Akfadou.
Rachid Yahou: As-tu un ou des projets en ce moment ?
Brahim Saci: Les projets foisonnent dans ma tête effectivement mais devant les difficultés de l’existence je me retrouve souvent bloqué malgré l’énergie de mes pensées. Lorsqu’une porte s’ouvre, une autre se referme immédiatement. Toutefois les capacités acquises jusque là ainsi que les bagages culturels et l’expérience professionnelle m’encouragent et laissent entrevoir une éclaircie. J’ai deux albums en préparation, de plusieurs années de réflexion. Ce long travail est mûrement réfléchi afin d’atteindre la maturité attendue. Ces deux albums ne sortiront pas en même temps. Le premier que je nomme « la fable du troubadour » (taluft umeddah) concerne la création artistique en générale et la place du poète dans la société en essayant de tirer une certaine morale. Quand au second, « l’amour se fait rare » (qlilet lemhiba), il est une réflexion sur le monde actuel, sur l’humain en particulier, en tentant d’approfondir la pensée philosophique.
Rachid Yahou: Comment vis-tu l’émigration par rapport à ta culture Amazighe ?
Brahim Saci: Je vis mon éloignement du pays difficilement bien sûr. La solitude nous accompagne comme une ombre. Nous n’avons pas vraiment l’impression d’exister. Notre culture n’est pas médiatiquement visible. Le racisme grandissant nous rend la vie pénible même si des associations culturelles Berbères notamment la Coordination des Berbère de France œuvrent pour une visibilité de notre culture ancestrale, mais la formation d’un véritable réseau reste à faire. Les réussites restent souvent individuelles et individualistes avec parfois un certain mépris pour la culture d’origine et cela de la part même de ceux qui prétendent la défendre. Nous sommes hélas presque invisibles dans la société française! Mais le combat de toutes ces associations berbères cultive l’espoir de voir la culture occuper la place qui lui revient de droit et qu’elle mérite en France. Un exemple et pas des moindres est la célébration du nouvel an berbère « yennayer » par la ville de Paris qui est en soi un grand acquis et une grande victoire. Les Berbères de France s’organisent enfin pour défendre leurs droits.
Rachid Yahou: Quelle est la place de la chanson Kabyle à ton avis ?
Brahim Saci: La chanson kabyle a toujours eu une place de choix, que ce soit en Algérie ou en France. remplissant les salles les plus prestigieuses en Algérie et en France. La chanson à textes s’est grandement imposée jusqu’à ces dernières années. Nous avons vu aussi un style festif répondant à une certaine mode fabriquée par le marché et soutenue par le pouvoir envahir les médias. Mais il serait naïf de croire que la chanson kabyle régresse loin de là ! Bien au contraire elle a donné naissance à beaucoup de créateurs de qualité qui souffrent seulement d’un manque de médiatisation et d’un manque de moyens, la chanson à texte dont la chanson chaaâbi peine à s’imposer pour ses raisons. Il appartient au Ministère de la Culture de subventionner cet art majeur pour qu’émergent les styles de qualité.
Brahim Saci: Que penses-tu des autres chansons Berbères ?
Les autres chansons berbères des autres régions d’Algérie doivent elles aussi bénéficier de subventions étatiques pour permettre à ses nombreux talents de percer. La création de festivals de la chanson Berbère ouverts à tous les créateurs montrera la richesse poétique extraordinaire que recèle notre beau et vaste pays. Il faudrait créer un grand festival dans chaque région d’Algérie pour permettre à toutes les couleurs de toutes les régions de ce fabuleux pays de s’exprimer. Aujourd’hui hélas seuls les artistes qui courtisent le pouvoir ont accès aux festivals existants, nous voyons ainsi tourner toujours les mêmes artistes!
Rachid Yahou: Comment vois-tu l’avenir du pays justement ?
Brahim Saci: Par rapport aux récents événements du printemps arabe, l’officialisation par le Maroc de la langue Berbère est une grande avancée historique et un grand espoir. J’ose de tout cœur espérer que l’Algérie suivra cet exemple. La démocratie est inévitable et s’imposera d’elle-même tôt ou tard. Le peuple algérien a payé un lourd tribut pour accéder à cette démocratie. Des pays ont profité de l’expérience algérienne et ont donc prit une certaine avance. J’espère que les intelligences qui existent dans notre pays apporteront un changement radical du système, des mentalités, vers une réelle démocratisation. C’est ainsi que nous pourrons inscrire notre nom dans l’histoire. Aucune évolution n’est possible sans une véritable démocratie, un système juste et une justice sociale donnant les mêmes chances à tous!
Rachid Yahou: Ton souhait.
Brahim Saci: Faire le tour de l’Algérie, visiter toutes les régions, me ressourcer et m’imprégner de tous les styles musicaux qui sont d’une richesse extraordinaire car chaque région a sa spécificité culturelle.
Rachid Yahou: Un bon souvenir ?
Brahim Saci: Le printemps en Algérie avec ses merveilleuses couleurs.
Rachid Yahou: Un mauvais souvenir ?
Brahim Saci: Le printemps noir berbère d’avril 2001 avec la répression sanglante et son lot effrayant de victimes. Plus jamais cela !
Rachid Yahou: Le mot de la fin.
Brahim Saci: Je remercie beaucoup votre quotidien pour m’avoir permis de m’exprimer librement. Je dirais enfin que la démocratie est proche en Algérie et qu’il appartient à chaque algérien de l’accueillir avec paix et sérénité
Ferhat Tizguine et Rachid Yahou
La Cité du 17/11/2013
___________________________________________________
Brahim Saci
» Un arbre peut-il vivre sans racines ? «
Brahim Saci, auteur compositeur interprèted’expression kabyle, après avoir produit plusieurs albums à Paris a sorti en Algérie deux albums aux éditions « coup de cœur » sur les traces du maître incontesté de la chanson kabyle, Slimane Azem (1918-1983). Brahim Saci vit en France depuis l’âge de 10ans. Après des études universitaires, il se passionne pour la musique traditionnelle et s’engage dans l’aventure de la chanson. Il nous parle dans cet entretien de son travail artistique et de sa vie en France.
Comment es-tu venu au monde de la musique et de la chanson?
Déjà enfant, j’étais bercé par les contes, les chants traditionnels que me chantait ma mère, ainsi que par les nombreuses poésies kabyles qu’elle me récitait. Jeune j’étais donc déjà pris par la passion et l’émotion littéraire. Cependant ce n’est qu’au lycée que les professeurs m’ont appris à apprécier et à comprendre les poètes, Charles Baudelaire (1821-1867) par Les fleurs du mal en particulier, Alphonse de Lamartine (1790-1869) par Les méditations poétiques, et tant d’autres encore. J’étais partagé entre les études, le dessin, la poésie et les voyages (Allemagne, Autriche, Hollande…), tout cela a quelque peu développé en moi une vie intellectuelle et artistique à la fois. Ensuite j’ai beaucoup travaillé dans différentes radios franco-maghrebines, ce qui m’a permit d’accentuer mon intérêt pour l’Art, et de faire partager et faire découvrir ma culture aux autres.
Rilke (1875-1926), poète et philosophe autrichien, écrivait « créer c’est d’abord se créer. Nous ne sommes nous-même, avant de nous être faits, qu’ébauche, que possible, et la matière qui s’offre au créateur c’est lui-même. » Plongé profondément à l’intérieur de moi-même, dans des moments de grande solitude, c’est seulement là que je trouve des réponses aux questions qui assaillent mon existence. Bien que cela engendre une grande souffrance, c’est une quête nécessaire. Personnellement je ne me sens vivre qu’en créant, c’est un peu comme si je ne faisais qu’un avec l’art, pour moi c’est un mode de vie. Vivant en France depuis 30ans, ne me comprennent que ceux qui ont marché dans mes pas. Cependant le génie de la création ne doit pas faire oublier la grande solitude intérieure, nécessaire pour aller au plus profond de soi-même et pouvoir en ressortir le meilleur. Il est bon d’être seul car la solitude est difficile à vivre, et plus une chose est difficile, plus elle doit être pour nous une raison de nous y attacher. C’est de la peine que naît la création, comme une pluie fertilisante que la terre attend avec impatience, comme un acte de charité, lien entre la poésie et la mystique. Un perfectionnement personnel est recherché pour essayer de porter le regard au-delà de la connaissance afin d’approcher ce qui nous échappe et accueillir avec sérénité les événements de notre vie et s’interroger sur le mécanisme qui nous fait créer. Donner sans rien attendre en échange même si les poèmes sont payés avec tant de souffrances. Il y a une nécessité de dire pour ne pas sombrer. Aborder l’art avec amour car seul ce sentiment profond permet de le saisir. Pour approcher les œuvres d’arts, rien n’est pire que la critique, car souvent ceux qui critiquent n’ont aucune connaissance artistique. Quant à la musique, je dirais que toute poésie lyrique est par définition musicale, pour moi les deux sont inséparables.
Comment est née ta passion pour Slimane Azem?
Je n’ai réellement compris Slimane Azem qu’après des études universitaires approfondies. Ces années d’études m’ont permis d’aller plus loin dans l’analyse afin d’avoir une vision plus claire pour approcher
l’œuvre de ce grand humaniste et philosophe qu’était Slimane Azem. C’est un grand poète qui décrit
notamment le déchirement de l’exil. Bien plus que cela, il a su enflammer tous les cœurs, et passionner
tous les Kabyles. Son œuvre très abondante et riche offre une grande diversité à qui sait l’écouter et la
comprendre. Dans ses compositions, Slimane Azem, guitariste d’exception, attire par sa technique
percussive de la guitare, par sa riche invention de la mélodie. Il a su transformer toute mélodie en pure
beauté. Ses chansons sont d’une grande âpreté rythmique, doublées d’une inspiration mélodique
inépuisable. Baigné dans un fond culturel classique, les images, comparaisons, métaphores et métonymies ont
été des aliments essentiels à sa création poétique. Ses préludes chantés sont d’une extrême justesse. Sa
voix est d’un grand lyrisme, d’une grande fluidité, claire comme l’eau d’une source. Slimane Azem a su par
son génie nous transmettre les racines d’une culture plus que jamais vivante, mais paradoxalement aussi, sa
douleur d’avoir été forcé de quitter sa terre natale si chère à son cœur. Slimane Azem est un véritable
virtuose de la chanson kabyle, respecté par tous, et qui ne pouvait que susciter mon admiration et ma
volonté de suivre ses traces. François Mauriac(1885-1970) disait : « une œuvre vaut dans la
mesure où une destinée s’y reflète. »
Que penses-tu de la chanson kabyle de ces dernières années?
Les choses terrifiantes qu’a connu notre pays ont laissé peu de place à l’Art en général et à l’expression artistique en particulier. Jusqu’à la mort de Matoub Lounès, la chanson kabyle était en plein essor. Les années 80 ont vu apparaître beaucoup de groupes de grande qualité, constitués par une majorité d’universitaires, malheureusement ces groupes ont disparu. Mais le succès de Matoub Lounès a permit à la chanson kabyle d’occuper une place de choix. Il était une locomotive qui poussait à la création de qualité aussi bien sur le plan de la poésie que sur le plan musical. Car Matoub Lounès excellait dans l’art du « Châabi » qui est de surcroît une grande école musicale. Matoub créait l’événement avec presque à chaque fois deux albums, et était une source poétique intarissable. Sa disparition tragique a plongé la chanson kabyle dans un vide artistique quasi-total. On a vu alors une folklorisation accrue de la chanson kabyle où tout ce qui se fait l’est pratiquement sur
un seul rythme. La création artistique s’est appauvrie. On ne pense qu’à danser. Toutes les manifestations dites culturelles sont en fait des pistes de danse. On a ainsi petit à petit habitué le public à ne venir à chaque fois dans les salles que d’une façon quasi-mécanique. On vient consommer des pistes de danse. On a vu alors les ventes de disques chuter pour la quasi-totalité des créateurs. Mais d’autres raisons bien sûr viennent se greffer à cela. La fracture avec la tradition orale, on voit les anciens disparaître un par un, a aussi contribué à l’apparition d’une poésie médiocre car il y a un manque au niveau de la maîtrise de la langue. C’est l’une des raisons pour laquelle il devient urgent que la langue tamazight soit officialisée et entre dans toutes les écoles, car le transfert du patrimoine culturel par les anciens ne se fait plus. Ainsi, à l’école, les enfants redécouvriront la richesse de
leur langue, les contes, les poètes, les romans, la littérature. Il est évident que sans bagage culturel on ne peut créer de belles choses. Les anciens avaient tous leurs têtes pleines, les poèmes d’antan, les contes, et cela se reflétait dans leur création artistique. D’autres raisons viennent encore s’ajouter au marasme des décennies noires qu’a connu la chanson kabyle et la chanson algérienne en général. La crise économique aidant, le manque de pouvoir d’achat, la morosité de la chanson algérienne ont amené la chanson kabyle au bord du précipice. Au lieu que les artistes vivent de leur art, nous assistons désarmés à une situation nouvelle et dramatique, qui n’est pas propre à la chanson kabyle, qu’on voit dans d’autres pays mais à faible échelle. Ce sont les artistes qui font vivre leur art. Dans ce dénuement, les artistes s’appauvrissent, il est difficile de travailler dans ces conditions. Les tentatives individuelles sont bonnes et à encourager, mais c’est l’institution étatique qui doit protéger son patrimoine culturel, l’encourager et le financer. Malgré le regard assez pessimiste que je viens de porter, je reste optimiste et positif quant à l’avenir de la chanson kabyle, grâce à l’apparition de jeunes
qui résistent contre vents et marées et qui font un travail de qualité.
Pourquoi à ton avis peu de chanteurs kabyles arrivent à percer en France?
Il serait à mon avis bon de se poser pour une fois la question, pourquoi la chanson kabyle devrait-elle percer en France? Sa raison d’être ne se trouverait-elle pas plutôt en Algérie? L’exil nous poursuit comme une malédiction, pourquoi devrions nous l’accepter? Qu’on le veuille ou non, on ne se désaltère qu’à la source. La chanson kabyle n’existe qu’en Kabylie, ailleurs elle ne fait que passer. Pourquoi devrions-nous porter ce fardeau existentiel qui nous ferait croire qu’on ne peut exister qu’à l’étranger, déracinés? Ne serai-ce pas plutôt la poursuite d’une chimère? Un arbre peut-il vivre et fleurir sans racine?
Le bon sens voudrait comme le dit Voltaire, « cultiver son jardin. » Quand bien même certains chanteurs kabyles donnent l’impression de percer en France, il n’en est rien en vérité, car même s’ils remplissent une ou deux fois une grande salle, cela ne suffit pas pour pouvoir en vivre, la vente de disques ne suit pas. Ils n’ont pas les moyens de promotions qu’ont les Français (médias, télévisions, radios…) les médias français n’en parlent presque jamais, comme si c’était un tabou, silence il ne faut pas que cela se sache. Quand un artiste français sort un album, il fait toutes les chaînes de télévision, toutes les stations de radio, des centaines d’émissions, plus une tournée promotionnelle. Quant à l’artiste kabyle, il fait une émission ou deux à BRTV (heureusement qu’elle est là), peut-être un seul article dans la presse algérienne et c’est tout. On voit bien là la différence. Comment voulez-vous vendre des disques dans ces conditions? Si certains Français achètent nos disques, c’est par curiosité et ils ne sont guère nombreux.
On n’existe véritablement que dans un public kabylophone. Il faut arrêter de se voiler la face, même si la réalité est dure à accepter. J’entends dire par-ci par-là que la chanson kabyle est trop traditionnelle, trop de mandoles, trop de percussions…, soyons un peu sérieux ! Les raisons de son déclin sont beaucoup plus profondes. La chanson kabyle doit d’abord s’imposer chez elle en Algérie et plus précisément en Kabylie. Il faut arrêter de mépriser son patrimoine culturel et son terroir, il faut au contraire le préserver, le cultiver, l’enrichir, mais pas le travestir en essayant à tout prix de ressembler à l’occident, même si la fascination pour l’occident est dans l’air du temps. Il faut absolument garder ses couleurs et surtout créer, investir et produire en Algérie. Beaucoup de grands compositeurs occidentaux se sont
intéressés à la musique populaire et ont fait des variations dessus, nous pouvons citer Liszt (1811-1886), Beethoven (1770-1827) et surtout Béla Bartok (1881-1945) compositeur hongrois, lequel après des recherches sur les traditions musicales populaires notera et enregistrera sur les rouleaux phonographiques plus de 10 000 mélodies folkloriques. En 1928, Bartok écrira « chacune de nos mélodies populaires est un modèle de perfection artistique. » L’exploration des chants et des danses de la Kabylie reste à faire. A l’aube du 21ème siècle, il est plus que jamais temps d’agir. Je pense qu’il faut penser un peu au côté culturel des choses, arrêter avec les galas business où les gens ne viennent que pour danser et s’amuser, opter pour des manifestations culturelles de qualité, abordables pour tous. Il est vrai qu’après le vide immense qu’a laissé
le regretté Matoub Lounès, la chanson kabyle souffre de relève. Je me rappelle l’avoir rencontré dans un
café du 18ème arrondissement de Paris un mois avant sa mort tragique, il me disait « Si Brahim ma vie est au
village! » Ces paroles résonnent encore dans ma tête. A Paris on a beau remplir les plus grandes salles,
personne ne nous voit, nous sommes comme invisibles. La meilleure preuve que l’on puisse apporter à ce
phénomène est la célébration des 100ans de l’Olympia qui a été très médiatisée en France. Dans l’historique
qu’en ont fait les médias, à aucun moment on ne fait allusion aux berbères qui sont passés sur cette scène
mythique, et ils sont pourtant nombreux, à partir de 1976 Ait Menguellet, le groupe Djurdjura,
Slimane Azem, Matoub Lounès, Idir, Takfarinas et bien d’autres encore… L’exemple de la famille Amrouche est des plus frappant. Qui se souvient d’eux en France? Qui se souvient de Marguerite Taos Amrouche (1913-1976), de Jean El Mouhoub Amrouche (1906-1962), et de leur mère Fadhma Ait Mansour Amrouche (1882-1967 en Bretagne). Bien qu’ils aient étés chrétiens et qu’ils aient écrit en français leur souvenir demeure certes, mais uniquement dans l’esprit des kabyles. Qui connaît Malek Ouary (1916-2001 à Argelès-Gazost), Mohamed Dib (1920-2003 à la Celle saint Cloud) bien qu’ils aient vécu, écrit et soient morts en France?
Edith Piaf, diva et pilier de la chanson française, qui a elle-même lancé plusieurs autres grands noms de la chanson française comme Yves Montand, Charles Aznavour ou Gilbert Bécaud, la France est fière d’elle, chaque année on commémore l’anniversaire de sa mort, mais on se garde bien de parler de ses origines
kabyles par sa mère qui était une chanteuse lyrique sous le nom de Line Marsa, et élevée par sa grand-mère
Aïcha. D’autres grands noms de la culture française sont d’origine kabyle, Jacques Villeret (comédien), Daniel Prévost (comédien), Isabelle Adjani (comédienne), Claude Zidi ( réalisateur et scénariste), Alain Bashung (chanteur), Arnaud Montebourg (député de la Saône et Loire), Dany Boon (humoriste), Isild le Besco (comédienne, fille de l’actrice Catherine Belkhodja). Qui sait en France que toutes ces personnalités sont d’origine kabyle?
L’Algérie se doit de développer son patrimoine culturel dans sa diversité amazighe, de donner des bourses aux jeunes qui veulent se produire comme cela se fait en France où le ministère de la culture donne des bourses à des jeunes, qui leur permettent de financer l’enregistrement de l’album, et parfois même la production et la distribution. Il n’est pas étonnant que ces aides privilégient la production francophone. L’Algérie se doit aussi de créer des festivals de musique et donner la chance aux jeunes qui ne sont pas connus de s’y produire. Elle doit aussi permettre aux jeunes de produire la quantité d’albums qu’ils veulent, comme cela se fait en France,
car en France un jeune peut produire et déclarer la quantité qu’il veut, même 50 albums. Imposer des quotas de production que ne peuvent tenir les plus faibles c’est adhérer au principe de mondialisation où les plus forts en sortent gagnants, et c’est un coup fatal porté à la diversité culturelle. On tend à nous faire croire que la mondialisation est un avenir propice, mais ne soyons pas dupes. Si économiquement cela peut avoir des points positifs, culturellement c’est un drame.
Vouloir faire un monde d’un seul moule, d’une seule couleur, s’effacer pour adopter la couleur du plus fort, c’est comme une mort annoncée. Heureusement ça et là se lèvent des voix de résistance pour lutter pour la sauvegarde de toutes les langues et cultures, ce qui a toujours fait la richesse du monde. La langue berbère doit demeurer plus que jamais vivante, et elle l’est en réalité sur le terrain, car
ce peuple plusieurs fois millénaire se situe parmi les grandes civilisations qui ont marqué l’histoire de
l’humanité, comme les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Phéniciens, les Perses et les Arabes.
Quels sont tes projets artistiques?
Des projets, il y en a plein dans la tête. Après avoir produit en France, je reviens aux sources pour produire en Algérie. Je viens en effet de sortir deux albums avec des milliers de posters annonçant en fait quatre albums, car après ces deux albums suivront deux autres albums. Le premier album est un hommage à Slimane Azem, « Exil éternel », je dis « ô Slimane Azem ! Si tu pouvais revenir parmi nous pour voir où les temps nous ont
amenés. » Je parle beaucoup de son déchirement intérieur et de la souffrance de l’exil. J’ai souvent comparé Slimane à Baudelaire pour la vision philosophique qu’ils avaient de la vie. Car Baudelaire a plongé au plus profond de l’être pour nous parler du mal qui habite et ronge l’homme. Mais Slimane Azem avait quelque chose de plus car il était une légende de son vivant, comme l’était avant lui Si Mohand u M’Hand (1845-1906). Il y a sur ce premier album 8 chansons. Le deuxième album s’intitule « Crâa », c’est un regard sur la société algérienne et en particulier la société kabyle. Il y a 7 chansons et un sketch, où je raconte une histoire vraie, j’ai généralisé pour ensuite en tirer une morale. En fait, j’y dénonce la détérioration des relations fraternelles où seul l’argent fait la loi. Malheureusement à notre époque l’honneur et la dignité sont onnayables. Ces deux albums ont reçu un accueil favorable et chaleureux par le public, que je remercie du fond du cœur car je n’existe que par lui. J’ai aussi crée un site internet afin de mieux communiquer avec mon public. On m’écrit
beaucoup et je réponds autant que je peux. Mon site www.brahimsaci.com a dépassé les 100 000 visites. Pour 2006/2007, je prépare un hommage au regretté Matoub Lounès. Les albums qui suivront plus tard seront plus une plongée à l’intérieur de l’être à travers les affres de l’exil. Sinon à Paris on s’épuise chaque jour un peu plus. La solitude de l’exil nous étouffe. Je sème des poèmes en essayant d’imaginer des jeunes pousses. Mais dans le froid glacial de Paris, rien ne germe. Même si mes poèmes naissent à Paris, ils ne se sentent chez eux qu’en Kabylie.
Lien vers l’article de Youcef Zirem
Le 26 sptembre 2015
_____________________________________________
Brahim Saci, l’artiste au grand cœur
10 Juillet 2015, par Youcef Zirem
Brahim Saci, les quêtes humanistes d’un poète
Peu d’artistes ont sa sincérité, peu d’artistes ont eu son parcours dans la vie. Brahim Saci est mon ami depuis de longues années mais ce n’est pas pour cela que j’écris ces quelques mots. Je pense que c’est toujours bon de saluer ceux qui ont voué leur existence à la culture kabyle, sous toutes ses formes. Arrivé à Paris à l’âge de 10 ans, Brahim Saci s’est accaparé de la culture française mais sans jamais perdre la culture kabyle. Universitaire, travaillant dans les services culturels de la ville de Paris, Brahim Saci est un grand lecteur : sa bibliothèque dans le 20 e arrondissement regorge de titres rares, de livres dans tous les genres littéraires. Quand il part en vacances en Kabylie, il revient toujours avec une centaine de livres publiés en Algérie. Tout ce qui a été publié sur la Kabylie, depuis de longues années, on le trouve chez Brahim Saci, une belle prouesse…Lorsqu’il découvre l’œuvre de Slimane Azem, grâce à son père, un valeureux militant de la fédération de France du FLN, un admirateur passionné du poète Si Mohand Ou Mhand, Brahim Saci est tout de suite happé par ce chanteur-poète extraordinaire, un homme aux grands principes, un nationaliste libre, plutôt « messaliste ».
Véritable gentleman, en solitaire, Brahim Saci fait des portraits dans les plus belles places de Paris. Cela ne l’empêche pas d’enregistrer son premier album, avec un bel hommage justement à Slimane Azem. Baraka aidant, la voix de Brahim Saci ressemble étrangement à celle de Slimane Azem. C’est donc bon signe. A ce moment-là, Slimane Azem est encore marginalisé, ici et là ; des artistes kabyles ont même peur de parler de lui. Ayant écrit des centaines de poèmes en langue kabyle et en langue française, Brahim Saci va encore sortir trois autres albums, tous imprégnés d’une thématique philosophique qui plonge ses racines dans la culture kabyle originelle. Homme au grand cœur, Brahim Saci a toujours évité les querelles inutiles ; au contraire, il est toujours là pour encourager la solidarité, l’amitié, l’humanisme, les quêtes démocratiques. C’est cela Taqvaylit, ces valeurs ancestrales qui ont soudé et sauvegardé notre société. Brahim Saci est un exemple à prendre, parmi tant d’autres. Bravo l’artiste !
Avec l’immense écrivain Youcef ZIREM
____________________________________________
Le chanteur Brahim Saci à Mon Journal : « L’intellectuel algérien en France peine à survivre »
Brahim Saci est l’un des plus grands chanteurs kabyles. Auteur, compositeur et interprète de ses chansons, il ne cesse de se distinguer. Sa ressemblance avec l’immense Slimane Azem fait de lui une légende vivante. Vivant en France depuis plusieurs décennies, mais toujours attaché à sa patrie. Dans cet entretien exclusif, celui que la presse surnomme « L’incarnation de Slimane Azem » nous raconte ses multiples quêtes artistiques. Il nous révèle, en outre, des vérités occultées sur l’émigration algérienne et sur l’intellectuel algérien, souvent marginalisé, loin de sa terre natale.
Mon Journal :
Vous êtes établi en France depuis l’âge de 10 ans. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Brahim Saci :
Cela va faire bientôt 40 ans que je vis en France, les cinq premières années à Pierrefitte-sur-Seine, le restant, c’est-à-dire près de 35 ans, à Paris. Mon départ d’Algérie, de Kabylie, depuis Tifrit Naït Oumalek dans la commune d’Idjeur, beau village situé au pied de l’Akfadou, fut un déchirement, une séparation douloureuse. L’enfance passée au village était magique. A cette époque, les valeurs humaines d’entraide ancestrale kabyle étaient encore très vivaces. Le village n’avait pas d’électricité, les soirées au coin du feu, éclairées juste par une petite lampe à gaz, écoutant émerveillés les contes kabyles racontés par ma grand-mère Samah Zahra et ma mère Yahiaoui Cherifa dite Tassadite, restent gravées dans mon cœur pour l’éternité. Ce fut un monde enchanté loin du matérialisme occidental.
La séparation avec cet univers merveilleux est une blessure encore vive en moi. Arrivé à Paris fin 1975, mon père Si Mohand Tahar, ne pouvant me garder, car vivant seul comme la plupart des immigrés dans un hôtel meublé du XXème arrondissement, me confia à sa sœur, ma tante Taklite, épouse Ladaoui Mohand, originaire du village d’Ahmil à côté de Yakouren, qui habitait Pierrefitte-sur-Seine où je fus donc scolarisé en CM2 à l’école primaire Eugène Varlin. Je fis mes premiers pas en France à la fois éperdu et émerveillé. La famille Ladaoui a fait de son mieux pour m’intégrer dans l’environnement familial, mais je me sentais si seul, et mes pensées étaient ailleurs, en Kabylie auprès de ma mère, mon frère et ma sœur et les sentiers du village où j’ai tant gambadé. La poésie’ heureusement’ est salvatrice, je m’y réfugiais dans mes moments difficiles, comme pour fuir cet exil amer qui m’était imposé et que mon cœur d’enfant ne pouvait comprendre. La scolarité fut difficile, car ne connaissant pas bien la langue française, je peinais à suivre. Mais heureusement que les deux années de français comme langue étrangère suivies au village étaient à la hauteur, j’ai eu la chance d’avoir un instituteur extraordinaire, M. Mouhoune M’hamed.
On peut dire que c’est grâce à son enseignement de qualité que j’ai pu suivre une scolarité normale en France. A l’école Eugène Varlin, j’ai eu aussi la chance d’avoir un directeur hors du commun, M. Jean Dalarun, un grand homme dont l’enseignement était une vocation. Ce gentil monsieur, si prévenant, qui m’a fait aimer l’école, ainsi que l’institutrice, Madame Chariot, qui m’a aussi beaucoup marqué par son attention, sa gentillesse, sa disponibilité, souriaient quand je les tutoyais. Grâce à eux, j’aimais l’école, j’y étais heureux ! Ces gens d’exception se font rares aujourd’hui. Par la suite, la scolarité a été un parcours du combattant jusqu’à l’université. Au collège Gustave Courbet, je me suis lié d’amitié avec un surveillant, Patrick Gervaise, qui préparait une thèse d’histoire, qui m’a beaucoup soutenu moralement et scolairement jusqu’au bac.
La poésie heureusement était encore là, m’aidant à voir dans la nuit, à supporter le regard des autres, de ces regards qui vous accusent d’être là, qui vous font sentir que vous êtes d’ailleurs. Mais il y a, grâce à Dieu, des rencontres d’exception qui aident à aller de l’avant. Le racisme, hélas, nous suit partout comme une ombre, où que l’on aille. Même après des études poussées, le marché du travail nous ouvre difficilement ses portes. Il nous est difficile d’y accéder même à des emplois qui ne nécessitent pas de qualification. Les années passent et l’exil se fait pesant de jour en jour. Dans une Algérie qui peine à se démocratiser, le rêve du retour s’évanouit peu à peu, nous laissant entrevoir un avenir sans lueur, empli de cauchemars et de regrets. Après les années de jeunesse qui font le cœur léger, l’exil devient l’ennemi ravageur : point d’amour, point d’amitié dans une solitude sans fin.
Vous avez été dessinateur à Paris, une opportunité qui vous a, sûrement, ouvert une fenêtre sur le monde, n’est-ce-pas ?
J’ai effectivement dessiné sur les places touristiques parisiennes de 1983 à 1996, en tant que portraitiste-caricaturiste, mais on peut dire que j’étais surtout caricaturiste. Ces années m’ont paru heureuses car j’ai baigné littéralement dans les arts. J’ai beaucoup dessiné la nuit, ce qui m’a permis de rencontrer le monde de la nuit. Les gens de la nuit sont différents de ceux du jour, ils sont moins stressés, plus disponibles, plus ouverts. La vie est faite de rencontres et j’ai côtoyé des gens de différentes cultures, d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique. Ce métier m’a aussi permis de voyager, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas.
La caricature m’a permis de prendre du recul par rapport à une vie difficile où le racisme nous suit comme une ombre. L’Art n’a pas de frontières. La caricature m’a permis de tourner en dérision des situations étouffantes. L’humour, le rire sont des clés pour dépasser les bassesses humaines, et permettent d’être moins réceptifs aux blessures intérieures, celles qui ne sont pas palpables, mais sont dévastatrices. Malgré beaucoup de rencontres, je n’ai pas pu intégrer un organe de presse en tant que caricaturiste, ce qui m’aurait permis de mieux vivre. J’ai pourtant rencontré beaucoup de caricaturistes qui dessinaient pour la presse mais il était impossible de pénétrer cet étroit réseau, je dirais même qu’il est quasiment impossible de s’en approcher. J’ai aussi animé beaucoup de soirées en tant que caricaturiste où j’ai rencontré de nombreux artistes, acteurs culturels français, de la télévision et de la presse écrite. Mais impossible de se faire une place parmi eux. Le piston, le copinage y font loi. Je suis aussi passé à côté d’occasions de devenir riche (sourire), de riches Américains éblouis par mon talent artistique m’ont proposé de venir dessiner aux USA, me promettant un enrichissement personnel en quelques années.
Des offres que j’ai déclinées, car je n’ai pas pu quitter Paris, cette ville Lumière que les Kabyles, de la fin du XIXème siècle à ce jour ont contribué à bâtir, (mon grand-père même, Ali, a foulé le sol de la France dès 1908). Vous voyez que les Kabyles font partie de l’Histoire de cette ville ! Même si cette ville sait être aussi bien froide que chaleureuse, j’y suis profondément attaché, bien qu’il devienne de plus en plus difficile d’y vivre. Je fus contraint de quitter ce métier de caricaturiste car les libertés à Paris rétrécissent comme une peau de chagrin. En effet, les artistes sont de moins en moins tolérés dans les places publiques touristiques parisiennes. Je suis alors passé d’un art à un autre, celui de la chanson kabyle. Mais cela est une autre histoire, tout aussi passionnante.
Peut-on dire que l’exil est votre première source d’inspiration pour vos chansons ?
Mes premiers poèmes, bien avant de mettre une couleur musicale dessus, abordent les thèmes de l’amour, le mal-être, l’exil intérieur du poète le mal-aimé l’incompris, le sentiment d’être de nulle part. Déraciné, vivant à Paris, l’exil nous fait sentir son poids de jour en jour, d’année en année. Plus les années passent mieux on comprend ce qu’est l’exil. Plus on saisit son sens, plus les orages grondent. La dernière fois je discutais avec une Normande qui me disait souffrir, car elle se sent loin de sa Normandie natale. Je crois que rien ne peut remplacer la terre natale. En fait, nous recherchons tous notre enfance, des senteurs, des sensations qu’on retrouve là où l’on est né. L’Algérie me manque, la Kabylie, le village, me manquent encore plus. Si le thème de l’exil est récurrent dans ma poésie et mes chansons, c’est que le cœur et l’esprit y sont enchaînés.
Si la rouille est rampante sur ces chaînes, on pourrait croire que c’est pour les faire céder, mais il n’en est rien. La rouille est un mal de plus, sans remède, gain des années d’errance et de solitude. Je me suis beaucoup inspiré de Slimane Azem car j’ai compris avec les années ce qu’il pouvait ressentir loin de sa terre natale. Lui a été contraint à un exil forcé, et l’arbitraire a spolié sa maison familiale et ses terres ancestrales. Si Mohand Ou M’hand, le grand poète du XIXème siècle, qui m’a beaucoup inspiré, a été, quant à lui, poussé à l’errance sur les routes après la destruction de son village et la spoliation de ses terres par l’armée coloniale. Ces deux géants ont semé une poésie géniale née sur le brasier de la souffrance, de l’injustice, et les affres de l’exil forcé. Bien que l’exil devienne avec le temps un thème dominant dans ma poésie, il n’y a cependant aucune comparaison avec l’exil qu’on vécu ces deux poètes légendaires. La situation étouffante d’une Algérie qui peine à se démocratiser, où l’injustice sociale est criarde, nous condamne à un double exil. Lorsqu’on quitte la France pour aller respirer et se ressourcer dans le pays des ancêtres, on se rend vite compte que l’air devient rare et l’on se sent vite étranger chez soi.
Que peut-on dire de Paris d’hier et celui d’aujourd’hui ?
J’ai connu le Paris de la fin des années 1970, le Paris des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Paris est une ville merveilleuse, ville culturelle par excellence, une ville qui ne dort jamais où tous les arts se côtoient. On dit que Paris est la plus belle ville du monde, je le pense aussi. Paris est aussi une ville kabyle, la première langue étrangère qui y est parlée est le kabyle. Les Kabyles ont foulé les rues de cette ville dès la fin du XVIIIème siècle. Les idées indépendantistes algériennes sont nées à Paris, le Paris des idées, de la liberté, des arts, et des cultures. Mais Paris devient, hélas, une ville bourgeoise. La ville populaire de mon enfance tend à disparaître.
C’en est fini de Paris où les cafés, les bistrots faisaient la joie de vivre des quartiers, où chaque quartier formait un village, où les gens se connaissent et se retrouvent au bistrot. La plupart des cafés appartenaient à des Kabyles.
De surcroît, la culture kabyle était florissante à Paris. Dans tous les arrondissements et quartiers de Paris, à la nuit tombante, on pouvait entendre de la musique kabyle. Ce fut une réalité pendant près d’un siècle. La culture kabyle était présente dans les rues de Paris même si elle n’était pas visible dans les médias français, toujours en décalage avec la réalité sociale. J’ai connu le Paris populaire où il faisait bon vivre, où il était facile de se loger à moindre prix. Les hôtels meublés fleurissaient partout, on pouvait y louer une chambre facilement, en ne donnant juste que son prénom. Hélas, une politique d’urbanisation a fait disparaître la majorité des hôtels meublés, certains mêmes expropriés pour une bouchée de pain. Une politique qui consistait à pousser les plus pauvres vers la périphérie de Paris.
Ces hôtels meublés, qui appartenaient à des Kabyles pour la majorité d’entre eux, n’ont pas su se regrouper et s’organiser pour constituer une force afin de résister à la vente et aux expropriations. Je me souviens des années 1990 où des centaines d’hôtels meublés appartenant à des Kabyles ont été expropriés ou vendus par contrainte à la Mairie de Paris, livrant les occupants et locataires à l’expulsion. Tant de Kabyles ont été jetés à la rue, souvent dans un silence médiatique. J’ai connu l’association Droit au Logement (DAL) et leur avocat Maitre François Breteau, je me souviens de leur combat devant les tribunaux pour que des centaines de Kabyles expulsés de leur chambre d’hôtel soient relogés dignement. Je rends hommage ici à cette association, à Maître François Breteau, à l’abbé Pierre, qui ont tant œuvré pour un logement pour tous. C’est le Paris des ombres et des lumières !
A Paris les communautés qui ne se constituent pas en réseau ne peuvent peser dans la société française. On dit que Paris est la ville des poètes et des écrivains, mais en tant qu’étranger vous ne pouvez jamais publier si vous ne faites pas partie d’un réseau influent d’amis. Je vis et crée à Paris depuis presque 40 ans, mes créations naissent à Paris et pourtant aucun journal français n’a parlé de moi. J’ai pourtant fait un récital au conservatoire du VIIIème arrondissement, à deux pas de l’Elysée, en 2006. Il y avait des gens de la presse française dans la salle, mais aucun écho. Heureusement, le journaliste écrivain Youcef Zirem s’y trouvait.
Il a écrit plusieurs articles dans la presse algérienne. Ce qui est paradoxal, c’est que la France est le pays des libertés, et que l’Algérie peine à se démocratiser. Même s’il y a l’ouverture culturelle à Paris, il est presque impossible d’avoir un passage à la télévision, sauf peut-être si vous faites du folklore et que vous avez un ami travaillant à France Télévisions. Pourtant Paris est un brassage culturel des plus coloré qui fait la beauté de cette ville. Le Paris d’antan où l’on pouvait vivre et se loger avec de petits moyens est fini. Paris s’embourgeoise de plus en plus. La seule chance pour un faible salaire de se loger est un logement social. Mais quand vous faites une demande, on vous propose systématiquement la banlieue, même si vous êtes Parisien depuis 30 ou 40 ans, comme s’il fallait vider Paris de ses habitants pauvres. Le Paris populaire de mon enfance vit dans mes souvenirs.
Le Français est-il raciste ?
Il est difficile de répondre à cette question. En effet, le discours du raciste se base sur la généralisation. Je dirais que le Français n’est pas raciste, même s’il y a des racistes. Le Français est très ouvert sur l’autre, n’oublions pas que la France est une terre d’accueil, terre d’asile, même si ces dernières années on a tendance à s’en éloigner. Mais tout n’est pas simple.
Dans les crises économiques naissantes, souvent préfabriquées par les systèmes bancaires, les peuples d’Europe se recroquevillent et se tournent vers les discours racistes de partis d’extrême droite qui créent des boucs émissaires responsables de tous les maux de la société. Des sociétés ruinées souvent par les systèmes bancaires et la spéculation boursière, au lieu de s’attaquer aux véritables responsables pour leur demander des comptes, préfèrent se tourner vers les plus faibles, en particulier les étrangers pour les accuser et instaurer ainsi la peur et dresser les communautés entre elles. Ce qui est dommage en France, c’est qu’on ait banalisé l’extrême droite.
Du coup, les gens votant pour ce parti ne se cachent plus et pensent que leurs idées extrêmes et racistes sont normales. On a affaibli le parti communiste ouvrier pour raffermir l’extrême droite. Je pense que c’est un jeu dangereux et les médias sont en partie responsables de ce chaos. Il y aura toujours des gens merveilleux, mais le racisme est un fléau qui avance et s’installe dans les familles. La haine se nourrit de la haine. Seul l’amour est salvateur. Mais il faut arrêter de stigmatiser les communautés pour faire de l’information spectacle, semer la peur dans les foyers, afin d’éviter de pointer du doigt les véritables responsables des crises économiques et sociales qui sont des lobbies financiers quasi intouchables. Le Français n’est pas raciste, mais il a tendance à s’enfermer sur lui-même en période de crise. Seule l’éducation, l’école peuvent faire évoluer les mentalités pour un lendemain meilleur.
Les enfants des émigrés arrivent-ils à s’intégrer dans la société française ?
Certains y arrivent par de brillants parcours, mais cela est rare malheureusement. Comment pouvez-vous dire à des enfants nés en France « Intégrez-vous ! » Cela est déjà de la discrimination. Le parcours scolaire tel que je l’ai vécu est un parcours du combattant, et c’est encore pire aujourd’hui. Depuis la Première Guerre du Golfe, du 11 septembre 2001 à aujourd’hui les mentalités ont beaucoup changé. L’étranger devient suspect, et les portes se referment devant lui, partout il est poussé à la précarité, au chômage longue durée.
Au lieu de s’attaquer à l’échec scolaire, on tend à culpabiliser les familles immigrées et leurs enfants en leur rappelant leurs origines ethniques et leur manque d’intégration, ce qui est ressenti comme un déshonneur et une humiliation pour ces familles. Quand on blesse une famille, un enfant, quel en sera l’avenir ? A l’école, il y a des enseignants qui osent dire à des enfants en difficulté ou simplement étrangers que l’école ne sert à rien. N’est-ce pas terrible ? Je me souviens qu’une fois à l’université un professeur a dit, s’adressant majoritairement à des étudiants d’origine modeste et étrangère : «Les études universitaires ne mènent à rien ».
Je lui ai dit à la fin du cours : « De quel droit pouvez-vous dire cela ? Les études universitaires vous ont permis de devenir professeur, pourquoi voulez-vous briser nos rêves ? ». Il est demeuré muet. La France est une société de droits, il suffit d’appliquer la loi pour donner les mêmes chances à tous. Il reste encore du chemin. Pour le moment, les obstacles sont nombreux, le racisme et les habitudes aidant. Certaines communautés constituées s’en sortent mieux, comme elles influent sur la politique, elles arrivent à ouvrir des portes pour leurs enfants. Les Berbères Kabyles de France commencent eux aussi à s’organiser, à créer leurs médias pour avoir une visibilité qu’ils n’ont pas dans les médias français. Mais il reste encore à faire.
Les émigrés algériens se retrouvent-ils assez souvent dans des associations ou autres clubs ?
Il reste encore, heureusement, des cafés algériens, kabyles pour la plupart, à Paris. Ce sont véritablement les seuls lieux de rencontre. Il y a un grand nombre d’associations mais elles n’ont pas réussi à créer des lieux de rencontre, de partage. Ces associations manquent souvent d’ouverture, elles fonctionnent en petits comités restreints. Il y a Berbère Télévision mais cette chaîne n’a pas réussi à créer véritablement un lieu de rencontres.
Elle crée des rencontres sporadiques, mais il faut saluer ses efforts. Nous souffrons donc du manque de lieux de rencontres. Même les cafés ne le sont plus vraiment, il faut consommer beaucoup pour ne pas paraître suspect. Le matérialisme occidental est dans les esprits. La mentalité des cafés bistrots populaires a disparu. Maintenant le client ne vaut que par ce qu’il consomme. Il y a encore beaucoup à faire dans ce sens. Les nombreuses associations pourraient offrir des lieux de rencontres conviviales. Des bars ou des clubs culturels pourraient aussi se créer.
Quelle est la place des intellectuels algériens en France ?
L’intellectuel algérien en France peine à survivre, invisible aux passants. La société française ne reconnaît pas ses acquis. Il est poussé pour survivre vers des petits boulots, les plus basses besognes, il n’a d’existence que par le petit boulot qui l’use et l’humilie, comme s’il fallait l’empêcher de créer, d’écrire, en l’affamant, en lui offrant parfois le RSA (Revenu de solidarité active), l’aumône de l’Etat. Il est presque impossible pour un intellectuel algérien d’écrire dans la presse française surtout s’il a une plume libre portant des critiques sur le système algérien. Il apparaît que ce qui intéresse le plus la France, ce sont plus les Affaires que les Droits de l’Homme en Algérie.
L’intellectuel est acculé, esseulé, dos au mur, dans une société qui ne le reconnaît pas et qui veut lui retirer son âme en le poussant vers la survie. L’intellectuel algérien voit devant lui toutes les portes se fermer. J’en connais qui avaient une très belle plume et qui ont fini, abattues, ouvriers en bâtiment. Ceux qui arrivent à vendre leur âme, faisant fi de l’esprit critique, peuvent se voir gratifiés d’un poste de surveillant d’un collège.
Certains sont humiliés par les aumônes de l’Etat et les soupes populaires, côtoyant les déshérités et les clochards. Pour que l’intellectuel algérien ait une visibilité en France, il faut créer nos propres médias et nos propres réseaux d’influence.
Ces derniers temps, beaucoup d’émigrés algériens quittent la France pour s’installer au Canada ou ailleurs. Pourquoi ?
Parce qu’ailleurs on leur offre un avenir meilleur, un avenir où ils souffriraient moins du racisme, où ils auraient plus de droits. La France a malheureusement tendance à se refermer sur elle-même ces dernières années, voyant dans les migrants un danger, au lieu d’un atout économique. Le Canada offre beaucoup plus d’opportunités, les chances sont plus grandes. De plus les Algériens du Canada et des USA s’organisent mieux, peut-être à cause de la distance.
D’autres pays comme les Etats-Unis et les pays nordiques offrent une meilleure vie, et une meilleure réussite sociale. En France, les portes se ferment de plus en plus. La plupart d’entre nous sont dans la survie, sans aucune perspective d’évolution. Sans le frein de la distance, de la dureté du climat, beaucoup plus d’Algériens émigreraient vers le Canada, les Etats-Unis et les pays nordiques où il y a véritablement les chances d’une vie meilleure. En France, l’étranger paraît toujours suspect, même quand il veut acheter un bien, on lui met des obstacles à l’achat. En Amérique, vous achetez ce que vous voulez avec votre argent, la couleur et l’origine ethnique n’entrent pas en jeu. La mentalité et l’esprit outre Atlantique sont beaucoup plus évolués, et beaucoup plus ouverts qu’en Europe.
Quel est-il de l’avenir de l’émigration algérienne en France ?
Les Algériens aiment la France. La France aime l’Algérie. Ceci pour des raisons historiques. Il est rare de trouver une famille algérienne qui n’ait pas un membre de la famille en France. Je dirais que nos destins sont liés. Les Algériens aiment la langue française, la culture française, à voir le nombre croissant de journaux algériens francophones, il y aura toujours des échanges entre les deux pays, et personne ne pourra arrêter le flux migratoire vers la France. L’instauration du visa est une profonde injustice, vu les liens étroits qu’entretiennent les deux pays.
Il faudrait espérer qu’on retire ces visas de la honte qui séparent des familles, pour que revienne la libre circulation entre les deux rives, pour que prennent fin les trafics de visas en tous genres. On voit des visas se monnayer des centaines de milliers de dinars.
Mais cette libre circulation ne reviendra peut-être qu’avec la véritable démocratisation de l’Algérie. Les peuples ne désirent que cela. Seuls les politiques freinent pour l’intérêt des uns et des autres. J’ai l’espoir qu’il y aura de meilleures relations entre les deux rives dans un avenir proche.
Entretien réalisé par Mohand Cherif Zirem
Mon journal
23 juillet 21013
________________________________________________
Brahim SACI sur les traces de Slimane AZEM
Deux hommes sur les chemins d’une même gloire
Après » les nuits de l’absence », » l’amour ne meurt pas », l’écrivain et journaliste Mohand Cherif Zirem signe un livre très singulier. Un hommage à deux artistes très singuliers: Brahim Saci et Slimane Azem.
Les grands artistes ont la possibilité d’exprimer non seulement leurs sentiments profonds et leurs sensations les plus complexes, mais ils peuvent aussi sentir la douleur et la joie des autres, en gardant l’œil clairvoyant sur le présent et l’avenir. Brahim Saci, ce grand artiste fait partie de ces génies. Saci est un artiste sincère qui s’exprime en toute liberté. Saci ne fait qu’écouter son coeur si sensible et sa raison sereine et ingénieuse. Brahim chante la vie avec ses couleurs multiples, l’exil la fraternité l’humanisme et bien d’autres thèmes. Sur les traces de Slimane Azem, il continue de produire des ouvres merveilleuses. Ce talentueux chanteur préfère s’exprimer artistiquement au lieu de « se montrer » dans la presse, mais il a accepté d’accorder à son ami Zirem cet entretien en exclusivité. Brahim nous parle du monde fabuleux de la création et nous raconte son parcours mouvementé. Il nous révèle aussi des vérités longtemps occultées sur Slimane Azem. « De 1999 à 2002 à Radio France Maghreb, j’ai collaboré avec Said Kejat dans son émission culturelle hebdomadaire où je présentais des pages sur l’histoire antique des berbères à partir de l’installation des phéniciens au 9ème siècle avant Jésus-Christ sur les côtes berbères. Voilà un long parcours radiophonique. Je ne me suis rendu compte que tard, candide que j’étais, qu’il n’y a aucune perspective d’évolution dans le domaine maghrébin en France, après toutes ces années d’expérience radio, triste constat. Non seulement ce milieu n’offre aucune perspective mais on vous oublie sans même un merci de la part des responsables des radios. J’aimais l’animation radio surtout de minuit à 6h, car le monde de la nuit est fascinant, si c’était à refaire j’aurais essayé de travailler à Radio France. Une fois grâce à une relation une occasion s’est présentée, pour une place de journaliste, avoir une licence et moins de 30 ans, la première condition était remplie mais j’avais plus de 30 ans, le destin en a voulu autrement », raconte Brahim Saci sur son itinéraire riche et mouvementé. Il parle aussi de Slimane Azem, un artiste qu’il admire profondément.
Il s’inspire tout aussi bien de lui, mais tout en restant lui même avec une originalité incontestable. « Slimane Azem est un grand humaniste, grand poète philosophe visionnaire. Il fut une légende de son vivant, comme l’était avant lui le barde kabyle du 19ème siècle Si Mohand U-Mhand, les deux ont eu un destin tragique. Si Mohand U-Mhand a été poussé sur les routes de l’errance pour sauvegarder son statut de kabyle libre, refusant toute autorité coloniale, après la destruction de son village, la confiscation de ses terres, le massacre et la dispersion des siens par l’armée coloniale. Poète errant composant sur les routes dénonçant le nouvel ordre dicté par l’occupant.
Slimane Azem fut aussi le verbe libre et vrai, admiré par les millions de kabyles qui voyaient en lui l’héritier de Si Mohand U-Mhand. Slimane Azem a dénoncé le colonialisme, a chanté la joie de l’indépendance et les désillusions du parti unique, d’un autoritarisme qui allait s’attaquer aux libertés démocratiques et tenter de balayer la langue berbère plusieurs fois millénaire. Poète engagé, il disait haut ce que le peuple pensait tout bas, il était le porte parole du peuple kabyle pendant plus de 50 ans. En 1967 il fut officieusement, selon les dires de certains, interdit d’antennes des radios algériennes et considéré comme personne non grata par la presse. La loi du silence était tombée, les uns ayant peur pour leur place, pour défendre leur maigre salaire, d’autres par zèle pour espérer s’attirer les faveurs du pouvoir ont semé la rumeur d’une interdiction officielle qui n’en était pas, toujours d’après ces même dires, mais vu la facilité avec laquelle la rumeur s’imposait partout cela arrangeait le pouvoir qui n’attendait que l’occasion pour museler cet artiste légendaire au talent inégalable. Mais on peut mettre un oiseau en cage mais on ne peut pas l’empêcher de chanter », estime Saci. En somme, « Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem » est un très bon livre qui nous fait découvrir d’avantage le génie de Saci et nous rappelle l’immense Azem. Ce livre est une passerelle entre un passé glorieux, un présent incertain et un avenir à réinventer sur les sentiers de l’éternité.
Hafit Zaouche
Le Courrier d’Algérie du 01 décembre 2010
_________________________________________________
« L’Algérie habite mon cœur et mon esprit »
Auteur, compositeur et interprète de ses chansons, Brahim Saci est un célèbre chanteur kabyle, connu en Algérie, mais surtout en France où il vit depuis l’âge de 11 ans.
La presse algérienne le surnomme L’incarnation de Slimane Azem, tellement sa manière de chanter ressemble à ce monument de la chanson nord-africaine.
Ces deux artistes chantent énormément sur l’exil et la nostalgie du pays natale.
Saci est aussi un grand poète, un dessinateur et un ancien journaliste qui a fait ses preuves dans nombre de radios.
Dans cet entretien exclusif, ce talentueux artiste nous livre des secrets sur ses œuvres magiques, mais aussi sur la chanson algérienne et bien d’autres questions artistiques et actuelles.
Vous êtes auteur compositeur et interprète de vos chansons.
Peut-on connaître le secret de cette polyvalence ?
C’est certainement la passion, je suis un homme passionné qu’un rien émerveille; où que je sois l’inspiration peut souffler comme un vent bienfaiteur.
La poésie fait partie de ma vie depuis l’enfance, l’art de la rime, ce don de Dieu peut me visiter dans la rue, dans un bus, dans le métro ; je peux écrire même dans la foule car j’arrive à me détacher d’une certaine réalité comme pour rentrer dans une autre réalité parallèle où tout n’est que Art et volupté…
La musique chaâbi, quant à elle, habite en moi dans l’âme, le cœur et l’esprit: mon père m’a permis de découvrir Slimane Azem, ce créateur génial, poète, chanteur, fabuliste, dramaturge qui a bercé des générations et des générations d’émigrés.
Après il y a évidemment le travail; sans le travail le talent ne peut pas suffire, car il ne pourra s’exprimer entièrement. Il faut dans bien des cas se fatiguer, aller au plus profond de soi-même pour en tirer le meilleur, être un peu perfectionniste pour aboutir à des choses abouties.
Toute mon enfance fut bercée par les chants et la poésie de Slimane Azem, émerveillé par la richesse mélodique et la force du verbe de celui-ci, je ne cesse de m’y référer comme à une source salutaire. Slimane Azem est pour moi un maître et un père spirituel. Plus tard, la découverte de Dahmane El Harrachi a renforcé mon amour pour la musique chaâbi.
D’autres artistes m’ont influencé et continuent de m’influencer aussi bien dans l’âme poétique que dans la création musicale : Youcef Abdjaoui, Allaoua Zerrouki, Cheikh Arab, Ahcene Mezani, Matoub Lounès, El Hasnaoui, El Anka, Kamel Messaoudi, pour la chanson algérienne, Brel et Brassens pour la chanson française. Un bagage culturel riche et varié est nécessaire au créateur.
Que représente justement la poésie pour vous ?
En kabyle, le poète c’est celui qui éclaire.
Dans la Grèce antique toute expression littéraire était qualifiée de poétique comme c’est également le cas dans la culture Kabyle, où le poète est celui qui manie le verbe ou qui a l’art de manier le verbe.
La langue kabyle est elle-même empreinte de poésie. La poésie est la première expression artistique et le genre littéraire le plus ancien de l’humanité.
La poésie reste un mystère; la poésie est l’âme des choses, l’âme profonde des choses. Sans la poésie, la saveur de la vie elle-même n’est plus pareille. La poésie nous aide à supporter les difficultés de la vie, à relativiser leur importance.
La poésie nous aide à avancer, elle nous permet d’aimer les autres, ce qui est magnifique. Elle nous permet aussi de voir la beauté du monde quand on sait l’approcher avec amour.
Même si vous avez une originalité, vous ressemblez à Slimane Azem dans vos œuvres. D’où vient cette similitude ?
Je ne saurais le dire exactement; ma légère ressemblance avec Slimane Azem est peut-être un miracle, mais pour espérer approcher la poésie de Slimane Azem il faut soi-même ciseler le verbe et l’élever au-delà des cimes.
Mais Slimane Azem est un monument de la musique algérienne et de la musique mondiale que personne ne peut réellement imiter ou égaler.
Mon admiration sans bornes pour Slimane Azem, mon intérêt pour tout ce qu’il a fait, m’ont permis d’aller un peu sur ses traces et je suis ému quand on me dit que je ressemble à Slimane Azem. C’est un grand honneur pour moi.
A ce jour, Slimane Azem n’est pas reconnu à sa juste valeur dans son pays. Pourquoi ?
Slimane Azem est incontournable dans le domaine de la chanson nord-africaine.
Personne ne peut l’occulter. Même banni des médias de son pays durant des années, il n’a jamais été oublié par ceux qui l’adorent, et il n’a jamais cessé de chanter, d’aimer l’Algérie. Dans un de ses plus beaux poèmes composés vers la fin de sa vie, il disait :
Je me rappelle cette nuit d’orage
Entouré de mon père et de ma mère
En exil dès mon jeune âge
J’ai préparé mes affaires
Pour mon premier voyage
M’exiler au-delà des mers
Je revois d’ici mon village
Et tous ceux qui me sont très chers
Pour moi ce paysage
Est le préféré de la Terre
L’Algérie, mon beau pays
Je t’aimerais jusqu’à la mort
Loin de toi, moi je vieillis
Rien empêche que je t’adore
Avec tes sites ensoleillés
Tes montagnes et tes décors
Jamais je ne t’oublierais
Quelque soit mon triste sort
Seul, je me parle à moi-même
J’ai failli à mon devoir
J’ai mené une vie de bohème
Et vécu dans le cauchemar
Quand je chante ce poème
Je retrouve tout mon espoir
L’Algérie, mon beau pays
Je t’aimerais jusqu’à la mort
Loin de toi, moi je vieillis
Rien n’empêche que je t’adore
Avec tes sites ensoleillés
Tes montagnes et tes décors
Jamais je ne t’oublierais
Quelque soit mon triste sort.
Un poème d’une force et d’une profondeur inouïe qui en dit long sur l’exil amer et la souffrance de l’éloignement du pays natal.
Slimane Azem est un grand artiste mais c’est aussi un esprit libre qui dit l’essentiel, qui parle aussi de la nécessité de la liberté, de la justice sociale, de la démocratie, où chaque Algérien aura sa place dans la diversité culturelle et linguistique.
Ces idées continuent à gêner certains mais le jour viendra bientôt où ces belles valeurs viendront naturellement et s’imposeront.
Vous vivez en France, mais vous-êtes toujours attaché à votre pays. Parlez-nous de cette passion de la terre natale ?
Je vis en France depuis près de 40 ans mais je n’ai jamais coupé les ponts avec mon pays natal. Chaque année je viens une ou plusieurs fois en Algérie pour me ressourcer.
Ce pays, ma Kabylie natale, sont mon oxygène. L’Algérie, c’est le pays de mon enfance et l’enfance ne s’oublie jamais.
L’Algérie habite mon cœur et mon esprit. Loin d’elle nous sommes emprunts de nostalgie quand ces années magiques de l’enfance reviennent pour nous apporter les senteurs de jeunesse où tout n’était que paix et sérénité auprès de ses parents dans la chaleur du foyer.
Loin d’elle, ces images reviennent et tournoient comme un tourbillon dans la tête et nous plongent dans un spleen baudelairien qui engendre une douleur de l’âme.
Paradoxalement, cette nostalgie et ce spleen sont un aliment pour l’expression artistique.
L’exil est le thème qui revient souvent dans vos poèmes. Est-ce une souffrance inguérissable ?
L’exil est toujours amer. Avec le temps on fait semblant de le supporter mais c’est toujours une blessure dont on ne guérit jamais. Mais l’exil est également un chemin vers la sagesse, vers le recul, vers le questionnement profond.
L’exilé est comme un arbre qu’on déracine et qu’on tenterait de replanter ailleurs, même s’il reprend vie, il aura toujours le mal du pays.
Le drame est qu’à l’exil apparent s’ajoute l’exil intérieur du poète, l’incompris, l’esseulé. On peut dire que ma souffrance est double. Si l’exil nous étouffe peu à peu en France, où l’étranger est un bouc-émissaire qu’on montre du doigt à chaque crise sociale ou problème de société, de retour au pays natal nous sommes confrontés à un étouffement d’un autre ordre encore plus dévastateur.
On se rend vite compte que l’oxygène qu’on est venu chercher se raréfie inexorablement dans ce pays natal qui peine à se démocratiser, on ressent donc vite le désir de repartir. Un pays qui mérite tellement mieux et qui pourrait mieux faire.
Il suffirait d’un soubresaut des intelligences algériennes, je sais qu’il y en a, pour construire un avenir meilleur. Je me sens comme un écorché vif qui a l’impression de n’être nulle part chez lui.
Pourquoi la plupart des intellectuels algériens établis en France peinent à s’imposer ?
Il est difficile en France d’être reconnu en tant qu’intellectuel si on n’est pas dans le politiquement correct. Les intellectuels algériens dont on parle en France sont souvent ceux qui épousent les idées dominantes.
Si l’intellectuel algérien n’a pas véritablement sa place en France c’est aussi parce qu’il n’a pas su s’organiser et se constituer en réseaux comme le font d’autres communautés.
Sans cela il ne peut avoir une visibilité médiatique et peser sur la scène politique. Dans la lutte pour la survie, au lieu de s’unir pour constituer une force pour s’entraider, ces intellectuels restent dispersés et les rares réussites restent individuelles.
Que peut-on dire de la chanson algérienne actuelle ?
La chanson algérienne est très riche et variée. Elle se décline en plusieurs langues et en plusieurs styles. Peut-être que les meilleurs chanteurs algériens ne sont pas toujours les mieux médiatisés.
Chaque région de ce beau pays a son style musical, mais ces styles musicaux ne sont pas assez visibles malheureusement. Il faudrait seulement plus de moyens pour permettre aux nombreux créateurs de chaque région d’Algérie de s’exprimer et vivre de leur Art.
Nous voyons quelques artistes qui courtisent le pouvoir monopoliser la scène artistique, je pense qu’il devient urgent d’arrêter ces pratiques et d’ouvrir la scène aux nombreux créateurs algériens. Les temps de la pensée unique sont révolus, le 21ème siècle est un siècle d’ouverture et de liberté.
Quelle est la place de la culture en Algérie ?
La culture Algérienne est d’une richesse et d’une diversité extraordinaire. Il suffit de parcourir le pays pour se rendre compte de cette diversité, de cette richesse, des couleurs, où chaque région de ce vaste et beau pays a sa couleur et sa particularité culturelle.
La culture n’a hélas jamais été la priorité de ceux qui dirigent l’Algérie et pourtant c’est la culture qui va sauver ce pays !
Quand je suis en Algérie je me rends vite compte du désert culturel, le constat est facile à faire, il n’y a quasiment plus de cinémas et les théâtres sont rares.
Il y a tant à faire dans la production théâtrale et cinématographique, et il faudrait aussi créer une agence nationale pour les artistes pour leur permettre comme en France d’être rémunérés lorsqu’ils ne travaillent pas et revaloriser le statut de l’artiste.
Il faudrait créer des conservatoires de musiques et des centres de loisirs et d’animation pour enfants et adultes dans chaque commune pour permettre aux écoliers d’avoir des activités extrascolaires et aux adules d’avoir une pratique artistique Quand un enfant sort de l’école, il va au conservatoire ou au centre d’animation et de loisirs. Comme cela se fait en France.
Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
En fait j’en ai lu deux : Le dernier roman de Youcef Zirem « L’homme qui n’avait rien compris « publié aux éditions Michalon. Un beau roman dont l’histoire se déroule entre Alger et Paris, dont je suis l’un des personnages.
«Histoire de Kabylie» de Youcef Zirem aux éditions Yoran Embanner.
De l’antiquité à nos jours. J’ai eu la chance de m’exprimer dans ce fabuleux livre.
Quels sont vos projets artistiques ?
Les projets foisonnent dans ma tête. Mais les obstacles de la vie et ses tourments retardent leur publication.
J’écris pourtant et compose beaucoup. Tant bien que mal j’essaie de mener à bien ces projets.
J’ai en fait deux albums de 16 chansons qui sont presque prêts, mais dans un souci de perfection ils sont encore dans mes tiroirs.
Mais je pense qu’ils arriveront bientôt à maturité pour le bonheur de mon public!
Entretien réalisé par Mohand-Cherif Zirem
L’Echo d’Algérie, du 19 décembre 2013.
_____________________________________________
Un Talent qui attend la reconnaissance dans son pays
Dans la nouvelle génération de chanteurs algériens, on a rarement vu quelqu’un d’aussi préoccupé par le thème de l’exil. Malgré » une bonne assise » en France, Brahim Saci ne rate jamais une occasion de chanter ce mal qui a rongé bien des générations avant lui.
S’il chante l’émigration et l’identité, ce natif du village de Tifrit Naît-Oumalek, dans le massif d’Akfadou, c’est que ce troubadour des temps modernes a une référence: le grand Slimane Azem. C’est ce dernier qui, sans l’avoir vraiment connu puisqu’il avait disparu lorsque Brahim Saci était encore adolescent, lui a fait aimer le goût de la chanson engagée. Sauf que, contrairement à ses aînés, Brahim Saci n’est pas un exilé. Il a quitté son village natal presque consentant. Il avait 10 ans lorsqu’il rejoint son père, travailleur en France. Mais les dix années passées au village sont suffisantes, pour lui, afin de créer un lien avec sa terre natale. Ce sont les chants des oiseaux suspendus aux oliviers et aux chênes de sa région qui fredonnent en lui. La vocation est donc innée chez Brahim Saci. Elle est tellement naturelle que malgré un cursus universitaire honorable (licencié en lettres), il n’a pas mis fin à sa passion, la musique. Pour bien montrer son intégration, le chanteur chante désormais en bilingue. Dans certaines de ses compositions, il alterne le kabyle et le français. C’est le cas de la chanson « Ledzayer » ( Algérie) ou » Leghdar n’watmaten » ( la trahison des frères).
Malgré une présence médiatique plutôt honorable, Brahim Saci n’a pas la reconnaissance qu’il mérite dans son pays d’origine. Il ne s’y est jamais produit, d’ailleurs. Il ne perd pas, cependant espoir pour autant. Il souhaite recevoir une invitation.
En attendant, Dziri l’a fait parler pour vous dans cet entretien passionnant.
Dziri : Vous êtes un chanteur émigré. Vous vous identifiez à un monstre sacré de la chanson algérienne, Slimane Azem. Le parallèle a-il raison d’être 30 ans après la disparition de ce dernier?
Brahim Saci : Près de trente ans après la disparition de ce monument qu’est Slimane Azem, nous n’avons pas encore rendu véritablement hommage à cet homme d’exception. Y a-t-il une rue, un lycée, une université qui porte le nom de Slimane Azem en Algérie? Est-ce que les jeunes connaissent aujourd’hui l’œuvre de Slimane Azem? Slimane Azem est un grand poète, un grand visionnaire, un grand chanteur, musicien d’exception, mais c’est aussi un homme de principe que nul pouvoir n’a pu corrompre.
C’est pour cela que Slimane Azem sera toujours une référence importante pour moi, et pour de nombreux puristes de l’Art et des principes, aujourd’hui et demain. L’œuvre de Slimane Azem est éternelle.
Dziri : Dans vos chansons, l’exil prend une bonne place. Sentons la même déchirure, la même sensation que les émigrés du siècle dernier? Voit-on cela d’un même œil que l’on soit natif d’Algérie ou de France?
Brahim Saci : L’exil est toujours douloureux, c’est une énorme blessure à chaque époque. Il ne faut pas croire que les émigrés d’aujourd’hui ne souffrent pas, même s’ils souffrent peut-être moins que nos parents qui avaient d’autres inconvénients, comme celui de ne pas savoir lire et écrire, ce qui les rendaient beaucoup plus fragiles, car beaucoup méconnaissaient leurs droits. Ils étaient des proies faciles pour l’arbitraire et la discrimination. Où que l’ont soit, l’exil est toujours une déchirure. Comme je l’ai dit dans la chanson, Le déclin des jours « loin de chez-soi rien n’est facile-s’égare l’existence fragile ». Mais l’exil peut être aussi à l’intérieur de l’âme; on peut vivre dans son propre pays et se sentir exilé. Le poète n’a pas d’époque et est toujours en proie à un exil intérieur, puisque proche de la vérité, il reste l’éternel incompris, un libre penseur qui dérange. Baudelaire disait: « Le poète est semblable au prince des nuées – Qui hante la tempête et se rit de l’archer – Exilé sur le sol au milieu des huées – Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. » Aujourd’hui l’Europe en général se ferme de plus en plus; et l’exil se fait encore plus terrible, mais l’Art et la méditation nous aident à dépasser les affres de l’exil. Souvent c’est l’Art qui me rend à moi même, un retour vers soi salvateur, qui me donne la force de continuer le chemin.
Dziri : Malgré les sorties médiatiques, vous êtes plus connu dans les milieux de l’émigration qu’auprès de la jeunesse algérienne. Comment expliquez-vous cela ? L’introduction de chansons français joue-t-elle un rôle?
Brahim Saci : Je ne sais pas. Mais je crois qu’avec les nouveaux outils de communication, surtout les réseaux sociaux et internet, la jeunesse algérienne me connait aussi. Je suis l’un des premiers chanteurs algériens à avoir un site internet énormément visité depuis des années. Même si les médias français ne me sont pas vraiment accessibles, la communauté algérienne me connait à travers ma présence artistique et sociale. Même si je suis venu enfant en France, je n’ai jamais perdu le lien qui me relie à ma communauté d’origine. Et puis la langue kabyle, ce véhicule extraordinaire de valeurs humaines, m’a permis de saisir la place de notre culture dans le grand gotha des cultures universelles. J’aime aussi la langue française que j’ai apprise au départ grâce aux grands poètes français tels Baudelaire, Rimbaud, Prévert ou encore Paul Eluard. Dans mes chansons, il ya des passages en français, car j’écris aussi en français, c’est un bon mariage avec la sensibilité kabyle.
Dziri : Il n’est pas évident de vivre aujourd’hui de son art. La chanson est-elle pour vous, un métier, ou une passion?
Brahim Saci : Mon but n’est pas de vivre de mon art. Heureusement que mon travail dans le champ culturel parisien me met à l’abri du besoin. La chanson, la poésie, les quêtes artistiques sont pour moi des passions qui me donnent du bonheur. Un bonheur que je partage avec ceux qui aiment ma musique et ma poésie. Cela fait des années que je chante, j’écris beaucoup mais je ne fais pas sortir beaucoup d’albums; je laisse le temps faire les choses.
Dziri : Une question inévitable: Avez-vous un chantier en cours? Y a-t-il une intention ou, tout au moins, un projet de spectacle en Algérie?
Brahim Saci : J’ai plusieurs chantiers en cours. Au moins deux albums qui sortiront en temps opportun. Pour les spectacles en Algérie, ce n’est pas de ma faute si je ne m’y produis pas. J’ai l’impression que les demandes se font toujours pour les mêmes. Mais ce n’est pas grave; un jour l’Algérie se démocratisera, c’est inévitable, et les choses changeront.
Ali Boukhlef
Dziri, de novembre-décembre 2012
Magazine Dziri
______________________________________________________
Entretien exclusif avec le poète et chanteur Brahim Saci
« Le poète mieux que personne sait combien le temps est précieux et notre vie si brève»
Brahim Saci est intellectuel, poète et chanteur algérien. Il vit à Paris depuis plusieurs années. Dans cet entretien exclusif. Le talentueux artiste revient sur ses quêtes artistiques et nous donne sa vision de la condition des artistes algériens des eux rives de la Méditerranée.
Vous-êtes auteur, compositeur et interprète de vos chansons. Quel est le secret de cette polyvalence ?
C’est peut-être l’amour de l’Art, la passion de la création. Quand on se lance dans la poésie et la chanson, on a soif de dire beaucoup choses. Parfois l’on voudrait même tout dire.
Avec le temps, on s’intéresse à toutes les facettes de la chanson; on compose la musique qui habille nos mots et on s’engage naturellement sur les chemins de l’interprétation. Je suis tenté de dire que tout cela vient tout seul tellement on est pris dans le vertige de la création. Mais il faut aussi être attentif à ce qui se fait dans le domaine musical et de la chanson en général, afin d’approfondir son bagage culturel, mais aussi savoir écouter tout simplement la vie…
Le secret c’est aussi le travail, toujours apprendre, ne jamais se dire qu’on sait. Mais la poésie m’habite comme j’habite en elle. La Muse est une amie éternelle.Qu’est ce qui vous inspire ?
C’est d’abord l’amour de la vie qui m’inspire. La vie est fabuleuse pour ceux qui savent regarder avec l’œil du cœur, ceux qui savent qu’elle ne dure pas. Puis il y a l’Exil, cet exil dont on peine à trouver le remède, qu’on ne trouvera sans doute jamais car il n’existe peut-être pas, et il est vain de le chercher. Puis il y a les nombreuses expériences souvent douloureuses qui accompagnent notre vie, mais qui sont aussi un aliment indispensable à la création. Le regard du poète ne cesse de regarder vers l’essentiel afin d’essayer d’en saisir le sens et les couleurs: il tente également de faire partager sa vision du monde, il essaie de donner un peu de bonheur à ceux qui l’écoutent. Je lis beaucoup et la poésie m’inspire en général. Slimane Azem, Si Mohand Ou M’hand, El Hasnaoui, Youcef Abdjaoui, Dahmane El Harrachi, Renaud, Brel, Brassens, Piaf, Baudelaire, Rimbaud, Hugo, Mallarmé, Prévert, Verlaine, Ronsard, La Fontaine, Youcef Zirem et Mohand Cherif Zirem, Taos, Jean, et Fadhma At Mansour Amrouche sont mes lectures favorites.
Malgré votre originalité, on vous compare, souvent, à l’immense Slimane Azem. D’où vient cette ressemblance artistique ?
Je suis touché quand on me compare au grand Slimane Azem : il est vrai que le timbre de ma voix ressemble un peu à ce géant de la chanson algérienne. C’est un miracle, je ne sais pas d’où je tiens ceci. J’avoue qu’il y a un grand mystère quant à cette ressemblance. Mais je peux vous dire qu’à mes débuts, j’ai un jour rêvé de lui et je pense souvent à ce rêve tant il paraît réel. J’ai en quelque sorte raconté ce rêve dans le prélude de ma chanson « Leghdar n watmaten » qu’on peut écouter sur le net, sur « youtube » ou sur mon site www.brahimsaci.com. Emerveillé par sa rencontre, celui-ci m’ouvre ses bras me tendant son œuvre, me disant par ces mots « Akh a mmi ! ». A mon réveil je fus très troublé et heureux de cette rencontre mystérieuse dans un rêve. On peut comparer ma manière de composer la musique à celle de Slimane Azem, en privilégiant la mélodie, en allant vers le plus simple afin d’atteindre la clarté d’une source de l’Akfadou ou du Djurdjura. et mon attachement aux poètes kabyles anciens, particulièrement au légendaire Si Mohand Ou M’hand, en affectionnant les neuvains, donnant une préférence aux tercets. Sans oublier les quatrains et les sixains évidemment, avec l’utilisation d’une langue kabyle recherchée et profonde.
Vous êtes très nostalgique dans vos poèmes. L’Algérie vous inspire toujours ?
Tout poète est nostalgique car le temps s’enfuit et on n’y peut rien. Nous sommes désarmés devant le temps qui passe. Le poète mieux que personne sait combien le temps est précieux et notre vie si brève, c’est pour cela qu’il ne cesse de crier par ses vers afin d’essayer d’en percer le mystère et peut-être espérer créer une illusion d’éternité. Moi je suis nostalgique d’un pays que j’ai quitté et qui me parait, parfois, comme un paradis. C’était une autre époque, une autre Kabylie, une autre Algérie… Oui, l’Algérie m’inspire, j’ai tellement envie de la voir meilleure, épanouie, démocratique où la justice sociale régnerait. L’Algérie a les moyens de faire mieux. Il y a tellement de beauté dans ce pays !
Quel est la place de l’intellectuel algérien vivant à Paris ?
L’intellectuel algérien n’a pas vraiment de place à Paris, il n’est pas vraiment visible, il peine à survivre seul dans une ville qui ne veut pas de lui car ici ce sont les réseaux qui font voir les uns et les autres et les Algériens ne savent pas établir de réseaux entre eux. Seul, il est en proie à la discrimination quotidienne, se perdant dans de petits boulots, jusqu’à perdre son âme. Cette ville sait être si chaleureuse et si froide à la fois. Individuellement, les Algériens sont capables de réussite mais ils ne savent pas construire collectivement. Comme si une malédiction les poursuivait même à l’étranger.
Que pensez-vous de la chanson algérienne actuelle ?
La chanson algérienne poursuit son aventure. Elle continue, parfois, à donner de belles choses mais au même moment, il y a comme une tendance à la facilité, comme un plongeon vers la médiocrité. Ainsi va la vie. Ce qui est à signaler c’est que les vrais créateurs de cette chanson sont souvent ignorés et marginalisés. Une véritable démocratisation donnerait sa place à chaque créateur. On verrait ainsi apparaitre et s’épanouir la diversité des genres musicaux.
Malgré la grandeur de votre œuvre, on ne vous invite pas à chanter en Algérie. Comme si juste quelques artistes ont le droit de se produire chez eux, toujours les mêmes. Pourquoi?
Oui, je ne suis pas invité à me produire en Algérie, je ne saurais vous dire pourquoi. En revanche, il y a des chanteurs qui sont toujours invités. Mais ma ressemblance avec Slimane AZEM doit aussi gêner certains nostalgiques du parti unique de l’époque où Slimane AZEM était interdit en Algérie.Mais aussi, ayant quitté l’Algérie à l’âge de 10 ans, peut-être que certains me voient plus comme un artiste de France, même si ma musique et ma poésie s’abreuvent en premier lieu aux sources de la Kabylie, du Djurdjura et de l’Akfadou. Mais ce n’est pas grave, pour moi l’essentiel ce sont mes créations, mes poésies…
Quels sont vos projets artistiques ?
Un artiste a toujours des projets même s’ils sont difficiles à mettre en route. Après avoir écrit et composé de nombreuses nouvelles chansons, j’attends juste le moment adéquat pour les donner à écouter à mes admirateurs. C’est juste une question de temps…
Entretien réalisé par Mohand Cherif Zirem
Reporters, du 16 février 2013.
_______________________________________________
Entretien avec Mohand Cherif Zirem :
«Le secret de la vie est de savoir réinventer le bonheur»
Mohand Cherif Zirem est psychologue clinicien et journaliste. Après son premier recueil de poèmes intitulé Les Nuits de l’absence, édité en 2006, il vient de publier deux opus en même temps : L’amour ne meurt pas et Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem. Dans cet entretien, notre confrère nous parle de ses nouveau-nés et nous livre sa vision de la littérature et de la vie avec une lucidité singulière.
La Dépeche de Kabylie: Vous venez de publier deux livres en même temps. Pouvez-vous nous les présenter ?
Mohand Cherif Zirem : Le premier livre est un recueil de poésie, intitulé «L’Amour ne meurt pas». Cet ouvrage se compose, essentiellement, de trois longs poèmes : Le premier est un poème d’amour où j’ai évoqué ce noble sentiment humain, non seulement avec ma sensibilité de poète mais aussi avec ma propre lecture psychologique. Le second poème est dédié à l’écriture littéraire, surtout à la poésie. Le troisième est consacré à Béjaïa, une partie enchanteresse et exquise de notre vaste et beau pays, l’Algérie. J’ai voulu marquer une halte poétique pour décrire la beauté de cette région, retracer son histoire et alerter les gens sur les dégradations multiples que connait Bgayet, surtout sur le plan architectural. La perle du Maghreb a tendance à devenir une princesse en haillons. J’ai profité aussi de cette tribune poétique pour crier mon ras-le-bol contre le marasme social et les injustices qui emprisonnent notre pays. Dans mon recueil de poésie, il y a aussi de courts poèmes sur la vie, la beauté, les tourments, la liberté, l’humanisme… Quant à mon deuxième livre «Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem», c’est un entretien exclusif que m’a accordé mon ami Brahim Saci, un talentueux poète et un grand chanteur. Brahim m’a parlé sur son parcours artistique riche et mouvementé. Il m’a parlé de Paris, de ses lumières et de ses ombres, de la Kabylie, de sa beauté et sa laideur. En outre, Brahim m’a confié des vérités longtemps occultés sur Slimane Azem, entre autres, la censure qu’on lui a imposée dans les médias algériens, des années durant. En somme, beaucoup de non-dits à découvrir et à méditer.
Vous êtes persuadé que l’amour ne meurt pas ?
Oui, absolument (rires). L’amour peut nous faire souffrir, ou carrément nous éloigner de son éden, mais il ne meurt jamais. Parfois, quand on fait plus attention à la personne aimée, quand on se focalise sur soi-même, en ignorant notre partenaire, les choses peuvent tourner mal. Parfois encore l’absurde nous impose ses lois. Cependant, l’amour comme sentiment sublime ne s’efface jamais. On peut tourner la page, ou tenter de refaire sa vie, mais cet amour restera à jamais gravé en nous. D’abord, la persistance de ce passé présent est remarquable dans la vie quotidienne. Et puis, d’un point de vue psychologique, c’est une certitude car tout notre vécu reste omniprésent dans notre subconscient et notre inconscient. Ces expériences sentimentales peuvent être latentes mais elles se manifestent dès qu’une occasion se présente. La personne humaine est un véritable labyrinthe où le passé, le présent et le futur se mélangent, se marient et se conjuguent à tous les temps et avec un rythme disproportionné.
Que représentent pour vous Slimane Azem et Brahim Saci ?
Da Slimane Azem est l’un des plus grands chanteurs kabyles de tous les temps. Ses mélodies harmonieuses et sa poésie profonde font de lui un immense artiste inégalable. C’est un grand homme qui a chanté l’exil, la liberté et les multiples entraves de la vie. Plusieurs années après sa mort, son œuvre demeure d’actualité et continue d’inspirer la nouvelle génération, comme elle a déjà inspiré Matoub Lounes et tant d’autres génies. Par le truchement de ce livre, je veux aussi rendre hommage à un humaniste singulier qui a été longtemps marginalisé et diabolisé dans la terre même qui l’a vu naître, alors qu’il a toujours aimé son pays, son beau pays. Quant à Brahim Saci, c’est aussi un grand artiste, qui est sur la voie de Da Slimane. Certes, il y a une grande ressemblance entre ces deux artistes, mais Brahim a sa propre originalité dans la forme comme dans le fond. Il suffit de lire sa poésie ou d’écouter ses chansons en Français ou en Kabyle pour palper la touche d’un maître qui tarde à être reconnu à sa juste valeur. L’Algérie d’aujourd’hui fait la promotion de beaucoup d’artistes, lesquels sont sur les limites du bricolage, alors qu’on se contente de donner la parole à des noms connus tout en marginalisant les créateurs singuliers, les jeunes talents. C’est inadmissible.
On dit souvent que vous êtes pessimiste dans vos écrits…
Ce n’est pas vrai. Je suis un grand optimiste dans mes écrits comme dans ma vie. Toutefois, il faut aussi être réaliste pour voir les choses comme elles sont. J’ai écrit sur les violences et les tueries commises en Algérie ou ailleurs. J’ai écrit sur les souffrances que subissent des millions de personnes à travers le monde. Comme j’ai écrit sur la rude condition humaine et l’éternel retour de la guerre entre le bien et le mal. Mais ça ne veut pas dire que je suis pessimiste. Dans ma propre philosophie : Il faut toujours simplifier les choses de la vie. Dans notre existence courte et furtive, il y a des moments difficiles qu’il faut, non seulement dépasser avec bravoure, mais qu’il faut tenter d’éviter dans la mesure du possible. Il y a, en outre, des moments de bonheur dont il faut se réjouir pleinement, tout en tentant de les réinventer sans cesse. Le secret de la vie est de savoir réinventer le bonheur, même durant les périodes difficiles.
Quels sont vos projets d’écriture ?
J’ai déjà plusieurs ouvrages achevés dans trois langues : en Tamazight, en Français et en Arabe (romans, poésies…). J’espère les publier à l’avenir. Comme j’ai des livres en chantiers et des livres que j’écrirai plus tard. Il y a aussi des livres que je ne vais ni écrire ni publier (rires), tout simplement parce que je ne les ai pas rédigés. La littérature, ce n’est pas seulement ces livres qu’on édite mais aussi ces belles paroles et ces pensées profondes qu’on prononce sincèrement, à l’occasion. Ou bien ces pensées inédites restées caverneuses dans notre tête, sans qu’on les partage avec les autres pour une raison ou une autre. Ce n’est pas forcément par manque de générosité mais juste comme ça, car tout doit avoir une raison d’exister, même l’absurde.
Entretien réalisé par Tarik Djerroud
La Dépêche de Kabylie du 27 Novembre 2010
________________________________________________
Brahim Saci et Idir ont assisté à l’inauguration de la place Slimane Azem dans le XIVe arrondissement de Paris
Slimane Azem dans la Dépêche
Slimane Azem : le poète kabyle de Moissac a désormais sa place à Paris
Publié le 02/11/2014, www.ladepeche.fr
La mairie du XIVe arrondissement lui a rendu un vibrant hommage
Un bon millier de personnes parmi lesquels les chanteurs Brahim Saci et Idir ont assisté à l’inauguration de la placette Slimane Azem dans le XIVe arrondissement de Paris.
Quarante-quatre ans après avoir été fait disque d’or et triomphé à l’Olympia avec son titre «Awin ilan d-lfahem» (Ô toi l’homme sage), le poète, auteur – compositeur et chanteur amazigr Slimane Azem a eu en quelque sorte son entrée au Panthéon avec l’inauguration au cœur de la capitale francilienne d’une placette portant son nom. La manifestation qui s’est tenue dans le XIVe arrondissement de Paris en présence d’un millier de personnes parmi lesquelles de nombreux représentants de la communauté berbère de France au premier rang desquels les chanteurs Brahim Saci et Idir n’ont pas manqué d’émouvoir la famille du «Brassens berbère» de Moissac. Dans l’engouement, les jeunes militants associatifs d’Ameslay qui sont à l’origine de cette inauguration en auraient presque oublié, en effet, que six ans auparavant, à Moissac, la cité uvale avait la première honoré le «père de la chanson berbère engagée» en lui dédiant le square derrière l’abbaye Saint-Pierre (notre édition du 3 novembre 2008). C’est en effet, un peu par hasard devant l’important cortège de fans qui viennent chaque année déposer des fleurs sur la tombe du poète kabyle inhumé depuis 1983 à Moissac que la municipalité de l’époque et plus précisément l’ex conseiller municipal Kader Selam, ont redécouvert que ce monument de la chanson populaire berbérophone avait posé vingt-cinq ans plus tôt ses valises d’exilé dans une ferme des coteaux de Moissac. Vivant six mois de l’année à Moissac avec son épouse Lucienne («tata Malika»), une Auvergnate, c’est dans son jardin arboré des figuiers et d’oliviers qu’il avait planté dans sa propriété, sa guitare à la main, qu’il composait et écrivait ses chansons contant l’exil des immigrés d’Algérie.
Interdit de tout retour en Algérie pour avoir critiqué les leaders du FLN
Mais pas seulement. Chanteur engagé, Slimane Azem avec des métaphores chères à ses origines rurales, n’hésita pas lors de l’Indépendance de l’Algérie, en 1962, à égratigner les leaders du FLN et leurs querelles intestines pour s’accaparer le pouvoir à Alger. Des chansons qualifiant Ben Bella de grenouille et Boumedienne de bœuf qui étaient vendues sous le manteau en Algérie, qui lui interdirent jusqu’à sa mort tout retour dans son pays natal. Fut-il influencé par son grand frère le politicien Ouali Azem, un farouche partisan de l’Algérie française (notre encadré) ? Sans doute… mais réduire l’œuvre de Slimane Azem, riche de 173 chansons (catalogue recensé de la SACEM), serait une vraie gageure. Les paroles de ce grand connaisseur de la culture orale amazigh, sont, en effet bien plus riches et en disent plus long sur la souffrance des sans voix de l’époque, celles des exilés d’Algérie que ce soit celles des rapatriés, des réfugiés politiques ou immigrés économiques, et sur cette société française de l’après-guerre et de la décolonisation. Boycottées par le pouvoir algérien, les chansons de Slimane Azem qui n’ont jamais été oubliées par les Algériens des deux côtés de la Méditerranée, ont d’ailleurs retrouvé une seconde jeunesse avec internet où sur YouTube où sa chanson emblématique «Algérie mon beau pays» cumule près d’un million de vues.
Ouali Azem : le grand frère député exilé à Montaigu-de-Quercy
Partisan de l’Algérie française, le grand frère de Slimane Azem, Ouali fut tour à tour président de la fédération des maires de Kabylie (1958), vice-président du comité de salut public de l’Algérie au côté du général Massu et enfin député français de Tizi-Ouzou jusqu’à l’Indépendance. Date à laquelle, contraint de quitter l’Algérie devenue indépendante, il décide de s’installer avec ses trois frères comme agriculteur en Tarn-et-Garonne. «C’est auprès d’un libraire de Montaigu-de-Quercy, M.Beldio, se souvient son fils Bruno, que mon père a trouvé le petit château de La Marugue-basse qu’il a acheté.» Durant des mois toute la famille Azem – les oncles, tantes et neveux – y est réunie. En 1963, sur les conseils de son grand frère, Slimane qui cherche du calme pour continuer à écrire ses chansons, achète sa ferme dans la cote Saint-Laurent, à Moissac. Dans les années soixante-dix, Ouali Azem vend sa propriété de Montaigu-de-Quercy et se replie à Montauban où il décède, en 2002, à 89 ans non sans avoir fondé un comité de défense des agriculteurs rapatriés et prit la présidence du cercle algérianiste de Montauban.
Visible sur les sites en ligne de vidéos et jadis sur les écrans des juke-box, le clip ou le scopitone, comme l’on disait à l’époque, «Madame, encore à boire» signé S. Azem, a été tourné dans un café de Moissac. C’est, en effet, au Lutosa, place des Récollets, que le chanteur kabyle a réalisé ce film où l’on aperçoit, chose rare, son épouse Lucienne qui joue le rôle d’une serveuse. Dans ce court-métrage de près de quatre minutes où S. Azem joue un client passablement éméché qui réclame un autre verre à la serveuse, l’artiste se fait le héraut de la misère sociale et affective de ses compatriotes. Des immigrés qui vivent seuls loin de leur famille et de leur pays, et qui s’adonnent à la boisson pour oublier leur sort. Une expérience que connu Slimane lorsqu’avec son frère, il travailla, à 19 ans, à Longwy dans les usines sidérurgiques.
Un «clip» vidéo tourné au Lutosa in memoria
Le 28 janvier prochain, la famille et les fans du poète célébreront le 31e anniversaire de sa disparition. Son neveu Bruno Azem qui vient de réaliser une expo sur son oncle et qui vient de s’achever à Paris, ne désespère pas qu’à cette occasion celle-ci trouve également sa place à Moissac. «Au vu de la célébrité toujours vivante de Slimane dont la tombe est la plus visitée du cimetière de Moissac, nous souhaiterions que la ville nous accompagne dans ce projet et pourquoi pas lui dédier un espace permanent…» Une requête à laquelle Jean-Michel Henryot ne serait pas insensible, lui qui fut son médecin jusqu’à son décès en 1983.
Max Lagarrigue.
____________________________________________
Le malaise incommensurable des plus démunis
la ville a du mal à respirer en ce moment. C’est le mois de juillet mais le soleil est presque absent à Paris. La venue de nombreux dirigeants politiques du monde pour le sommet de l’Union Pour la Méditerranée fait chambouler les plans de circulation dans cette merveilleuse cité, capitale mondiale de la culture.
Sécurité oblige, le parcours de nombreux bus est dévié. Mais Paris ne vit pas uniquement pour cette rencontre politique dont on sait d’avance l’incertitude de ses résultats. Paris est plutôt une halte incontournable pour les artistes et les rêveurs. Brahim Saci en fait partie. Avec sa guitare en bandoulière, il ne cesse de parcourir les nombreux bistrots algériens, après son travail au service culturel de la mairie de Paris. Universitaire, Brahim Saci a fait l’ensemble de sa scolarité à Paris mais il est resté toujours à l’écoute de ce qui se passe en Algérie, son pays natal. C’est au début des années 90, qu’il enregistra son premier album de musique chaâbie. Sur les traces de son idole de toujours, Slimane Azem, il séduit de nombreux mélomanes, de création en création. Quand on écoute Brahim Saci chanter, on a l’impression d’entendre Slimane Azem, excommunié des médias algériens durant de longues années. La poésie de Brahim Saci, écrite en kabyle et en français, est limpide et profonde ; elle raconte la réalité de l’immigration et de l’Algérie sans aucune tricherie. Elle est à l’image de l’homme qu’il est : un être sensible et généreux, essayant tout le temps d’aider les uns et les autres. Brahim Saci est aussi un grand lecteur : son appartement dans le 20eme arrondissement de Paris est plein de livres. Tout ce qui s’écrit sur l’Algérie, on peut le trouver chez lui. Brahim Saci est conscient des malheurs de l’exil. Loin des siens, la solitude est souvent amère. «Ne me comprennent que ceux qui ont marché sur mes pas… Il y a une nécessité de dire pour ne pas sombrer. Aborder l’art avec amour car seul ce sentiment permet de le saisir», me dit-il. Brahim Saci revient périodiquement en Algérie. Mais il est parfois triste de constater la perte de certaines valeurs dans le pays de ses ancêtres : comme le manque de solidarité, la course effrénée vers l’argent facile ou encore le malaise incommensurable des plus démunis. Le plus grand souhait de Brahim Saci, c’est de voir une société civile autonome s’attaquer aux vrais problèmes. Ce souhait de l’artiste est certainement partagé par une foule d’individus.
Youcef Zirem
Algérienews du 14 juillet 2008
______________________________________________________________________
Exil éternel de Brahim Saci
De l’exil à la soif identitaire…..
L’universitaire-chanteur Brahim Saci -dont le site : brahimsaci.com a atteint son pic de consultations suite au radar du journal Liberté vient de sortir un double album : Exil éternel, un hommage à Da Slimane Azem et Crâa traitant de la fracture sociale en Algérie et son impact sur les ressortissants. C’est la première fois qu’il produit en Algérie, une manière à lui de se sentir proche d’un public artisan des événements du printemps noir. Cet artiste, apprécié dans les milieux intellectuels en France, milite sans cesse pour un rapprochement culturel entre les acteurs de la scène artistique, algériens et français. Même si l’auteur compositeur Brahim Saci a grandi au sein de l’immigration, il ne cesse d’immortaliser le charisme et le message des grands auteurs, tels Slimane
Azem, Si Muhand u Mhend, Mammeri, El-Anka et Matoub.
Par HOCINE Nait Aissa
Liberté 2003
________________________________________________________________________
Quand Saci revisite Azem
CHANSON KABYLE EN FRANCE
Auteur-compositeur et chanteur d’expression franco-berbère, Brahim Saci a su donner une dimension universelle à l’héritage poétique et musical de l’un des piliers de la chanson kabyle, Slimane Azem, qu’il compare à Baudelaire.
Refusant d’être qualifié d’artiste beur, Saci s’est distingué sur le champ de la poésie en remportant plusieurs prix. Son admiration pour Slimane Azem n’est pas fortuite : il puise dans les poèmes chantés par le chanteur d’Agouni Gueghrane de précieuses références et valeurs qui fondent la culture amazigh ainsi que des traits de génie authentique. Actuellement, Saci travaille dans un conservatoire parisien et continue à produire. Il est possible de connaître davantage ce prodige en consultant son site (www.brahimsaci.com) et en téléchargeant gratuitement ses chansons en MP3.
Farid Belgacem
Liberté 10 Avril 2003
_______________________________________________
Revue SALAMA Mai Juin 2002
BRAHIM SACI
Sa voix est grave et tumultueuse, avec un brin de sensualité bercée par sa langue maternelle aux couleurs de la Kabylie. une musique revendicatrice par laquelle Brahim Saci rapelle quelques principes de notre passé culturel et traditionnel dans son nouvel album L’aire du temps.
Sortie en mai chez SB Production. Distribution Méditerranée Presse.
Revue SALAMA Mai Juin 2002
Karim ILEN
_________________________
Entretien avec Brahim SACI
V. Thibert: Brahim Saci, pouvez-vous nous parler un peu de vous? Comment se fait-il qu’un jeune arrivé en France à l’âge de 11 ans s’intéresse à ce qui se passe en Algérie? Nous voyons beaucoup de jeunes qui sont nés ou vivent en France depuis l’enfance qui ne maîtrisent pas très bien ou pas du tout le Kabyle, comment faites-vous?
B. Saci : Eh bien… j’espère que mon cas servira d’exemple. Il est vrai qu’avec la scolarité nous perdons notre langue natale, mais pour ma part, je l’ai en quelque sorte redécouverte, surtout avec quelques auteurs qui m’ont beaucoup marqué. Je veux parler de Mouloud Mammeri, de Mouloud Feraoun… quant à Slimane Azem, ce poète génial, il m’a ouvert les portes de l’art et m’a appris à aimer la langue Kabyle, pour laquelle il a sacrifié sa vie.
V. Thibert : Oui… mais il est tout de même étonnant qu’un jeune de la deuxième génération hors de la génération de Slimane Azem suive le chemin des anciens. Je veux dire par là que la plupart des jeunes s’intéressent plus au rythme, à la musique et à la danse, mais vous, vous vous intéressez plus à la mélodie en donnant une très grande place au texte.
B. Saci : Je trouve qu’il est assez normal que les jeunes s’intéressent à la musique et à la danse car c’est une période de la vie très importante, ils auront tout le temps pour s’intéresser à autre chose. Il ne faut pas les blâmer, à chaque âge sa sensibilité. Dans mon cas c’est surtout les études qui m’ont poussé à écrire et à approfondir un peu plus ce que j’écris. Vous savez la langue berbère est une langue très riche et elle mérite qu’on s’y intéresse de très près. D’ailleurs j’ai suivi quelques cours de berbère à l’université Paris VIII, pour pouvoir la transcrire.
V. Thibert : Oui, mais tous les universitaires ne deviennent pas auteurs compositeurs interprètes. Qu’est-ce qui vous a vraiment poussé à embrasser la voie de l’écriture et de la création?
B. Saci : L’Université ne fabrique pas seulement des enseignants ou des fonctionnaires, mais aussi heureusement des poètes et des écrivains. Quoi que poète c’est plus un état d’être, les études peuvent seulement aider à sa prise de conscience. La découverte du poète allemand Rilke (1875-1926) dans son livre Lettre à un jeune poète, m’a définitivement renforcé dans mon envie d’écrire, cette envie qui s’imposait chaque jour un peu plus. Rilke écrivait, » Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre coeur… Votre vie jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide doit devenir signe et témoin d’une telle poussée… Le créateur doit être tout un univers pour lui-même, tout trouver en lui-même et dans cette part de Nature à laquelle il s’est joint. » Dans Paris où que je sois, dans les quartiers, sur les quais de la Seine, les ombres de Si Mohand ou Mhand, d’Apollinaire, de Baudelaire et de Slimane Azem, ne me quittent jamais et m’accompagnent comme des amies éternelles. On me pose souvent la question, pourquoi j’écris des chansons bilingues, la réponse est simple en vérité: maîtrisant parfaitement les deux langues (le kabyle et le français), j’écris dans les deux langues. C’est une grande chance mais je vous avouerais que souvent, lorsque j’écris en kabyle je pense en français, mais quand j’écris en français je pense des fois en français mais souvent en kabyle. Ce n’est qu’une richesse de plus, j’ai quelques textes en anglais aussi mais cela est une autre histoire. En fait je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la traduction même si j’ai une formation de traducteur, comme disait Marguerite Yourcenar (1903-1987), » Les poèmes traduits ne sont que des colombes auxquelles on a coupé les ailes, des sirènes arrachées à leurs éléments natals, des exilés sur la rive étrangère qui ne peuvent que gémir qu’ils étaient mieux ailleurs. »
V. Thibert : Slimane Azem vous a beaucoup influencé, vous lui ressemblez beaucoup.
B. Saci : Je ne le fais pas exprès, mais c’est une grande fierté pour moi. Ma musique comme la sienne tire sa source du folklore kabyle et du chaabi (musique populaire algérienne). Slimane Azem est le seul qui a su le mieux décrire les sentiments collectifs de l’époque, il fut le porte-parole de tout un peuple pendant près d’un demi-siècle. La beauté du verbe que j’ai rencontré chez Baudelaire, je l’ai retrouvée chez Slimane Azem. Mais Slimane Azem avait quelque chose de plus car il était une légende de son vivant, il était un grand philosophe et un grand visionnaire.
V. Thibert: L’avez-vous découvert par ses chansons ou bien l’avez-vous approché et côtoyé?
B. Saci : Je n’ai pas eu cette chance et je le regrette beaucoup. J’avais 18 ans quand il est mort.
V. Thibert : Puisque vous ne l’avez pas rencontré, avez-vous cherché à rencontrer des gens qui l’ont connu et travaillé avec lui?
B. Saci : Oui, évidemment. Et j’ai eu beaucoup d’encouragements. J’ai découvert qu’il était aussi grand par son talent que par sa modestie. Il était vraiment génial, il aimait tous ses frères kabyles, et puis il était un artiste complet. Il excellait aussi bien dans l’art de la métaphore que dans l’art de la comédie. Lui et Cheik Norredine étaient des dramaturges remarquables. J’ai eu la chance de rencontrer des amis de Slimane Azem, on mesure très bien la grandeur du poète car quand ceux-ci parlent de lui, c’est à chaque fois les yeux pleins de larmes. Un jour de 1995, je marchais dans la rue dans le dix-septième arrondissement de Paris quand un homme me tape discrètement sur l’épaule. Je me retourne, et je vois un vieil homme. Il me prend affectueusement dans ses bras et me dit: » Vous êtes Brahim Saci, je suis heureux de vous voir, je vous ai reconnu pour vous avoir vu dans un spectacle. Moi je suis un ami de Slimane Azem. » Très ému il me proposa un café que j’acceptais avec plaisir. Il me dit: » Ah! mon fils, si Slimane t’avait connu, il t’aurait sûrement légué sa ferme à Moissac. Il cherchait en vain un garçon intelligent comme toi, il aurait fait de toi son héritier. Ta ressemblance avec lui est une bénédiction. « Je lui proposais alors d’aller rendre visite à la femme de Slimane Azem à Moissac. Il me dit qu’il allait d’abord l’appeler pour lui demander si elle acceptait de nous recevoir. Une semaine après, je l’ai eu au téléphone, il me dit: » J’ai bien téléphoné à Malika Azem, mais elle m’a dit qu’elle était souffrante et qu’elle n’était pas prête à nous recevoir. Nous irons quand elle ira mieux. » Le temps a passé, Lucienne Azem mourut en 1996, paix à son âme. J’avais pourtant essayé d’aller la voir avec Mouloud Azem en 1993-1994, mais on remettait toujours le voyage à un autre jour, le destin en a voulu autrement, nous n’y sommes jamais allés. La ferme fut vendue à des paysans français du coin. Aucune association berbère ne s’y est intéressée, sinon elles l’auraient achetée, et la maison de Slimane Azem serait aujourd’hui un musée pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Hélas! Le destin en a voulu autrement, qui aurait cru qu’un jour la maison du grand Slimane Azem serait achetée par des paysans français. Les souvenirs, tout ce qu’a laissé Slimane seraient-il donc à jamais perdu? Ses trois hectares de terres qu’il aimait tant cultiver, où il a sans doute composé ses plus belles chansons, les arbres qu’il a greffé avec des greffons qu’on lui a apporté de chez lui en Kabylie? Ainsi est le destin tragique du poète. Puisse-t-il un jour reposer dans sa terre pour laquelle il a sacrifié son existence?
Interviewer : Vous dites dans vos chansons que le chemin des arts est épineux. Est-ce que vous avez les moyens d’affronter les obstacles?
B. Saci : Les obstacles nous les rencontrons tous les jours, mais moi, j’ai de la chance car les obstacles je les affronte avec ma plume.
V. Thibert : Puisque vous êtes en France depuis l’enfance, vous sentez-vous » beur » et que pensez-vous de tous ces mouvements associatifs des années 80 ?
B. Saci : » Beur « , pas du tout! Pour moi cela ne veut rien dire, je hais les étiquettes. Tous ces jeunes des banlieues issus de l’émigration, souffrent assez de l’indifférence et de l’exclusion qui touchent les plus pauvres, pourquoi rajouter à la fracture sociale en les marginalisant un peu plus par cette appellation absurde? Je regrette l’instrumentalisation politico-médiatique qui a été faite autour des » beurs « , c’était une manière pour les politiques de se dédouaner pour ne pas s’attaquer aux véritables problèmes de la société et des » banlieues ghettos « : l’échec scolaire, l’éducation, la formation, la précarité, le chômage et l’exclusion. Ce n’est pas aux associations de gérer le malaise social, elles peuvent aider si on leur en donne les moyens, c’est tout.
V. Thibert : Vous-même, avez-vous connu le racisme, la discrimination?
B. Saci : Eh bien oui… j’ai justement quelques anecdotes à vous raconter. Quand on est enfant, innocent, on pense qu’on est comme tous les autres enfants, les origines des parents n’entrent pas en jeu. Mais malheureusement, ce sont les autres qui vous font sentir la différence.Je me souviens, j’avais 12 ans, je jouais dans la cité, lorsque je me suis disputé avec un enfant, ce qui paraît anodin quand on est enfant. La grand-mère de celui-ci crie de le fenêtre par ces mots: » Rentres dans ton pays! « . L’enfant me regardait avec des gros yeux, ne comprenant pas sa grand-mère, car pour lui il n’y avait pas de différence. Alors ma tante a rétorqué par ces mots: » Il est chez lui, et on compte bien rester au moins 130 ans, comme vous en Algérie! » Je me souviens que grâce à cette réponse, je me suis sentit mieux et je me suis dit, » Moi aussi je suis chez moi, cette femme est simplement méchante. «
V. Thibert : Quand vous êtes arrivé d’Algérie, avez vous suivi une scolarité normale ?
B. Saci : Quand je suis arrivé d’Algérie en 1976, je ne maîtrisais pas le français, car en Algérie l’enseignement est fait en arabe qui est de surcroît une langue étrangère pour moi. Mais je suis quand même rentré en CM2, et j’ai suivi une scolarité normale. Quand j’y pense, cela tient du miracle. Mais j’ai eu la chance d’avoir une institutrice remarquable, madame Chariot, et un directeur exceptionnel, monsieur Dalarun, un grand homme toujours à l’écoute des autres. Je tiens à leur rendre un vibrant hommage pour la patience et l’écoute qu’ils ont eu à mon égard. J’ai eu de la chance de croiser un jour monsieur Dalarun dans le métro, nous avions échangé quelques mots, je me souviens combien il était heureux d’apprendre que j’étais à l’université. Mais quand j’étais en Kabylie au village, j’avais fait 3 ans de français comme langue étrangère. J’avais un instituteur de français tout aussi remarquable, monsieur M. Mouhoune, un homme d’une culture immense. J’ai pour lui une grande admiration, j’ai rencontré peu d’universitaires qui avaient sa maîtrise de la langue française. Je me souviens d’une lettre qu’il m’a écrite, je devais avoir 12 ou 13 ans. Il écrit: » Brahim, je sais ton déchirement loin du village et de la famille, mais tu es dans le pays des Lumières, ouvres tes yeux Si Brahim ! » Ces mots résonnent encore dans ma tête. Vous savez je n’aime pas beaucoup les bibliothèques car quand j’y rentre il faut me sortir par la force tant je suis assoiffé de savoir. Pourtant plus je sais, plus je me dis que je ne sais rien.
V. Thibert : Et au collège comment ça c’est passé?
B. Saci : Donc de l’école primaire Eugène Varlin, je suis passé au collège Gustave Courbet. Vous allez voir que parfois la scolarité peut être un parcours du combattant. La sixième s’est bien passée, je suis parti en vacances en Kabylie, mais voilà qu’à cause d’un problème d’autorisation paternelle, je ne suis revenu en France qu’en octobre, et l’année de cinquième s’est très mal passée. Ayant accumulé un retard au départ je n’ai pas pu le rattraper. J’avais alors un professeur principal qui s’acharnait contre moi pour que j’aille en apprentissage, pour apprendre un métier, on m’avait conseillé la plomberie. C’est une politique qui a toujours cours. Dès qu’un enfant issu de l’émigration a des difficultés scolaires on l’oriente vers des voies de garage. Bien que n’ayant jamais redoublé, le professeur en question ne voulait rien entendre, elle avait tout fait pour me convaincre d’accepter. J’avais évidemment refusé, j’avais demandé le redoublement. Bien qu’elle s’y soit farouchement opposée, le conseil de classe a accédé à ma requête. L’année d’après fut une réussite totale. Je me rappelle que lorsque je croisais ce professeur dans la cour, elle rougissait et essayait de m’éviter. En troisième, j’avais de bons résultats, surtout dans les matières littéraires. J’avais réussi le Brevet des Collèges, mais quand j’ai demandé à passer en seconde, le professeur d’histoire-géographie a usé de tous les moyens pour que j’aille en apprentissage, en me disant par exemple, » Si tu apprends un métier tu gagneras de l’argent « . Elle insistait sur l’argent, elle savait que je venais d’un milieu ouvrier. Mais je suis quand même passé en seconde.
V. Thibert : Donc là, vous arrivez au lycée Paul Eluard à Saint-Denis.
B. Saci : Eh bien, là encore, un professeur de français s’était opposé à monpassage en première littéraire et ceci malgré mes bons résultats en anglais et en allemand. En ce qui concerne le français elle s’est débrouillée pour toujours me mettre 8, à chaque dissertation j’avais 8, j’étais désemparé. J’avais gardé contact avec un surveillant du collège quipréparait une thèse. Je l’ai appelé et lui ai raconté ma mésaventure.Il accepta de travailler avec moi la prochainedissertation. Monsieur P. Gervaise et moi, nous nous sommes retrouvés dans un café à Pierrefitte, une amitié profonde était née entre nous, il m’avait si souvent soutenu scolairement. J’ai donc rendu la dissertation qu’on avait travaillé ensemble, à ma grande surprise, la note n’avait pas changé, j’avais eu 8, et le professeur de français avait souligné tout un passage, hors sujet. Mon ami Patrick voulait la rencontrer, mais je ne voulais pas d’histoires. Il était évident que c’était du racisme. Je me rappelle d’un copain au collège qui me disait: » J’aimerais t’inviter chez moi, mais mon père est raciste. » Bon, ne nous égarons pas, je disais…
V. Thibert : Vous disiez que le professeur de français malgré l’aide de votre ami qui préparait une thèse vous a mis 8, la note habituelle.
B. Saci : Je n’ai pas pu faire une première littéraire. Je suis passé en première G, une section à mauvaise réputation, qu’on appelait la classe des dépotoirs. J’ai passé une année de souffrances, mais j’ai continué à avoir de bons résultats dans les matières littéraires. Ayant eu un troisième prix au concours de poésie organisé par le lycée, je me suis rapproché du professeur de français, laquelle m’appréciait beaucoup, je lui ai alors confié mes soucis tout en lui demandant d’appuyer ma demande de passage en terminale littéraire. Elle m’avait dit que le cas était nouveau mais qu’elle allait plaider ma cause au conseil de classe. Au dernier conseil de classe, on m’a demandé de venir m’expliquer. On m’avait proposé un redoublement en première littéraire, ce que je ne pouvais accepter. J’avais réussi à convaincre le conseil de classe, en acceptant d’assumer les difficultés, promettant de repasser le bac de français avec succès et de décrocher le bac général littérature, philosophie, langues. Ils m’avaient dit que si je réussissais mon cas servirait d’exemple pour d’autres mal orientés. J’ai donc réussi mon pari en décrochant le bac. A mon plus grand bonheur j’ai passé le berbère au bac, et ceci en 1986, comme option facultative. J’avais présenté un texte que j’avais écris sur l’exil, j’avais dis à l’examinateur qu’il s’agissait d’un texte de Slimane Azem. Après l’épreuve, il m’a dit, » Tu mérites 20, ça ne te dérange pas si je te mets 19? » J’étais heureux, je lui ai alors avoué que le texte était de moi, et il m’a conseillé de continuer à écrire et de penser à éditer mes poèmes.
V. Thibert : Votre parcours est tortueux et en même temps fascinant. Au niveau des loisirs, est-ce que vous sortiez beaucoup?
B. Saci : J’allais souvent au cinéma, j’aimais beaucoup dessiner, quant aux discothèques je n’y avais pas accès à cause de mes origines, seuls ceux qui n’étaient pas typés y avaient accès. Quand j’y allais avec des copains français j’étais systématiquement refoulé, c’était une grande souffrance morale, mes copains ressortaient tous de là avec une petite
copine. Tant de mépris favorise la formation de bandes ethniques et la discrimination peut conduire à la révolte et à la violence. Devant les discothèques on me disait souvent, » Interdit aux beurs! » Comment voulez-vous accepter cela? Moi j’avais la chance de pouvoir me réfugier dans les livres et la poésie. J’ai connu des jeunes que la discrimination a poussé à commettre de graves erreurs que certains ont payé de leurs vies. Je me rappelle en 1986, j’étais en train de discuter avec une copine, une très belle fille blonde, il était environ 23h, devant chez elle à Paris dans le vingtième arrondissement, lorsqu’une voiture arrive à grande vitesse. Elle s’arrête devant nous, quatre personnes sortent, agressives, se dirigent vers moi: » Police, vos papiers! « . Ils me fouillent et j’éclate de rire, » Pourquoi riez-vous? « , je réponds: » Je ne savais pas que je représentais une menace, vous m’avez vu avec une jolie fille et pour m’humilier devant elle vous usez de provocations en me bousculant, votre rôle est de nous protéger pas le contraire ! » A ce moment là, la fille avec qui j’étais s’énerve et menace de porter plainte contre les agents, alors ceux-ci nous quittèrent en nous souhaitant une bonne soirée. Une autre fois, au quartier latin des copains d’origine algérienne étaient à la terrasse d’un grand café, accompagnés de suédoises, l’un d’eux venait de Suède, quand deux policiers en civil s’approchent et les contrôlent. L’un d’eux leur donne un passeport suédois et les menace de porter plainte à son ambassade, alors ceux-ci s’excusèrent avant de s’en aller. Les années 80 et les années 90 ont été rudes. En 1995, un ami français chanteur de rock, devait se produire avec son groupe dans une discothèque parisienne très connue. Il m’a remis un
carton d’invitation et je lui ai donné rendez-vous devant la discothèque car j’avais prévu le coup, je savais que j’allais être refoulé. J’étais bien habillé et accompagné, mais lorsque nous nous sommes présentés à
l’entrée, le chanteur et ma compagne passent et moi je suis refoulé. Un videur me dit, » On n’accepte pas les beurs, désolé on a reçu des consignes, avec carton d’invitation ou pas! » Alors le chanteur revient sur ses pas, s’énerve et leur dit: » Comment sa copine passe et pas lui? Je suis le chanteur de la soirée, maintenant vous le laissez passer! » Moralement c’était dur à encaisser. Je garde quand même l’espoir car les mentalités évoluent.
V. Thibert : Vous avez raison, seul le temps peut effacer les préjugés.
B. Saci : Le temps et la bonne volonté. Les années 90 ont vu disparaître beaucoup d’hôtels meublés appartenant à des algériens kabyles, à Paris. Les locataires, kabyles pour la plupart, étaient des ouvriers qui y habitaient depuis 20-30 ans. Mais voilà que les hôtels étaient achetés par la mairie de Paris et souvent les locataires se retrouvaient à la rue, expulsés. Ces opérations étaient comprises dans un plan d’urbanisme de la ville de Paris. Les kabyles étaient jetés à la rue, sans qu’aucune association berbère ne bouge ou apporte son soutien. Je fus le délégué des habitants d’un hôtel meublé dans le vingtième arrondissement. Le propriétaire avait vendu sans se soucier des locataires, lesquels un à un recevaient des lettres d’expulsion. J’ai alors sollicité l’aide du D.A.L. (association Droit Au Logement), qui nous a apporté une aide précieuse. L’affaire a duré trois ans en justice mais s’est terminée par un succès avec le relogement de ceux qui se sont battus jusqu’au bout. Je fus invité à plusieurs reprises à la radio Paris Plurielle, à l’émission Sans toit je meurs, animée par Marc B. du D.A.L., où j’ai dénoncé les pratiques inhumaines qui consistaient à jeter les gens hors de leur logement. Je rends hommage à tout le travail du D.A.L. qui a permis à des milliers de personnes de retrouver une dignité en accédant à un logement décent. Tout particulièrement à feu Maître François Breteau, qui fut leur avocat, décédé en août 1998, cet avocat génial, qui a beaucoup fait avancer le droit au logement. Je l’avais rencontré un mois avant sa mort, je devais le rappeler pour qu’on mange un couscous rue de Buzenval dans le XXè. Je lui avais offert un de mes albums, et une amitié était née entre nous, et puis il avait tant fait pour les kabyles en les aidant à ne pas perdre leur dignité. Grâce à son travail avec l’association Droit Au Logement, des centaines d’algériens ont pu accéder à un logement décent. Cet ami des pauvres reste à jamais dans nos coeurs et notre mémoire, qu’il repose en paix.
V. Thibert : Comment se passe la vie professionnelle?
B. Saci : Je ne vis pas de la chanson, même si mes chansons ont reçu un accueil favorable par le public. La vie d’artiste est semée d’embûches, ce n’est pas facile. L’année 1998 fut une année terrible pour moi. La mort de Matoub m’avait effondré, je l’avais rencontré quelques temps avant sa mort dans un café qu’il fréquentait dans le XVIIIè. Il me disait combien sa vie était liée à la langue berbère et à sa Kabylie natale. Il me disait qu’il ne craignait rien en Kabylie, c’était chez lui et il s’y sentait en sécurité. Hélas ! L’obscurantisme et la barbarie ont eu raison de lui. J’étais très affaibli, abattu, je n’étais que l’ombre de moi-même. Dans ces moments difficiles je me suis rendu compte ô combien j’étais seu l! Le coeur meurtri, trahi en amour et en amitié, j’étais seul. Mon désarroi a entraîné le chaos autour de moi. Ceux que je croyais proches s’éloignaient. Ne dit-on pas que les poètes sont maudits?
V. Thibert : Quel est à votre avis le rôle du poète?
B. Saci : Le poète est avant tout un observateur, il est le témoin privilégié d’une époque, il sait saisir le sens caché des choses, il est la parole libre et vraie, il doit se lever contre toutes les formes d’injustices.
Charles Baudelaire écrivait: » Le poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêche de marcher. » En kabyle le poète c’est celui qui éclaire. Stéphane Mallarmé (1842-1898) écrivait: » Le poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef. »
V. Thibert : Donc, maintenant vous connaissez le prix de la solitude…
B. Saci : Jean de la Fontaine (1621-1695) écrivait: » Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami; mieux vaudrait un sage ennemi. » Je sais maintenant que mon seul véritable ami est mon poème, et le véritable amour c’est celui qui me lie à mon art.
V. Thibert : Comment vivez-vous le drame algérien?
B. Saci : Très mal, mais je reste optimiste, les algériens sont un grand peuple, l’histoire l’a démontré. Je pense que toutes les luttes finissent par aboutir, et des nuages le soleil finit toujours par sortir. L’Algérie évoluera dans la démocratie et son identité amazighe. Après tant de sacrifices on ne peut qu’avancer et déchirer les brumes. Il faut honorer la mémoire de ceux qui sont tombés victimes de la répression. La lutte pacifique des kabyles pour la démocratie et l’officialisation de la langue tamazight est tellement admirable. Cette lutte permettra à tout le peuple algérien de retrouver sa vérité et sa dignité.
V. Thibert : Que pensez-vous de l’autonomie de la Kabylie, idée lancée par Salem Chaker en 1998 et reprise par Ferhat Mhenni le 05/06/2001, en créant le MAK (Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie)?
B. Saci : C’est sûrement une bonne idée pour une meilleure gestion de la région car on a vu les limites de l’état centralisateur, mais seulement si les conditions sont réunies, c’est-à-dire dans une démocratie. N’oublions pas que les pays qui ont un fédéralisme exemplaire sont de grandes démocraties. Des exemples d’autonomies régionales de pars le monde ont prouvé que l’autonomie régionale n’est pas une menace pour l’unité nationale. Mais au contraire, un élément stabilisateur comme le montre les modèles espagnol, belge, italien, suisse, canadien et allemand. Je rends hommage aux » Archs » lesquels contre vents et marées luttent pour l’acceptation de la plate-forme d’El-Kseur dans son intégralité.
V. Thibert : Il y a beaucoup d’associations berbères en France, qu’en pensez-vous ?
B. Saci : C’est une très bonne chose mais la plupart fonctionnent comme elles peuvent, rares sont celles qui ont des subventions de l’état. Il est regrettable que certaines associations qui ont les moyens ne soutiennent pas d’avantage la création artistique. Elles trahissent le but culturel auquel elles sont destinées en fonctionnant de manière tribale, il faut faire partie du clan pour qu’on s’intéresse à vous. Mais je garde l’espoir car les mentalités évoluent.
Interviewer : Maintenant, les berbères ont leur télévision, qu’en pensez-vous?
B. Saci : C’est tout simplement génial et j’espère qu’il y en aura d’autres car c’est la condition pour la qualité. Je souhaite à BRTV une longue vie car pour le moment c’est bien le seul espace ouvert à toute la création artistique. C’est véritablement un instrument de promotion de notre culture amazighe. Et tous les berbères ont le devoir d’y adhérer car il faut lui donner les moyens de se construire.
V. Thibert : La langue berbère pour des raisons historiques manque de termes abstraits, que pensez-vous des néologismes?
B. Saci : Je pense qu’il faut se méfier des néologismes tant que tamazight n’est pas officialisée, car c’est seulement là qu’on lui donnera les moyens de se construire. Si ces conditions sont réunies, les linguistes pourront faire des recherches approfondies. Certains néologismes utilisés aujourd’hui pourraient alors s’avérer faussés.
V. Thibert : Je sais que vous vous produisez vous-même. Pourquoi l’autoproduction? Est-ce que cela veut dire que vous avez du mal à percer?
B. Saci : L’avantage c’est d’être indépendant même si cela a sa part de difficultés et souvent de marginalité. L’inconvénient est qu’on ne peut pas trouver mes produits partout, c’est le prix à payer si l’on veut garder sa liberté de création et ne pas entrer dans les filières conventionnelles de publicité et de promotion. Ce site internet me
permettra de toucher tant d’horizons, l’internet est un outil extraordinaire et sans frontière. Quant à percer je ne me pose même pas la question et cela m’est égal en vérité. Je suis un poète, j’écris, je compose, voilà tout! Quant à ceux qui se demandent pourquoi je suis tant attiré par la musique traditionnelle, je le fais car c’est la source, et c’est seulement là que je me désaltère. Je le fais sans complexe. Il ne faut pas oublier que l’avenir se construit avec la connaissance du passé.
V. Thibert : Alors qu’est-ce qui vous motive?
B. Saci : Ce n’est ni l’argent, ni la célébrité, ni la gloire. Je tire l’inspiration de mon vécu, d’une quête intérieure, je sème des poèmes libres, bravant parfois les tempêtes. J’écris en kabyle et en français, je mets ces deux langues sur un même plan d’égalité. Les deux sont pour moi langue du coeur et de l’esprit.
V. Thibert : Quel regard portez-vous sur la chanson kabyle d’aujourd’hui?
B. Saci : Je porte un regard plutôt positif malgré un individualisme grandissant qui est lié plus au matérialisme et à la société de consommation. Il y a malheureusement peu de manifestations culturelles. Les galas que l’on a l’habitude de voir à Paris sont plus des galas » business « , des galas de divertissement. Ce qui me révolte c’est de voir certains individus sans scrupule portés par l’appât du gain ou suivant une certaine mode éphémère, contribuer à asphyxier leur culture en ne montrant que la partie folklore. On a habitué les gens à ne venir que pour danser, transformant ainsi ces rencontres en pistes de danse. Il est regrettable que certains se prennent pour des » stars » oubliant que la langue tamazight dans laquelle ils chantent lutte pour sa survie, ces comportements sont heureusement assez rares. L’art doit se préserver. Il y a maintenant une prise de conscience, les mentalités ne peuvent qu’évoluer. Il y a beaucoup de créateurs, ce qui montre que la langue tamazight est plus que jamais vivante. Mais malheureusement très peu d’artistes arrivent à vivre de la chanson.
V. Thibert : Il est vrai que beaucoup d’artistes ont un travail parallèle car il est difficile de vivre de son art.
B. Saci : Oui, c’est le cas pour l’art en général. mais vous savez nous avons peu de moyens de promotion.
V. Thibert : Vous faîtes un constat assez pessimiste !
B. Saci : Oui mais c’est en décrivant les choses telles qu’elles sont qu’on évoluera. En plus, il est difficile d’avoir accès aux médias français, ce sont eux qui rémunèrent. Les médias franco-maghrebins ne rémunèrent pas car eux-mêmes ont souvent très peu de moyens. Rares sont les artistes
kabyles qui perçoivent des droits d’auteurs. Il faut saluer le courage des artistes qui continuent à créer malgré d’immenses difficultés.
V. Thibert : Où écrivez-vous?
B. Saci : J’aime beaucoup flâner dans Paris, les deux rives, Ménilmontant… J’aime écrire dans les cafés, ce sont des endroits où on peut observer des gens de différentes couches de la société, où chacun y laisse un peu de son vécu. J’aime les cafés populaires car je m’y sens bien. J’écris surtout la nuit car la nuit est l’amie des poètes.
V. Thibert : Vous avez aussi écrit deux petites pièces, deux sketchs qui se déroulent dans un café. Slimane Azem l’a aussi fait. L’avez-vous fait pour lui ressembler?
B. Saci : Non, la raison principale est mon intérêt pour le théâtre et la comédie. J’ai beaucoup d’admiration pour Slimane Azem mais aussi pour Fernand Raynaud (1926-1973), Fernandel (1903-1971), Bourvil (1917-1970) et Raymond Devos (né en 1922). Quant aux cafés, ce sont des lieux de rencontres idéals, sans discrimination, les gens sont naturels, chacun apporte sa différence. Slimane Azem excellait dans l’écriture de sketchs, je n’ai pas la même prétention. Mais écrire des sketchs m’amuse beaucoup. On peut rire de tout, même des sujets les plus graves. Le comique permet souvent de mieux faire passer un message.
V. Thibert : Merci pour cet entretien, on a découvert votre chemin si tortueux.
B. Saci : Je ne suis qu’un bohème, et les vents me giflent ça et là, dans Paris je sème des poèmes en kabyle et en français. Ainsi va notre existence.
Entretien réalisé par V. Thibert
A Paris, le 19 octobre 2002.
______________________________________________________________________
Brahim Saci, chanteur
Quand la terre natale fait parler un poète
Sur les traces de l’immense chanteur Slimane Azem, le poète écrit sur l’exil et ses tourments. L’auteur de « Lmoudja » (La vague), décrit les peines de toutes les personnes qui vivent loin de la terre qui les a vu naître et grandir.
Auteur, compositeur et interprète, Brahim Saci est l’un des plus grands chanteurs kabyles. Ses textes très poétiques, chantés en Kabyle ou en Français, nous bercent et nous ouvrent les yeux pour voir la vie autrement. Sur les traces de l’immense chanteur Slimane Azem, le poète écrit sur l’exil et ses tourments. L’auteur de « Lmoudja » (La vague), décrit les peines de toutes les personnes qui vivent loin de la terre qui les a vu naître et grandir. L’être humain est toujours lié au pays natal. On peut être riche et goûter à tous les plaisirs de la vie, mais rien ne peut remplacer cette seconde mère. Brahim compose aussi des chansons sur l’existence et ses paradoxes Avec des paroles soigneusement élaborées et des mélodies exquises, le chanteur nous invite à écouter, à savourer, à méditer sans cesse de très belles chansons, qui témoignent de la lucidité et de l’humanisme d’un artiste très sensible. Le fils de la Kabylie est un intellectuel qui n’est pas
indifférent devant les souffrances des autres. Par le truchement de ses créations artistiques merveilleuses, il témoigne, s’interroge sur les maux qui noircissent la vie de nombre de personnes.
L’universitaire regrette toutes les valeurs qui ont tendance à être supplantées par un matérialisme farouche et rêve d’un monde meilleur.
Brahim Saci est né en Algérie, dans un village de Kabylie, Tifrit Naït Oumalek, village célèbre sous la protection du très vénéré Saint, Sidi M’Hamed Oumalek. La tradition rapporte que ce dernier s’est établi dans cette belle région, probablement vers la fin du XIVe siècle. Brahim Saci est l’un de ses descendants. Jusqu’à l’âge de 10 ans, il passa une enfance heureuse au village. Puis il partit rejoindre son père à Paris. Il suit sa scolarité à l’école primaire Eugène Varlin, au collège Gustave Courbet à Pierrefitte, puis au lycée Paul Eluard à Saint-Denis.
Déjà poète- adolescent, s’inspirant de Baudelaire (1821-1867), de Rimbaud (1854-1891) et de Nerval (1808-1855), il remporta des prix aux concours de poésie organisés par le lycée Paul Eluard. Une chose qui le motive énormément. Très tôt, il a baigné dans les Arts, bercé par les chants berbères que fredonnaient sa grand-mère et sa mère. Déjà enfant, il était fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur, caricaturiste (un métier qu’il pratiqua durant ses
voyages en Allemagne, en Suisse, en Autriche, qu’il continue d’exercer à Paris). Après un Baccalauréat littéraire, philosophie, langues, il entame des études universitaires à l’Université Paris VIII, à Saint-Denis. Après une licence, langues étrangères appliquées, affaires et commerce et une maîtrise en anglais, traduction scientifique et technique, il se passionne pour la musique et
approfondit l’écriture.Il devient alors auteur, compositeur et interprète d’expression franco-berbère. Animateur à Radio Beur en 1992, à Radio France Maghreb en 1995, de 1993 à 1997 il présente des rubriques littéraires dans le domaine berbère à Bellovaque FM. A Beur FM de 1996 à 1997, à France Maghreb FM de 1998 à 2000, il présente des rubriques sur l’histoire antique des berbères. En plus de ses multiples quêtes intellectuelles, l’auteur de « Leghdar n watmatien » (la trahison des frères) continue de chanter ses belles et originales compositions.
Même si les médias algériens parlent si peu de lui, Brahim Saci est un grand chanteur qui a une oeuvre importante, qui est à savourer et à décrypter.
Yacine Remzi
Le Midi Libre du 24 Août 2008
________________________________________________________________________
Brahim Saci sur les traces de Slimane Azem.
L’amertume et les affres de l’exil. Brahim Saci a choisi le chemin tortueux mais original des
anciens, celui de Si Moh ou M’hend et Slimane Azem… Il rend hommage à Slimane
Azem. A l’instar du grand poète philosophe, Brahim Saci chante les espérances de tout un
peuple… Enfin, Brahim Saci a ceci de particulier : Un parcours et un profil différents de ceux de nombreux artistes kabyles: il se ressource, certes, dans les traditions ancestrales, mais il puise aussi dans l’universalité… »
Le Kabyle de Paris, du 09 au 16 avril 2003
Par AMAR U YIDIR.
________________________________________________________________
Brahim Saci
Poète déchiré par le déracinement
Installé à Paris depuis de longues années, le chanteur continue à produire de belles choses et s’accompagne toujours de cette nostalgie du pays des ancêtres.
En cette journée printanière du mois d’avril passé, Véronique Vernon, vice-présidente du conservatoire du 8ème arrondissement de Paris, est aux anges. Elle est vraiment satisfaite de la belle prestation de Brahim Saci. Le public, français en majorité, a également apprécié ce défilé somptueux de chansons venues d’Afrique du Nord. C’est la première fois que le conservatoire accueille un chanteur algérien. Qu’il interprète la Colombe, le Déclin des jours, ou encore Vas mon âme, Brahim Saci est toujours irrésistible. Poète jusqu’au plus profond de l’âme, musicien chevronné, il reste humble et à l’écoute du monde qui l’entoure.
A Paris, il est une référence certaine depuis des années. Sur les traces de Slimane Azem, il sait parler de l’amour, des mauvais jours, de l’exil, de la volonté de surmonter les difficultés. Brahim Saci a l’art d’envoûter son public avec des paroles en français et en kabyle. L’artiste a grandi en France où il a fait des études supérieures ; il a également beaucoup lu Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Si Mohand ou Mhand…Brahim Saci a toujours sur lui des livres récents dans le cartable qui ne le quitte pas.
Jovial, souriant, l’artiste se pose pourtant de nombreuses questions douloureuses. « Le poète voit au-delà des voiles, l’exil est une porte qui s’ouvre sur le néant. Cet effacement que je vois, bien que lointain, me torture et m’use chaque jour un peu plus. La pensée, elle-même pourtant libre, se trouve entravée par le déchirement du déracinement. Je suis mais sans être vraiment, ma vie me semble n’être qu’une illusion. Le philosophe René Descartes disait “je pense donc je suis”, moi je pense mais je ne suis pas », confie Brahim Saci. En 1998, il écrit un double album, un regard critique sur la scène artistique kabyle intitulé Taluft Imaddahen qu’il détruit en cassant sa guitare à la suite de l’assassinat de Matoub Lounès. Ensuite Brahim Saci écrit un hommage à Matoub intitulé Un cri dans l’éternité.
Brahim Saci a déjà une œuvre considérable. Il vient de terminer l’écriture et la composition d’un autre album : Qlilet lemhiba. C’est une approche pertinente de l’exil, du sentiment intérieur du poète face aux événements de la vie qu’il n’arrive pas à contrôler. « La solitude intérieure m’étouffe », avoue Brahim Saci. L’artiste a également été portraitiste sur les places touristiques parisiennes, tout comme il a eu une expérience radiophonique sur les ondes franco-maghrébines quand il faisait des émissions sur la littérature et l’histoire des Berbères. Brahim Saci a produit de 1992 à 1997, cinq albums à Paris. En Algérie, 4 albums de sa création sont en vente aux éditions “Coup de cœur”. Brahim Saci est l’un des premiers chanteurs algériens à posséder un site internet : www.brahimsaci.com. « L’Algérie se doit de développer son patrimoine culturel dans sa diversité amazighe, de donner des bourses aux jeunes qui veulent se produire comme cela se fait en France où le ministère de la Culture donne des bourses à des jeunes, qui leur permettent de financer l’enregistrement de l’album, et parfois même la production et la distribution », estime Brahim Saci. Toujours à l’écoute de ce qui se passe dans son pays d’origine, Brahim Saci est, à bien des égards, un artiste de grande valeur.
Farid Ait Mansour
La Dépêche de Kabylie du 28/09/2006
____________________________________________________________________________
Brahim Saci
L’incarnation de Slimane Azem
Créateur de talent. Brahim Saci fait partie des rares chanteurs kabyles, vivants, qui ont un style bien propre à eux. C’est un artiste hors pair.
Brahim Saci est, incontestablement, l’un des géants de la chanson kabyle. Mais les médias parlent bien peu de lui. Il a fallu des passages sur la chaîne berbère (BRTV) pour que le grand public découvre cette voix unique. Ce fils de la Kabylie a très tôt baigné dans les arts. Déjà enfant, il était fort doué en dessin, il devint des années plus tard, dessinateur, caricaturiste. Après une licence en langues étrangères appliquées, puis en affaires et commerce, et une maîtrise en anglais, traduction scientifique et technique, il se passionne pour la musique et en approfondit l’écriture.
Il devint alors auteur, compositeur, interprète d’expression franco-berbère. Animateur à Radio Beur en 1992, à Radio France Maghreb en 1995, de 1993 à 1997. Il présente des rubriques littéraires dans le domaine berbère à Bellovaque FM. A Beur FM de 1996 à 1997, à France Maghreb FM de 1998 à 2000, il présente, aussi, des rubriques sur l’histoire antique des Berbères. « Slimane Azem est le seul qui a su le mieux décrire les sentiments collectifs de l’époque, il fut le porte-parole de tout un peuple pendant près d’un demi-siècle. La beauté du verbe que j’ai rencontré chez Baudelaire, je l’ai retrouvée chez Slimane Azem. Mais il avait quelque chose de plus car il était une légende de son vivant, il était un grand philosophe et un grand visionnaire », estime l’artiste au sourire intarissable. Comme Da Slimane, Saci chante la nostalgie du pays. Vivre dans un pays qui n’est pas le nôtre est, souvent, une souffrance incommensurable.
On peut avoir de l’argent et goûter à tous les plaisirs de la vie, mais rien ne remplace sa patrie. On a toujours un grand attachement à la terre qui nous a vu naître, à la terre qui est une seconde mère pour nous. « J’ai eu la chance de rencontrer des amis de Slimane Azem, on mesure très bien la grandeur du poète car quand ceux-ci parlent de lui, c’est à chaque fois les yeux pleins de larmes. Un jour de 1995, je marchais dans la rue dans le dix-septième arrondissement de Paris quand un homme me tape discrètement sur l’épaule. Je me retourne, et je vois un vieil homme. Il me prend affectueusement dans ses bras et me dit: “Vous êtes Brahim Saci, je suis heureux de vous voir, je vous ai reconnu pour vous avoir vu dans un spectacle. Moi je suis un ami de Slimane Azem.” Très ému il me proposa un café que j’acceptais avec plaisir. Il me dit: “Ah! Mon fils, si Slimane t’avait connu, il t’aurait sûrement légué sa ferme à Moissac. Il cherchait en vain un garçon intelligent comme toi, il aurait fait de toi son héritier. Ta ressemblance avec lui est une bénédiction. » Je lui proposais alors d’aller rendre visite à la femme de Slimane Azem à Moissac. Il me dit qu’il allait d’abord l’appeler pour lui demander si elle acceptait de nous recevoir. Une semaine après, je l’ai eu au téléphone, il me dit: « J’ai bien téléphoné à Malika Azem, mais elle m’a dit qu’elle était souffrante et qu’elle n’était pas prête à nous recevoir. Nous irons quand elle ira mieux. » Le temps a passé, Lucienne Azem mourut en 1996, paix à son âme. J’avais pourtant essayé d’aller la voir avec Mouloud Azem en 1993-1994, mais on remettait toujours le voyage à un autre jour, le destin en a voulu autrement, nous n’y sommes jamais allés. La ferme fut vendue à des paysans français du coin.
Aucune association berbère ne s’y est intéressée, sinon elles l’auraient achetée, et la maison de Slimane Azem serait aujourd’hui un musée pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Hélas! Le destin en a voulu autrement, qui aurait cru qu’un jour la maison du grand Slimane Azem serait achetée par des paysans français. Les souvenirs, tout ce qu’a laissé Slimane seraient-il donc à jamais perdu? Ses trois hectares de terre qu’il aimait tant cultiver, où il a sans doute composé ses plus belles chansons, les arbres qu’il a greffé avec des greffons qu’on lui a apporté de chez lui en Kabylie? Ainsi est le destin tragique du poète. Puisse-t-il un jour reposer dans sa terre pour laquelle il a sacrifié son existence? » S’interroge, sans cesse, Saci dans une interview réalisée à Paris par V. Thibert.
Ce chanteur est vraiment singulier. Non seulement il incarne l’auteur de A yaâssas n tala; génie de la fontaine, mais c’est quelqu’un de très sympathique. C’est aussi un grand humaniste.
Il n’a pas la grosse tête de nos pseudos stars. Il reste modeste malgré tout ce qu’il a produit dans le domaine de l’art. C’est entres autre, pour ces raisons, qu’il incarne Slimane Azem.
Yasmine Chérifi
la dépêche de Kabylie du 15/03/2007
__________________________________________________________
BRAHIM SACI « La relève de la chanson kabyle ne se situe pas en exil mais chez elle »
Parti en France à l’âge de dix ans, le chanteur et poète Brahim Saci parle kabyle comme les sages de nos villages. Passionné par Slimane Azem, son modèle d’artiste dont il a hérité le timbre de voix et épousé l’humanisme et partagé la philosophie, il jette un regard pessimiste sur la condition de la chanson kabyle. Une analyse pertinente que lui permet sa situation de chanteur émigré confortée par des études universitaires approfondies que l’auteur mène sur divers sujets. Dans l’entretien qu’il nous a aimablement accordé sur ce thème, il nous en explique les raisons et esquisse des ébauches de solutions pour sa relance. Son site Internet : www.brahimsaci.com a reçu plus de cent mille visiteurs.
Le Soir d’Algérie : Comment vient l’inspiration pour celui qui, comme vous, cherche à créer ?
Brahim Saci : Pour moi, créer est une nécessité. C’est en des moments de grande solitude, plongé à l’intérieur de moi-même que je trouve des ébauches de réponses aux questions qui m’assaillent. Je considère l’art comme un acte de charité. Ce don de soi dans une quête sans fin lie l’art à la mystique. Rilke, poète et philosophe autrichien, écrivait d’ailleurs : « Créer, c’est d’abord se créer et la matière qui s’offre au créateur c’est lui-même. »
Slimane Azem, dont vous avez hérité le timbre de voix et la philosophie, vous inspire beaucoup. Pourquoi ?
Si ma voix lui ressemble quelque peu c’est pour moi une bénédiction. Pour moi Slimane Azem est le père de la chanson kabyle et le plus grand poète algérien. C’est un grand philosophe et un humaniste. Il excellait aussi bien dans l’art de la métaphore que dans l’art dramatique. Il fut un guide pour son peuple. Par la beauté de ses compositions, il a dépassé tous les tabous et passionné toute la Kabylie rassemblant autour de son œuvre toutes les générations. Il a dénoncé l’injustice et l’arbitraire.
Quel constat faîtes-vous de la chanson kabyle, notamment en France ?
J’ai une vision assez pessimiste de la chanson kabyle et de son avenir en France. Elle n’existe réellement que chez elle. Son univers rétrécit inexorablement en France. Les mutations subies par l’émigration en sont les principales causes avec la disparition des cafés où se produisaient nos chanteurs et le départ des retraités. Aujourd’hui, la plupart des chanteurs n’ont pas les moyens d’adhérer à la Sacem. C’en est fini de la vie artistique kabyle à Paris. Les enfants des familles installées en France ne consomment que la culture européenne. En guise de revendication de leur culture ils se contentent d’en arborer les signes. Ils ne viennent aux galas que pour se défouler et n’achètent rien pour la plupart. Les livres de cuisines restent leur seul lien culturel avec la culture berbère. La culture de consommation européenne l’emporte à 100%.
Beaucoup en imputent le déclin au raï qui a investi la Kabylie. Est-ce votre avis ?
Il y a certes un déclin de la chanson kabyle, mais il y a un déclin de la chanson algérienne en général. La décennie noire et l’étouffement de toute forme d’expression artistique y est pour beaucoup dans ce recul. Le recul de la chanson kabyle, autrefois florissante, a coïncidé avec la mort de Matoub qui, par son travail de création, arrivait à drainer les foules. Le raï, qui a bénéficié, quant à lui, du support des médias, a détrôné même le chaâbi et des chansons à texte. Depuis, on a peu à peu habitué la jeunesse à n’aller aux spectacles que pour danser. Cela, dit je crois qu’il ne faut pas imputer le déclin de la chanson kabyle au raï comme il ne faut pas non plus culpabiliser la jeunesse kabyle qui l’écoute. La chanson kabyle est encore écoutée. Elle manque seulement de moyens pour sa promotion. Je pense que tous les courants musicaux ont leur place en Algérie.
Le phénomène des reprises et des non-stop ne porte-t-il pas une responsabilité dans l’absence de création ? Dans ce contexte ne pourrait-on pas dire aussi que la tendance qui est aux hommages à la pelle n’est pas pour les artistes un aveu de manque de créativité ?
Dans le vide artistique que nous vivons présentement, je pense que les non-stop et les reprises sont une chance pour la dynamique économique et la production culturelle. Ce n’est, aussi, pas en ce siècle de toutes les libertés qu’on va imposer aux jeunes une ligne de conduite. La diversité est enrichissante. Nous ne pouvons pas tous chanter la même chose. Les reprises sont très appréciées en Occident. Bien faîtes elles permettent le passage du flambeau aux jeunes qui ont toute latitude d’écouter les tubes de leurs parents. A ceux qui pensent qu’il y a trop de reprises, je répondrai qu’il n’y en a pas assez ! Les hommages pleuvent en France tous les ans sur Brassens. Cela s’inscrit dans la dynamique économique et culturelle. La multitude d’hommages est aussi bien musicale que culturelle. Et comme pour les reprises, je pense qu’il n y a pas assez d’hommages.
Par son exigence, le public peut forcer le talent artistique. Mais en France le public kabyle, qui vient par nostalgie et pour se défouler, n’est pas effleuré par cette idée. Quel commentaire en faîtes-vous
?
Moi, je dirai, plutôt que c’est le foisonnement médiatique qui façonne le goût du public. Un album de piètre qualité peut devenir disque d’or s’il est bien soutenu par les médias.
Le public, me diriez-vous, ne serait-il donc pas libre de son choix ?
Cela est bien vrai pour un certain public. Cependant, un produit de qualité trouvera toujours une oreille attentive chez les gens d’une certaine culture. Concernant la chanson kabyle en France, il est bien vrai que le public qui vient dans les rares concerts le fait essentiellement pour se défouler. On le voit à la faiblesse des ventes dans les stands de vente de livres et de disques. Beaucoup de chanteurs kabyles s’installent en France.
La chanson les fait-elle vivre ? De quel apport sont-ils pour la culture ?
La dégradation des conditions sécuritaires couplées à l’engouement et à la fascination pour ce pays, perçu comme l’Eldorado, ne datent pas d’aujourd’hui. Beaucoup prennent n’importe quel boulot qui se présente pour s’y établir. Dans ces conditions, la création artistique ne peut que s’appauvrir, l’angoisse, le stress et la précarité aidant. Certains arrivent péniblement à autoproduire une centaine de disques qu’ils ont du mal à écouler, les moyens de promotion étant quasi nuls. S’ils arrivent à animer une soirée ou deux, c’est un exploit. Dans ces conditions, il est impossible de vivre de la chanson. N’ayant pas accès aux médias français ni aux centaines de festivals organisés chaque année, on existe que dans un public kabylophone. La relève de la chanson kabyle ne se situe donc pas en exil mais chez elle, en Algérie. Je termine, enfin, en remerciant Le Soir d’Algérie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur cette question pertinente de la condition de la chanson kabyle.
Entretien réalisé par S. Hammoum
Le Soir d’Algérie
Le 18 août 2005
___________________________________________________
Rencontre avec le célèbre chanteur Kabyle Brahim Saci
« La difficulté de vivre et l’exil intérieur ont développé en moi la sensibilité artistique »
Brahim Saci est l’un des plus grands chanteurs kabyles. Sur les traces de Slimane Azem, il continue de produire des oeuvres merveilleuses.
Ce talentueux chanteur préfère s’exprimer artistiquement au lieu de « se montrer » dans la presse, mais il a accepté de nous accorder cet entretien en exclusivité.
Brahim nous parle du monde fabuleux de la création et nous raconte son parcours mouvementé.
Le courrier d’Algérie :
Vous êtes intellectuel, vous avez fait des études poussées. Mais c’est la chanson qui vous captive le plus. Comment êtes vous venu au monde fabuleux des mélodies ?
Brahim Saci :
J’ai quitté le village à l’âge de 10 ans pour venir en France; mon premier voyage fut déjà un déracinement douloureux. Toute ma scolarité en France fut un parcours du combattant. J’avais pour seule amie ma solitude.
A mon arrivée, je ne maîtrisais pas très bien la langue française, j’ai fait une année de primaire à l’école Eugène Varlin à Pierrefitte-sur-Seine qui n’a pas été sans difficultés mais j’ai eu la chance rencontrer des gens d’exception comme le directeur de cette école, le défunt Jean Dalarun, qui a toujours eu une oreille attentive pour moi, toujours souriant, un sourire et une attention qui me faisaient oublier ma solitude intérieure.
Une institutrice aussi, remarquable, madame Chariot, qui souriait quand je la tutoyais ; toujours un mot gentil…
J’avais laissé au village un instituteur de français Mouhoune M’hamed, tout aussi remarquable, qui m’a beaucoup encouragé. J’ai gardé une lettre qu’il m’a envoyée en 1977 où il m’écrivait « …..
Si Brahim, je sais que ta famille te manque mais ouvre les yeux, tu es dans le pays des lumières? » Ces mots sont restés gravés dans ma tête.
La difficulté de vivre et l’exil ont développé en moi la sensibilité artistique.
J’étais donc poète adolescent comme l’était Arthur Rimbaud.
Les poèmes m’aidaient à surmonter ma solitude.
L’école m’a permis de découvrir la littérature française avec les poètes qui m’ont le plus influencé.
Slimane Azem (1918-1983) a éveillé en moi l’amour de la mélodie et m’a amené à découvrir le chaâbi (musique populaire algérienne, musique modale qui prend sa source dans la musique arabo-berbéro-andalouse, les influences nombreuses de cette ; musique en font la richesse.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Il y a bien sûr le vécu, l’expérience personnelle, qui est la source où s’abreuvent, en premier, le poème mais aussi la vie et tout ce qui entoure le poète, les bouleversements et les tourments de l’époque.
Les poètes qui m’ont inspiré et continuent de m’inspirer sont évidement Si Mohand U Mhand, le poète légendaire kabyle du 19 ème siècle (1845-1906) puis Slimane Azem poète tout aussi légendaire (1918-1983) et tous ceux qui m’ont inspiré un jour ou l’autre, Pierre de Ronsard (1524-1585), Joachim du Bellay (1522-1560), Théophile Gautier (1811-1872), Charles Baudelaire (1821-1867), Paul Marie Verlaine (1844-1896), Arthur Rimbaud (1854-1891), Rainer Maria Rilke (1875-1926), Guillaume Apollinaire (1880-1918), Jules Supervielle (1884-1960), Jacques Prévert (1900-1977).
Paris est aussi une ville qui m’inspire beaucoup ; cette ville qui ne dort pas est l’amie des poètes.
J’aime les petits cafés populaires où il me semble parfois voir l’ombre de Baudelaire prendre un verre avec la misère.
Une certaine vie de bohème est un aliment indispensable à la création.
Vous avez travaillé comme animateur dans des radios en France.
Parlez-nous de vos expériences radiophoniques ?
Oui, c’est vrai, mais ce ne fut pas une expérience heureuse ; j’ai découvert les petites luttes claniques misérables où les uns sont payés alors que d’autres travaillent des années bénévolement.
Les responsables de ces radios jouaient souvent sur la sensibilité militante des animateurs ; on leur disait que c’est pour la cause pour les faire travailler gratuitement.
Les uns se sont enrichis, les autres ont fini au RMI (revenu minimum d’insertion).
J’ai animé quelque temps à Radio beur en 1992, après avoir fait un stage de technicien réalisateur animateur.
Les responsables m’avaient promis de m’intégrer à l’équipe des salariés et ce qui n’a jamais été fait.
J’ y ai travaillé souvent et toujours bénévolement.
Cela m’a permis aussi de passer sur les ondes ma propre programmation, ce fut le seul réconfort.
J’ai aussi présenté des rubriques littéraires dans une radio à Persan, Bellovaque FM, dans la banlieue parisienne de 1993 à 1996, dans une émission hebdomadaire en kabyle présentée par le poète Moh Cherbi, puis à Beur FM de 1996 à 1997 où j’ai collaboré avec Moh Cherbi dans son émission « Culturum », un forum culturel.
Je présentais des rubriques sur l’histoire antique des berbères et parfois des rubriques sur la littérature et la poésie berbère. De 1999 à 2002 à Radio France Maghreb, j’ai collaboré avec Said Kejat dans son émission culturelle hebdomadaire où je présentais des pages sur l’histoire antique des berbères à partir de l’installation des phéniciens au 9e siècle avant Jésus-Christ sur les côtes berbères.
Voilà un long parcours radiophonique. Je ne me suis rendu compte sur le tard, candide que j’étais, qu’il n’y avait aucune perspective d’évolution dans le milieu maghrébin en France, après toutes ces années d’expérience radio ; triste constat ! Non seulement ce milieu n’offre aucune perspective , mais on vous oublie sans même un merci de la part des responsables des radios. J’aimais l’animation radio surtout de minuit à 6h, car le monde de la nuit est fascinant si c’était à refaire j’aurais essayé de travailler à Radio France.
Une fois, grâce à une relation, une occasion s’est présentée pour une place de journaliste, avoir une licence et moins de 30 ans, la première condition était remplie mais j’avais plus de 30 ans et le destin en a voulu autrement.
Vous chantez comme Slimane Azem, même si vous avez votre propre originalité.
La presse algérienne vous surnomme : l’Incarnation de Slimane Azem.
Que représente pour vous ce grand homme ?
Slimane Azem est un grand humaniste, grand poète philosophe visionnaire.
Il fut une légende de son vivant, comme l’était avant lui le barde kabyle du 19ème siècle Si Mohand U Mhand, les deux ont eu un destin tragique : Si Mohand U Mohand a été poussé sur les routes de l’errance pour sauvegarder son statut de kabyle libre, refusant toute autorité coloniale, après la destruction de son village, la confiscation de ses terres, le massacre et la dispersion des siens par l’armée coloniale. Poète errant composant sur les routes, dénonçant le nouvel ordre dicté par l’occupant.
Slimane Azem fut aussi le verbe libre et vrai. Admiré par les millions de kabyles qui voyaient en lui l’héritier de Si Mohand U Mhand. Slimane Azem a dénoncé le colonialisme, a chanté la joie de l’Indépendance et les désillusions du Parti unique, d’un autoritarisme qui allait s’attaquer aux libertés démocratiques et tenter de balayer la langue berbère plusieurs fois millénaire. Poète engagé, il disait haut ce que le peuple pensait tout bas ; il était le porte-parole du peuple kabyle pendant plus de 50 ans. En 1967 il fut officieusement, selon les dires de certains, interdit d’antenne des radios algériennes, et considéré comme persona non grata par la presse.
La loi du silence était tombée, les uns ayant peur pour leur place pour défendre leur maigre salaire, d’autres par zèle pour espérer s’attirer les faveurs du pouvoir ont semé la rumeur d’une interdiction officielle qui n’en était pas toujours d’après ces mêmes dires ; mais vu la facilité avec laquelle la rumeur s’imposait partout cela arrangeait le pouvoir qui n’attendait que l’occasion pour museler cet artiste légendaire au talent inégalable.
On peut mettre un oiseau en cage, mais on ne peut pas l’empêcher de chanter.
Le poète »… hante la tempête et se rit de l’archer… » disait si bien Baudelaire. La chanson de Slimane Azem » l’Epreuve des trois chiens » nous éclaire un peu il s’agirait de deux artistes en vogue à l’époque auxquels Slimane Azem faisait de l’ombre et d’une personne influente de la radio Chaîne 2.
Ces personnes auraient ajouté le nom de Slimane Azem au stylo sur une circulaire.
Mais on peut émettre des doutes quant à cette interdiction qui a duré plus de 20 ans, et qui ne serait pas officielle ! A l’époque, le nom même de Slimane Azem pouvait attirer les foudres de certains chefs et sous-chefs ; l’autocensure était alors partout afin de plaire à la cour.
Nous pouvons dire qu’il y a une responsabilité collective pour n’avoir rien fait pour tirer au clair cette censure à l’encontre de celui qui a si bien dénoncé le colonialisme » fegh ay ajrad tamurtiw » et qui a prédit la joie de l’indépendance en 1958 « Idehr-ed wagur ».
Cette terrible censure des médias algériens a conduit le grand Slimane Azem à un exil forcé, puisque se sentant indésirable chez lui en Algérie. L’exil l’épuisera à petit feu jusqu’à sa mort à Moissac, dans le sud-ouest de la France en 1983 des suites d’une longue maladie.
La lumière reste à faire pour que les vrais responsables de ce drame soient connus et rendent des comptes, un drame qui a tué le plus grand poète algérien du XXe siècle, puisque séparer un artiste de son peuple, de sa terre, est pire que la mort.
Les fables des anciens sont riches d’enseignements et nous éclairent aujourd’hui, » …quand les lions sont enchaînés les hyènes sont décorées… » nous voyons un peu partout dans le monde comment les mensonges sont glorifiés.
Un tel personnage poète légendaire, homme de convictions, libre et vrai, ne pouvait que susciter mon admiration. Ma légère ressemblance avec lui est une bénédiction. Chaque fois que j’écris et que je compose une musique, je pense à lui ; quand je chante les gens pensent aussi à lui. C’est pour moi une grande joie.
Vous vivez en France depuis l’âge de 10 ans. Comment voyez-vous votre terre natale avec la distance et l’éloignement ?
Je suis attentif à tout ce qui se passe en Algérie, en France, nous vivons le racisme au quotidien. Il est difficile d’être reconnu à sa juste valeur. La plupart des universitaires d’origine étrangère se perdent dans des petits boulots mal rémunérés. Il y a l’exil intérieur du poète et la souffrance du déracinement.
En France, quel que soit votre bagage culturel universitaire, la société est toujours là pour vous rappeler que vous êtes d’ailleurs, pourtant ne sommes-nous pas tous d’ailleurs ?
Quand j’étais plus jeune, je pensais, qu’avec le temps, le racisme disparaîtrait et que les mentalités évolueraient, hélas plus de 30 ans après, triste constat, la société française s’est quelque peu radicalisée et a tendance à se refermer sur elle-même.
De Paris, on rêve d’une Algérie démocratique où chacun pourrait vivre libre et heureux dans la diversité culturelle et linguistique amazighe. Il y a des choses qui se font mais c’est si peu quand on voit l’attente de la population qui s’appauvrit de plus en plus. Cela est pour moi une souffrance de plus. De paris, je vois le pays natal avec optimisme et pessimisme, espoir et désespoir.
Seule une véritable démocratie peut sortir de l’ombre ce beau pays au passé berbère, plusieurs fois millénaire.
Pour que l’Algérie puisse peser parmi les plus grandes puissances de ce monde, il appartient à tout le peuple algérien de prendre son destin en main et construire enfin une vraie démocratie avec une justice sociale, où chacun trouverait sa part et sa place.
On dit que Paris est la capitale culturelle du monde. Que représente pour vous cette ville lumière ?
Paris est avant tout, pour moi, ville du coeur et de l’esprit. Paris est la ville-lumière, c’est une ville extraordinaire qui est à l’écoute de ses citoyens. C’est une ville qui ne dort jamais, c’est la ville des poètes, des philosophes, des penseurs, des écrivains. C’est une ville où la culture est à la portée de tous.
Chaque arrondissement a son conservatoire municipal, il y a aussi à Paris un conservatoire national à rayonnement régional (C R R) et un conservatoire national supérieur de musique (C N S M).
Chaque conservatoire a un orchestre, il y a aussi des grands orchestres, l’orchestre de Paris, l’orchestre national, l’orchestre national d’Ile de France, radio France aussi possède un orchestre.
Il y a un centre culturel, un centre d’animation et de loisirs dans chaque arrondissement, qui accueillent des milliers d’enfants et d’adultes pour des pratiques musicales et sportives.
Il y a 37 piscines municipales, environ 65 salles de spectacle. À travers 58 établissements de prêt (dont une Réserve centrale) répartis sur les 20 arrondissements de la capitale et des bibliothèques spécialisées en musique, arts, histoire, etc..
Le réseau municipal offre un éventail très riche des différentes formes d’expression culturelle.
L’accès aux bibliothèques municipales est libre et ouvert à tous.
L’emprunt des imprimés (livres, revues, BD, partitions) et des méthodes de langue est gratuit.
Avec plus d’une centaine de salles, Paris jouit d’une offre théâtrale extrêmement riche et variée.
Paris dispose aujourd’hui d’un patrimoine de salles de cinéma exceptionnel.
En 2006, on dénombre 88 établissements cinématographiques (376 écrans, dont 150 écrans indépendants et 89 classés Art et Essai) et plus de 27 millions de spectateurs.
Paris joue depuis toujours un rôle primordial dans la diffusion du cinéma : la qualité et la densité de son parc de salles, le nombre de films offerts chaque semaine (en moyenne 500) à tous les types de public, c’est la capitale de tous les cinémas. Paris c’est aussi la liberté, c’est la ville des rêves. Mais derrière ses lumières se cachent bien des ombres. Même avec un salaire moyen on y vit péniblement. La cherté de la vie et le prix des loyers inabordables dépassent le salaire minimum garanti.
Il faut gagner 3 fois le prix du loyer pour pouvoir espérer trouver un logement chez le privé. Il est pratiquement impossible pour une personne d’origine étrangère de trouver un logement chez un privé, sa seule chance est d’obtenir un logement de l’habitat public, ce qui est d’une chance sur un million. Ce qui fait fuir les populations parisiennes les plus fragiles, on voit ainsi disparaître le Paris populaire que j’ai connu dans mon enfance, qui a fait la beauté de cette ville pendant des siècles.
Mais on y côtoie encore presque toutes les cultures du monde, ces cultures ne sont malheureusement pas visibles dans le champ médiatique.
En ce qui nous concerne, les médias maghrébins ne rémunèrent pas, ce sont les médias français qui rémunèrent et nous n’y avons pas accès. Vous voyez le problème ! Paris est aussi une ville kabyle, beaucoup de poètes et chanteurs kabyles ont vécu et chanté à Paris, on peut citer Slimane Azem, Allaoua Zerrouki, Marguerite-Taos Amrouche, Elhasnaoui, Matoub et bien d’autres, sans oublier le grand compositeur Mohammed Iguerbouchène qui a beaucoup travaillé avec l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision français ).
La première langue étrangère parlée en France surtout à Paris, est bien le kabyle.
Le plat préféré des Français est le couscous qui est un plat berbère.
Les Kabyles aiment cette ville qu’ils ont contribué à bâtir. Leur présence dans cette ville remonte au 19 ème siècle. Malgré cela, nous existons à peine, mais les berbères kabyles de France commencent à s’organiser pour une meilleure reconnaissance de la langue et de la culture berbères et une visibilité dans le champ politique et médiatique. Paris célèbre maintenant le nouvel an berbère le 12 janvier de chaque année.
De 1983 à 1990 j’ai dessiné sur toutes les places touristiques parisiennes en tant que caricaturiste portraitiste on peut dire que je connais bien cette ville, j’ai dessiné environ un million de personnes. C’est vraiment la ville des cultures du monde. Il faut seulement aider à l’évolution des mentalités, c’est ce que je fais au quotidien en essayant de montrer l’exemple.
Il est toutefois dommage qu’on soit obligé de légiférer pour tenter de supprimer les discriminations. On a malheureusement créé le concept de » discrimination positive » comme si la discrimination pouvait être positive ! Créer un tel concept c’est ne pas respecter la langue française. Je pense que seule l’éducation peut faire évoluer les choses.
Y a-t-il des espaces de rencontres et d’échanges pour les artistes algériens vivant en France ?
Avec la disparition des cafés populaires qui rappellent les cafés maures et les quartiers populaires, les lieux de rencontres s’amenuisent de jour en jour.
Il y a quelques associations, mais ce ne sont pas véritablement des lieux de rencontres. Ce sont plus des lieux qui proposent des activités. Mais au hasard d’une rue, il reste encore quelques gargotes, où on peut rencontrer des artistes de temps en temps, tard dans la nuit. Il y a le centre culturel algérien mais ses activités sont curieusement discrètes. Une majorité d’entre nous ne connaît même pas l’adresse.
J’ai eu la chance de connaître le Paris populaire, où les artistes d’origine algérienne, majoritairement kabyles faisaient l’ambiance de ses quartiers. Il y avait de la musique dans tous les cafés, surtout dans le 18 ème, 19 ème, 20 ème mais aussi 13 ème, 14 et 15 ème, enfin presque dans tous les arrondissements de Paris. Mais la culture berbère surtout kabyle, demeure plus que jamais vivante à Paris.
Les artistes kabyles remplissent les plus grandes salles parisiennes, hélas souvent dans un silence médiatique, mais les choses commencent à changer. Berbère télévision offre maintenant un espace de rencontres, il y a aussi enfin une radio kabyle sur la bande FM à Paris qui va émettre bientôt.
Que pensez-vous de la chanson kabyle actuelle ?
Je dirais que la chanson kabyle se porte bien. C’est l’une des rares musiques à remplir les salles les plus prestigieuses, de l’Olympia au Zénith en passant par le Palais des Congrès et le Cabaret Sauvage qui est une grande salle gérée par un kabyle. Et croyez moi, je sais de quoi je parle. Si la chanson kabyle se porte tant bien que mal à Paris ce n’est pas le cas chez elle! En Algérie, elle manque de moyens de promotion. Le statut de l’artiste reste à créer.
Nous voyons un peu partout un seul genre s’imposer, celui qui puise dans le folklore, le style festif, c’est une bonne chose mais il faudrait que le ministère de la Culture aide les jeunes créateurs afin qu’émergent les autres styles, dont la chanson à texte.
L’ONDA aussi devrait organiser des festivals comme cela se fait en France, où la SACEM organise des manifestations culturelles et donne des bourses aux jeunes créateurs.
Les régions et les municipalités peuvent aussi apporter des moyens pour la promotion de cette musique. Il faudrait aussi ouvrir un peu plus les médias aux nouveaux créateurs.
Mais dans un pays où l’allocation chômage n’existe pas encore, où la plupart des jeunes se retrouvent sans ressources en quittant l’école où l’université, il est difficile de se donner du temps pour faire une chanson de qualité.
A chaque fois que je sillonne la Kabylie , je suis ébloui par tant de talents cachés. Si vous ne connaissez personne à la radio ou à la télévision vous n’avez aucune chance d’y passer. L’apparition de radios locales peut aider à une plus grande ouverture. Dans chaque village de Kabylie il y a des talents cachés faute de moyens.
D’ailleurs, j’irais même plus loin, dans chaque contrée de ce formidable pays qu’est l’Algérie il y a des talents insoupçonnés même dans la misère criarde. Il devient urgent de créer une allocation chômage et de donner des moyens pour la création artistique.
Par exemple, financer un projet et l’accompagner dans sa réalisation. J’entends par-ci par-là des gens dire que la chanson kabyle manque de créateurs.
» D widak yerwan ig hedren akka » (les gens repus parlent ainsi), mais comme disait cheikh Mohand U Lhocine » Win yerwan ixdaa Rebbi » (les rassasiés ont trahi Dieu!).
La Kabylie foisonne de créateurs de talents ce qu’il lui faut ce sont des moyens!
Vous êtes un grand lecteur.
Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
Je viens de lire un recueil de poésie » Les nuits de l’absence « , une poésie profonde de Mohand Cherif Zirem, votre livre (rires), un roman « La vie est un grand mensonge » à lire absolument, on y trouve les dits et les non-dits de la tragédie algérienne, de Youcef Zirem.
Et un livre sur l’histoire » La conquête française du Djurdjura » de Omar Kerdja, une page d’histoire vue de l’intérieur. Il est vrai que je lis beaucoup, j’aime la présence des livres. Quand on aime les livres on est jamais seul.
J’aimerais tant que le ministère de la Culture en Algérie trouve le moyen d’amener le livre à portée de tous et qu’on développe aussi le livre et la Bande dessinée pour enfants.
Quels sont vos projets artistiques ?
L’esprit bouillonne et les projets foisonnent, j’écris et compose tant bien que mal. Le fait de travailler dans le champ culturel parisien m’aide beaucoup dans la recherche musicale.
Même si ma musique n’est pas visible j’ai plusieurs albums en suspens.
Devant la difficulté de vivre, la vie n’épargne pas le poète, j’ai souvent pensé me retirer.
La chanson » Lefjer tameddit », » Ad ruhegh » en disent long… mais la chanson » Mazal isefra » laisse entrevoir une fenêtre.
Mais j’espère revenir avec un prochain album pour le plaisir de ceux qui aiment ma poésie.
Sinon à Paris, l’errance et la solitude nous accompagnent. Cette ville froide et chaleureuse aux mille ombres et lumières fait partie de moi, et j’égrène des vers dans ses rues en kabyle et en français que le vent emporte.
Mohand Cherif Zirem
le Courrier d’Algérie du 04 et du 05 février 2009
__________________________________________________
Youcef Zirem à la rencontre de Brahim Saci
Quand l’errance de l’exil étouffe
Les années passent et les questionnements douloureux persistent. L’exil est souvent fait de souffrances et d’errements multiples. Brahim Saci en connaît un bout. Mais il faut apprivoiser la douleur d’être, continuer son chemin et adoucir la nostalgie.
Quand on atterrit à Paris à l’âge de 10 ans, loin des siens et de cette terre des origines mythique et généreuse, on se retrouve confronté à des tracas d’un autre genre. Brahim s’accroche et fait à l’adversité. Il suit des études brillamment, il décroche son diplôme universitaire avec une certaine élégance. Et déjà la poésie rentre dans son monde, remplit son quotidien. Il se passionne aussi pour la musique. Son « coup de cœur » va pour le grand Slimane Azem.
La musique traditionnelle devient la passion de Brahim Saci qui trouve là l’occasion d’approfondir son écriture.
« Enfant, j’étais bercé par les contes, les chants traditionnels que me chantait ma mère, ainsi que par les nombreuses poésies kabyles qu’elle me récitait. Jeune j’étais donc déjà pris par la passion et l’émotion littéraire. Cependant ce n’est qu’au lycée que les professeurs m’ont appris à apprécier et à comprendre les poètes, Charles Baudelaire par Les fleurs du mal en particulier, Alphonse de Lamartine par Les méditations poétiques, et tant d’autres encore. J’étais partagé entre les études, le dessin, la poésie et les voyages (Allemagne, Autriche, Hollande…), tout cela a quelque peu développé en moi une vie intellectuelle et artistique à la fois », se souvient Brahim Saci.
L’’enfant de la haute Kabylie travaille ensuite dans des radios franco- maghrébines ou il accentue son intérêt pour l’Art. « Plongé profondément à l’intérieur de moi-même, dans des moments de grande solitude, c’est seulement là, dans l’univers artistique, que je trouve des réponses aux questions qui assaillent mon existence. Bien que cela engendre une grande souffrance, c’est une quête nécessaire. Personnellement je ne me sens vivre qu’en créant, c’est un peu comme si je ne faisais qu’un avec l’art, pour moi c’est un mode de vie », confie Brahim Saci.
Cela fait 30 ans qu’il vit en France. « Ne me comprennent que ceux qui ont marché sur mes pas. Cependant le génie de la création ne doit pas faire oublier la grande solitude intérieure, nécessaire pour aller au plus profond de soi-même et pouvoir en ressortir le meilleur. Il est bon d’être seul car la solitude est difficile à vivre, et plus une chose est difficile, plus elle doit être pour nous une raison de nous y attacher. C’est de la peine que naît la création, comme une pluie fertilisante que la terre attend avec impatience, comme un acte de charité, lien entre la poésie et la mystique. Un perfectionnement personnel est recherché pour essayer de porter le regard au delà de la connaissance afin d’approcher ce qui nous échappe et accueillir avec sérénité les événements de notre vie et s’interroger sur le mécanisme qui nous fait créer. Donner sans rien attendre en échange même si les poèmes sont payés avec tant de souffrances. Il y a une nécessite de dire pour ne pas sombrer. Aborder l’art avec amour car seul ce sentiment profond permet de le saisir », fait remarquer ce chanteur de talent qui n’arrête pas de produire des œuvres de qualité.
« Je n’ai réellement compris Slimane Azem qu’après des études universitaires approfondies. Ces années d’études m’ont permis d’aller plus loin dans l’analyse afin d’avoir une vision plus claire pour approcher l’œuvre de ce grand humaniste et philosophe qu’était Slimane Azem. C’est un grand poète qui décrit notamment le déchirement de l’exil. Bien plus que cela, il a su enflammer tous les cœurs, et passionner tous les Kabyles. Son œuvre très abondante et riche offre une grande diversité à qui sait l’écouter et la comprendre. Dans ses compositions, Slimane Azem, guitariste d’exception attire par sa technique percussive de la guitare, par sa riche invention de la mélodie. Il a su transformer toute mélodie en pure beauté. Ses chansons sont d’une grande âpreté rythmique, doublée d’une inspiration mélodique inépuisable. Baigné dans un fond culturel classique, les images, comparaisons, métaphores et métonymies ont été des aliments essentiels à sa création poétique. Ses préludes chantés sont d’une extrême justesse. Sa voix est d’un grand lyrisme, d’une grande fluidité, claire comme l’eau d’une source. Slimane Azem a su par son génie nous transmettre les racines d’une culture plus que jamais vivante, mais paradoxalement aussi, sa douleur d’avoir été force de quitter sa terre natale si chère a son cœur. Slimane Azem est un véritable virtuose de la chanson kabyle, respecté par tous, et qui ne pouvait que susciter mon admiration et ma volonté de suivre ses traces. » analyse Brahim Saci.
Vivant à Paris, Brahim Saci ne cesse de regarder vers son pays d’origine et ne rate pas une occasion pour se retremper dans l’ambiance algérienne. « Les choses terrifiantes qu’a connu notre pays ont laissé peu de place à l’Art en général et l’expression artistique en particulier. Jusqu’à la mort de Matoub Lounes, la chanson kabyle était en plein essor. Les années 80 ont vu apparaître beaucoup de groupes de grande qualité, constitués par une majorité d’universitaires, malheureusement ces groupes ont disparu. Mais le succès de Matoub Lounes a permit à la chanson kabyle d’occuper une place de choix. Il était une locomotive qui poussait à la création de qualité aussi bien sur le plan de la poésie que sur le plan musical. Car Matoub Lounes excellait dans l’art du Châabi qui est de surcroît une grande école musicale. Matoub créait l’événement avec presque chaque fois deux albums, et était une source poétique intarissable. Sa disparition tragique a plongé la chanson kabyle dans un vide artistique quasi-total. On a vu alors une folklorisation accrue de la chanson kabyle où tout ce qui se fait l’est pratiquement sur un seul rythme.
La création artistique s’est appauvrie. On ne pense qu’à danser.
Toutes les manifestations dites culturelles sont en fait des pistes de danse. On a ainsi petit à petit habitué le public à ne venir à chaque fois dans les salles que d’une façon quasi-mécanique. On vient consommer des pistes de danse. On a vu alors les ventes de disques chuter pour la quasi-totalité des créateurs. Mais d’autres raisons bien sur viennent se greffer à cela. La fracture avec la tradition orale, on voit les anciens disparaîtrent un par un, a aussi contribué à l’apparition d’une poésie médiocre car il y a un manque au niveau de la maîtrise de la langue. C’est l’une des raisons pour laquelle il devient urgent que la langue tamazight soit officialisée et entre dans toutes les écoles, car le transfert du patrimoine culturel par les anciens ne se fait plus. Ainsi, à l’école, les enfants redécouvriront la richesse de leur langue, les contes, les poètes, les romans, la littérature. Il est évident que sans bagage culturel on ne peut créer de belles choses. Les anciens avaient tous leurs têtes pleines, les poèmes d’antan, les contes, et cela se reflétait dans leur création artistique.
D’autres raisons viennent encore s’ajouter au marasme des décennies noires qu’a connu la chanson kabyle et la chanson algérienne en général. La crise économique aidant, le manque de pouvoir d’achat, la morosité de la chanson algérienne ont amené la chanson kabyle au bord du précipice. Au lieu que les artistes vivent de leur art, nous assistons désarmés à une situation nouvelle et dramatique, qui n’est pas propre à la chanson kabyle, qu’on voit dans d’autres pays mais à faible échelle. Dans ce dénuement les artistes s’appauvrissent, il est difficile de travailler dans ces conditions. Les tentatives individuelles sont bonnes et à encourager, mais c’est l’institution étatique qui doit protéger son patrimoine culturel, l’encourager et le financer. Malgré le regard assez pessimiste que je viens de porter, je reste optimiste et positif quant à l’avenir de la chanson kabyle, grâce à l’apparition de jeunes qui résistent contre vents et marées et qui font un travail de qualité », fait savoir Brahim Saci.
Animateur culturel sur Beur FM entre 1996 et 1997, Brahim Saci aime citer Béla Bartok, compositeur hongrois qui après des recherches sur les traditions musicales populaires notera et enregistrera sur des rouleaux phonographiques plus de 10 000 mélodies folkloriques. C’est pour dire que l’exploration des chants et des danses de la Kabylie reste à faire.
« Je pense qu’il faut penser un peu au côté culturel des choses, arrêter avec les galas business où les gens ne viennent que pour danser et s’amuser, et opter pour des manifestations culturelles de qualité, abordables pour tous », raconte Brahim Saci. Parlant de Matoub Lounes, l’enfant de Tifrit Naït Oumalek se souvient d’un homme sincère. « Je me rappelle avoir rencontré Matoub Lounes dans un café du 18ème arrondissement de Paris un mois avant sa mort tragique, il me disait « Si Brahim ma vie est au village! » Ces paroles résonnent encore dans ma tête.
A paris on a beau remplir les plus grandes salles, personne ne nous voit, nous sommes comme invisibles. La meilleure preuve que l’on puisse apporter à ce phénomène est la célébration des 100 ans de l’Olympia qui a été très médiatisée en France. Dans l’historique qu’en ont fait les médias, à aucun moment on ne fait allusion aux Berbères qui sont passés sur cette scène mythique, et ils sont nombreux : Aissa El Djermouni, premier chanteur berbère chaoui des Aurès à fouler les planches de l’Olympia en 1936, puis à partir de 1976, Aït Menguellet, le groupe Djurdjura, Slimane Azem, Matoub Lounes, Idir, Takfarinas et bien d’autres encore », rappelle lucidement Brahim Saci.
Dans le prolongement de ce raisonnement, le chanteur constate qu’on se garde bien de parler, en France, des origines kabyles d’Edith Piaf, par sa mère qui était une chanteuse lyrique sous le nom de Line Marsa, et élevée par sa grand-mère Aicha. Mais il faut persister et s’accrocher.
Brahim Saci a plein de plans de batailles artistiques dans sa tête. « Après avoir produit en France, je reviens aux sources pour produire en Algérie. Je viens en effet de sortir deux albums avec des milliers de posters annonçant en fait quatre albums, car après ces deux albums suivront deux autres albums. Le premier album est un hommage à Slimane Azem, Exil éternel, je dis « ô Slimane Azem! Si tu pouvais revenir parmi nous pour voir où les temps nous ont amenés. » J’ai souvent comparé Slimane Azem à Baudelaire pour la vision philosophique qu’ils avaient de la vie. Car Baudelaire a plongé au plus profond de l’être pour nous parler du mal qui habite et ronge l’homme. Mais Slimane Azem avait quelque chose de plus car il était une légende de son vivant, comme l’était avant lui Si Mohand u M’Hand. Il y a sur ce premier album 8 chansons. Le deuxième album s’intitule Crâa, c’est un regard sur la société algérienne et en particulier la société kabyle. Il y a 7 chansons et un sketch, où je raconte une histoire vraie, j’ai généralisé pour ensuite en tirer une morale. En fait, j’y dénonce la détérioration des relations fraternelles où seul l’argent fait la loi. Malheureusement à notre époque l’honneur et la dignité sont monnayables. Ces deux albums ont reçu un accueil favorable et chaleureux par le public, que je remercie du fond du cœur car je n’existe que par lui. J’ai aussi crée un site internet afin de mieux communiquer avec mon public. On m’écrit beaucoup et je réponds autant que je peux. Mon site a dépassé les 100 000 visites.
Avant la fin 2005, je l’espère, je sortirai les deux autres albums, 16 chansons et un sketch. L’un s’intitule 30 ans après, c’est un clin d’œil à la vie du poète et à l’histoire de l’Algérie. L’autre album s’intitule l’aube des adieux, où se mêlent l’espoir et le désespoir, l’optimisme et le pessimisme. C’est le déchirement intérieur du poète, c’est aussi un regard sur la fin du XXème siècle.
Pour 2005/2006, je prépare un hommage au regretté Matoub Lounes. Les albums qui suivront plus tard seront une plongée à l’intérieur de l’être à travers les affres de l’exil. Sinon à Paris on s’épuise chaque jour un peu plus. Je sème des poèmes en essayant d’imaginer des jeunes pousses. Mais dans le froid de Paris, rien ne germe. Même si mes poèmes naissent à Paris, ils ne se sentent chez eux qu’en Kabylie », clame, haut et fort, Brahim Saci.
La Dépêche du 2 au 8 août 2005.
Hebdomadaire d’information générale.
___________________________________________
حوار مع الجامعي براهيم ساسي :المنفى •• لعنة اللعنات الاثنين, 15 مارس 2010
حوار مع الجامعي براهيم ساسي :المنفى •• لعنةاللعنات
بصفتك شاعرا، مطربا، أستاذا جامعيا، منشطا لحصص ثقافية بباريس، هلا قدمت نفسك لقرائنا؟
يفضل الفنانون بصفة والشعراء بصفة خاصة الظل على الضوء، الفن هو قبل كل شيء عبارة عن صرخة حب، تأثرت كثيرا بالشاعر أرثر ريمبو عند مرحلة الشباب، فهو عبقري فذ·
كنت أكتب آنذاك حتى أنسى حالة العزلة التي كنت أعاني منها، شاء القدر أن أتوجه إلى فرنسا وأنا لم أتعد العاشرة من العمر، كنت طفلا مرحا بقرية تفريت آيت أوملاك، تلك القرية الجميلة بأعالي أكفادو بمنطقة القبائل، كنت أقضي اليوم في سعادة غامرة بتلك المنطقة، رفقة الصبية، كانت قريتنا على غرار كل قرى الجزائر تسير نفسها بنفسها، الأمر الذي أدى بها إلى أن تنأى عن تقلبات السياسة·
كنت في القرية مدللا كثيرا من قبل جدتي لأبي سماح زهرة (سيتي زهرة) ـ يرحمها الله ـ كانت إمرأة كريمة محبوبة جدا، كانت تغرقني في الحكايات الشعبية لمنطقة القبائل، كما كنت مدللا أيضا من قبل جدتي لأمي حامك كلثوم (ستي توكيت)، كانت إمرأة محبوبة جدا في قرية تازروت آيت أوملاك، وهي القرية التي شاء القدر أن أولد فيها، حظيت بعطف وحنان أم حساسة تحب أبناءها كثيرا، السيدة يحياوي تسعديت التي كانت تحفظ عن ظهر قلب الأشعار والغناء البربري، أذكر في أيام الشتاء القاسية كيف كنا نلتف حول الموقد حيث كانت أمي تمثل أمامنا أدوارا مسرحية بعفوية، كنا نضحك حد الثمالة، كنا نضحك ملء أشداقنا كي نلطف من غلواء غياب الأب الذي هاجر إلى فرنسا منذ سنة ,1950 لم نكن نراه سوى مرة في السنة·
هاجر جدي لأبي هو الآخر إلى فرنسا سنة ,1912 وشاء القدر أن أترك ذلك المكان لأهاجر إلى فرنسا سنة ,1975 لم يستطع أبي أن يعيلني بباريس، أرسلني إلى أخته، الخالة ساسي تاكليت زوجة لعداوي محند (المولود بقرية أهميل بالقرب من ياكوران)، وهي القرية التي كانت تحت حماية القديس سيدي عزوز، كان هؤلاء يعتبرونني كأحد أفراد العائلة، درست بمدرسة أوجان فارلان، لا أنسى أبدا المدير جان دولارون الذي لم يبخل علي برعايته وعطفه، كما لا أنسى المعلم محون محند، بفضل طريقة تعليمه المثلى إستطعت أن أزاول دراستي بشكل عادي بفرنسا·
واصلت دراستي بدون مشاكل، ساعدني الشعر على تجاوز الصعوبات التي كانت تعترض طريقي·
فتح لي المعهد ذراعاته، فكنت ألجأ إليه من الفينة إلى الأخرى، كان الرسم أيضا ملاذا لي، كنت أقرأ بنهم الرسومات·
في الثانوية، إكتشفت شعر جيوم أبولينار، شارل بودلير شاركت في مسابقة الشعر التي كانت تنظمها الثانوية، نلت عدة جوائز، الشيء الذي ساعدني في عملية الكتابة. غادرت بيرفيت عند نهاية الدراسة بالكوليج لألتحق بأبي في باريس، وصولي إلى باريس غيّز حياتي، إنضممت إلي ثانوية بول اليوار بسان دونيس. وأنا أتجول بالقرب من شاتولي وجدت نفسي بالقرب من مركز بوبورج حيث يقوم الفنانون برسم بورتريهات للسواح. قررت أن أوظف موهبتي شكرسام حيث كنت أرسم عند نهاية كل أسبوع، في بداية السبعينيات بدأ الرسامون يشعرون بأنهم غير مرغوب فيهم بشوارع باريس، لذا قررت أن أتخلى عن هذه المهنة لأهتم بالموسيقى·
في الشارع الذي كنت أقيم فيه إلتقيت بأحد الموهوبين في الموسيقى الشعبية، إنه سي الطيب علي المولود بمقطع، كان يملك مقهى، بفضله إلتقيت العديد من الفنانين القبائليين، كآكلي يحياتن، رشيد مصباحي، آيت مسلاين، يوسف بجاوي، سيد مسعودي، علمني السي الطيب عملية التوزيع الموسيقي لفن الشعبي، كما حببني في دحمان الحراشي· في سنة 1992 قمت بتسجيل آلبوم لي (المنفى الأبدي)، تأبينا لروح سليمان عزام، لدي 31 أغنية يمكن تسجيلها من خلال موقعي على الأنترنيت www.brahimsaci.com سأبقى بوهيميا، أكتب الشعر في الشوارع، سواء بالقبائلية أو الفرنسية·
عندما نسمعك تغني نشعر كما لو أننا نستمع لسليمان عزام، كيف استطعت أن تصل إلى هذا التألق كله؟
ليس هذا تألقا، بل هو شيء طبيعي، أشترك على تشبيهي بسليمان عزام، أظن أن هذا التشابه بيني وبين سليمان عزام هو هبة من الله·
أعتقد أنني لازلت بعيدا عن صوت سليمان عزام، فصوته عند الاستخبار أكثر من رائع، لا يستطيع أن ينافسه إلا القليل·
أغنيته تتدفق مثل الماء في أودية جرجرة، أغانيه رائعة مثل الينابيع، الأغنية الشعبية هي عبارة عن مزيج من الأغنية العربية، البربرية والأندلسية، إستطاع امحمد العنقى بخبرته وذوقه أن يبسطها وينشرها لدى أكبر شريحة من المستمعين، ودحمان الحراشي فقد استطاع أن يجعل الأغنية الشعبية قريبة جدا من عامة الشعب· أما سليمان عزام فيعد أحد أقطاب التلحين، فبساطة ألحانه لم تكن جلية أي ظاهرة فقط، لم يصل سليمان عزام إلى هذا المستوى صدفة، وللوصول إلى هذا المستوى يجب أن يكون الملحن على قدر كبير من الثقافة، كما أنه يجب أن يكون ملما إلماما واسعا بالشعراء القبائل، كما أنه يجب أن يمر بتجربة ثرية مليئة بالمعاناة، يجب أن يمشي على الجمر بأقدام حافية دون أن يهتز لنا جفن، فلكي تكون مقنعا مثل معطوب الوناس لا بد أن تكون على دراية واسعة بعالم الموسيقى، يجب أن يقرأ الواحد منا كثيرا، يجب أن يتحكم جيدا في اللغة وفي التقنيات، يجب أن يحب عمله، فالفن هو الحب قبل أي شيء، أن يعطي الواحد منا دون أن ينتظر المقابل·
موضوع المنفى حاضر جدا في عملك، هل من كلمة بهذا الخصوص؟
المنفى هو لعنة من اللعنات، لكن لا نستطيع أن نقول عن الشعراء أنهم ملاعين، نقول عنهم ذلك لأننا لا نفهمهم·
العزلة الشديدة تجعلك تشعر كما لو أنك شخص آخر يبحث عن عالم آخر، يهجر الفراغ للبحث عن قوة دفع خفية، المنفى الداخلي الذي يعاني منه الشعراء مدمر لأنه عبارة عن عاصفة داخلية صامتة، لذا أضحى القلم هو الوسيلة الوحيدة التي يخفف من خلالها الشاعر من معاناته، غير أن لحظات السكينة والراحة لدى الشاعر هي قليلة جدا، إذا أضفنا المنفى الداخلي إلى المنفى الخارجي لدى الشاعر فسيصبح عالما ملبدا غائما رغم شروق الشمس، فالشجرة التي ليس لها جذور تموت وتصبح ملاذا للغربان، فالقلب والروح بحاجة إلى منابع كي ترتوي منها، لحسن الحظ الحب هو المخلص عن كل هذا·
ستطرح في الأسواق ألبوما جديدا لعشاقك، ما هي المواضيع الرئيسية لهذا الألبوم؟
أن أعمل منذ مدة على هذا الألبوم، وبما أنني شخص لا يقتنع كثيرا بعمله أخذت مدة طويلة لكي أنجز عملي، فأنا أعيد النظر في الألحان في الكثير من المرات قصد القيام بتعديلات وتغييرات عليها، يجب أن تتدفق الأشعار مثل مياه نهر أكفادو، يجب أن تكون الأشعار منعشة ورائعة مثل مياه نهر أكفادو· من الواضح أن موضوع المنفى حاضر جدا، الزمن يمر قد يحطم الحب، فالشاعر يشعر بالإحباط تجاه الأشياء التي لا يستطيع تغييرها، الفن هو النقاء، العطاء، الجمال، الحقيقة، غير أنه عندما يواجه الخير الشر يشعر بعدم الحماية منه، ألبومي هو عبارة عن مواجهة بين الخير والشر، الليل والنهار، في ألبومي العديد من الأغاني بالقبائلية والفرنسية لأن اللغة القبائلية واللغة الفرنسية تعيشان بداخلي، عنوان الألبوم (الحب أصبح نادر) حكاية التروبادور، العنوان بحد ذاته يعبر عن المعاني التي تريد الألبوم ترويجها، إنه ألبوم جدير بالإستماع ومفيد·
كما أن بالألبوم نظرة حول الجزائر البلد الأم الذي لطالما اشتقته، ننظر إليه من فرنسا والأمل يحذونا أن تسوده ديموقراطية حقيقية من أجل الشعب الجزائري، وأن تكون هناك عدالة اجتماعية يسودها الاحترام المتبادل، كما أننا نأمل أن تكون هناك علاقة ممتازة بين الضفتين·
أجرى الحوار: يوسف زيرام
ترجمة: يوسف بوطاروق
الاثنين, 15 مارس 2010